Sex Beast (21 page)

Read Sex Beast Online

Authors: Stéphane Bourgoin

Tags: #Essai, #Policier

BOOK: Sex Beast
6.92Mb size Format: txt, pdf, ePub

— Pourquoi les femmes de vos croquis n’ont-elles jamais de visage ?

— Parce qu’on leur mettait un sac sur la tête. J’ai lu beaucoup de choses sur le massacre des juifs à Babi Yar en Russie en 1941. J’ai fait toute une série de dessins avec les yeux et les visages des victimes. J’en ai envoyé un pour Halloween à Sondra qui l’adore. Une femme décapitée.

— “Miss Maggot Meat” ?

— En effet. Vous l’avez vu ?

— Oui.

— Vous le trouvez bon ?

— C’est celui où Ottis Toole a rajouté un message : “Coupez-moi une tranche”…

— C’était juste une plaisanterie pour faire rigoler Sondra. Une plaisanterie un peu stupide… Vous pensez que j’ai un avenir en tant qu’artiste ? En tout cas, je dessine beaucoup mieux qu’Ottis, bien qu’il fasse de “belles pierres tombales”. Je vais lui envoyer ma série sur Babi Yar et l’Holocauste, ça devrait lui plaire. Les seules personnes encore intéressées par cette époque sont les juifs tels que Simon Wiesenthal. Tous les autres haussent les épaules, l’air de dire “oui et alors ?”. C’est quand même le plus grand massacre d’êtres humains qui ait jamais existé. Vous, en France, vous avez eu Drancy, mais ce n’était rien comparé à d’autres pays. Si les gens voulaient chercher à comprendre l’énormité du Mal, ils feraient tout leur possible pour que ça ne puisse pas recommencer. Et quand je vois la renaissance des néo-nazis en Allemagne, cela me fait frémir.

— Vous effectuez beaucoup de recherches sur les exécutions capitales pour des universitaires du monde entier… »

Gerard Schaefer est tout sourire. « Ma profession était officier de police, mais mon parcours universitaire m’a mené vers la justice criminelle. Ce que l’on fait des condamnés. En France, la guillotine a été entre les mains de la famille Samson pendant plusieurs générations, même si je ne parle pas le français, à part
Oh, là, là, les petites femmes de Paris
. » Il éclate de rire. « J’ai écrit une étude définitive sur l’exécution de Jeanne d’Arc et son déroulement qui m’a valu les félicitations de plusieurs professeurs. Comme je suis anglophone, je me suis surtout spécialisé sur les exécutions capitales en
Angleterre, principalement la pendaison dont on peut me considérer comme un expert. D’autres personnes vont s’intéresser aux châtiments corporels non létaux comme le fouet et cela va les emmener vers le bondage et le cuir SM, ce qui est commun chez les fétichistes anglais. Jusqu’en 1820, on fouettait les femmes. Si une femme avait commis un acte interdit par la loi, on la plaçait debout, dénudée, dans une baignoire, avant de la battre jusqu’au sang à coups de fouet. Quant à moi, j’ai préféré me passionner pour les exécutions capitales. Lorsque je suis arrivé ici, on m’a nommé responsable de la bibliothèque de droit à cause de mon vécu. Et la première personne pour qui j’ai effectué des recherches était Jesse Tafero, ainsi que sa compagne Sonia Jacobs qui avait aussi été condamnée à la peine capitale. A cette époque, il n’existait pas grand-chose sur les exécutions de femmes et ça m’a tellement passionné que j’ai continué dans cette voie. Sonia Jacobs a vu sa peine de mort commuée en perpétuité, mais ce n’est pas grâce à moi. Elle a reconnu avoir été complice dans la mort de ces deux officiers de police, mais son recours a abouti car ses deux enfants en bas âge se trouvaient sur la banquette arrière et ils ont pris en compte son instinct maternel de protection. J’ai trouvé que c’était une belle manière d’éviter le problème de l’exécution d’une aussi belle femme qu’elle. Sonia est une femme SUPERBE, magnifique, à la silhouette parfaite et ils ne voulaient pas que la Floride soit accusée d’avoir tué cette blonde bimbo. Une excuse sexiste pour la laisser s’en sortir tout en exécutant Jesse. Cela me fascine… Comment
peut-on en arriver là ? Elle a tiré sur deux flics et c’est lui qu’on grille, parce que c’est une mère de famille, qu’elle est belle et qu’il ne faut surtout pas qu’on parle de mettre à mort de belles femmes. Maintenant, c’est Judias Buenoano qui va s’installer ici dans le couloir de la mort de Floride
4
. Bon, elle est moche, donc je pense qu’elle va y avoir droit. Les gardes ici ne parlent que de ça, surtout qu’elle a de gros nichons. Ils vont se battre pour la voir se faire frire. Une autre qui est dans le collimateur, c’est cette prostituée et tueuse en série lesbienne Aileen Wuornos. Le cas le plus intéressant est Deidre Hunt qui a attaché un mec à un arbre, avant de l’abattre tout en se filmant. Son petit ami Kosta Fotopoulos est ici avec nous, je le vois tous les jours. Lorsqu’une femme va être exécutée, ça se déroule la nuit et certaines parties de la prison sont bloquées, mais ça n’empêche pas ces salopards de gardiens sadiques de venir jeter un coup d’œil, même s’ils ne sont pas de service. Ils rigolent et plaisantent entre eux : “
Southern Fried Cunt
” (“De la chatte sudiste frite”). Ils adorent ça. Je m’en suis rendu compte avec l’exécution de Bundy en 1989. C’était jour de cirque, il y avait de l’électricité dans l’air. Cela m’a rappelé l’histoire de Dickens sur
l’exécution de Mannings à Londres en 1860. J’ai su ce que Dickens voulait dire quand l’Etat de Floride a tué Ted Bundy. Quand vous quitterez cette pièce, regardez au fond du couloir et, tout au bout, vous allez apercevoir une porte qui est la salle des exécutions. Demandez au gardien, il sera ravi de vous la faire visiter. Les condamnés arrivent enchaînés pour leur dernière promenade dans ce long couloir.

— Vous croyez en Dieu ?

— Bien sûr que je crois en Dieu, ainsi qu’en Jésus-Christ. Notre salut ne peut venir que de Jésus-Christ. Je vais à la chapelle de la prison trois fois par semaine et j’étudie les Ecritures, trois fois par semaine également. Je lis la Bible deux heures tous les jours. Je suis très sérieux dans la pratique de ma foi catholique. Si vous ouvrez votre cœur à Jésus afin de l’y inviter, vous allez vous transformer. C’est quelque chose de très réel. Cela ne vous rendra jamais parfait, mais cela vous ouvrira les yeux. C’est ça qui m’a fait arrêter d’écrire après “Murder Demons”. Vous pouvez remercier ou maudire Norris pour cela. Est-ce un péché d’écrire ? Non. Mais ce que tu écris, est-ce bien ? Est-ce que cela va apporter quelque chose à l’humanité ? Est-ce que le monde sera meilleur ? Cela nous donne des pistes, cela retire tout glamour au meurtre, d’accord. Ne faudrait-il pas passer un ballet du Bolchoï à la télévision au lieu d’un téléfilm sur Ted Bundy ?

— Quand avez-vous commencé à écrire des nouvelles ?

— Vous voulez qu’on parle du livre ?
Killer Fiction
(
Journal d’un tueur
) ? » Il se radosse à sa chaise, très
content de lui. « J’écris depuis 1963. Et je suis publié depuis cette date.

— Vous pourriez m’en lire des extraits ? Ceux qui vous semblent les plus significatifs de ce que vous faites ? »

Il examine les revues que je lui tends et feuillette les pages. Un large sourire se dessine sur ses lèvres. « Ah, voilà. “Blonde on a Stick” (“Une blonde sur un pieu”). C’est un texte que j’aime assez… » Gerard Schaefer est visiblement très content de ce qu’il écrit.

« Pourquoi avoir écrit
Journal d’un tueur
 ?

— Pourquoi
Journal d’un tueur
 ? Quand on regarde la télévision dans notre monde moderne, on est assailli par la violence et le sexe. On glorifie la vie criminelle, comme ce téléfilm,
Au-dessus de tout soupçon
, à la gloire de Ted Bundy. Il en est de même pour Henry Lucas et Ottis Toole avec
Henry, Portrait of a Serial Killer
. Ces gens-là ne devraient pas être glorifiés. » Il devient pontifiant, un peu comme un professeur d’université. « Ce qu’ils ont fait est horrible. J’ai pensé que si j’écrivais un livre
sur ce qu’était réellement le meurtre en série, par opposition à la version glamour qu’on montre à la télévision, alors on comprendrait peut-être qu’il ne faut pas glorifier ces gens-là. Il faut les condamner pour ce qu’ils font. Ottis Toole vend actuellement une sauce pour barbecue. Ce type-là est un cannibale qui mangeait ses victimes ! » Schaefer feint l’indignation. Le même jour, je rencontre Ottis Toole qui m’indique que Schaefer est un de ses meilleurs amis dans la prison de Starke. « Il découpait les gens et préparait une sauce barbecue maison, qu’il étalait sur ses victimes avant de les cuire ! Cette sauce-là est en vente. Vous pouvez l’acheter par l’entremise des publications de Sondra London. C’est une horreur qui dépasse l’entendement. Toole est un homme affable, très souriant. C’est un des types les plus dangereux sur cette terre, si vous le mettez de mauvais poil. Lui, je le vois tous les jours. Mais il sait à peine lire et écrire. Dès qu’il reçoit du courrier, c’est moi qu’il choisit pour le lui lire à haute voix. Et s’il a envie d’y répondre, il m’indique ce que dois y mettre. J’ai rencontré bon nombre de ces gens-là. J’ai vu Bundy. C’est le plus célèbre, mais il y en a des tas comme lui dans cette prison, Gerald Stano ou l’“Eventreur de Gainesville”. Je les ai écoutés. On a parlé comme nous le faisons maintenant, entre “confrères”. En les écoutant, je me suis dit que je devrais faire une anthologie de ces récits en les romançant un peu. Ce serait peut-être une manière de montrer l’horreur des meurtres en série. Sondra London vend mes fascicules comme des petits pains, ils marchent très bien. Mais, ces derniers temps,
on a connu des petits problèmes, car elle n’arrête pas de déclarer partout dans les médias que je suis un serial killer, probablement pour mieux les vendre. Je lui ai même intenté des procès pour ça, comme pour d’autres qui affirment la même chose. Elle me dit d’écrire telle ou telle chose sous forme de fiction, et quand je le fais, elle bave partout pour dire que je suis forcément un tueur en série. Et quand je lui rétorque que j’ai payé pour le savoir, elle ne comprend pas. Elle tient absolument à ce que je sois un serial killer, c’est sûr que ça fait mieux vendre.

— Vous avez suivi des ateliers d’écriture avec un célèbre auteur de romans policiers ?

— Oui, nul autre que Harry Crews à l’université Florida Atlantic. Mon style est très minimaliste, abrupt, à l’opposé d’un Hemingway. Lorsque j’écris, je suis en transe. Je tente de m’isoler, la structure du récit vient souvent plus tard. Je suis fan de John D. MacDonald et j’ai même échangé des courriers avec lui. Il aimait ce que je faisais. Il vivait à Sarasota, tout près d’ici. Je suis fan de son personnage de Travis McGee. Stephen King a ce don inné de pénétrer dans la tête de ses personnages pour nous les faire vivre. C’est si rare. Son meilleur roman est
Les Vampires de Salem
. Il a même inclus l’un de mes textes dans une anthologie sur l’horreur moderne.

— Vous affirmez que vos lecteurs doivent se munir d’un sac à vomir ?

— Oui, mais vous constaterez que c’est très bien écrit. Ce n’est pas écrit de manière dégueulasse. Mais le contenu est conforme à la réalité, et il faut vous y
préparer. Lorsque les gens vont au fond des choses sur les meurtres de Bundy, vous apprendrez des actes cachés jusqu’à présent. Bundy ne violait pas les femmes pour ensuite les tuer, il les tuait d’abord pour ENSUITE les profaner. Il planquait les cadavres pour revenir les violer une semaine plus tard. Je n’ai jamais compris qu’on en fasse un héros culte ! Pourquoi recevait-il des centaines de lettres de femmes qui pensaient qu’il était un chouette type ? J’ai vu les courriers… des tas… quelque chose ne va pas dans notre société, voilà pourquoi j’ai décidé d’écrire ce livre.

— Mais vos textes sont écœurants et nombreux sont ceux qui affirment qu’il s’agit de fictions déguisées ?

— Le
Journal d’un tueur
n’est qu’un livre. Ensuite, j’ai écrit
Beyond Killer Fiction
. Devant le succès du premier, j’ai décidé de continuer. On m’écrivait : “C’est horrible, dégoûtant ! J’aimerais bien en lire d’autres.” Bizarre, n’est-ce pas ? Les gens aiment ça, ils en redemandent, tout en trouvant ça horrible. Une jeune fille m’a écrit : “Je n’ai pas pu dormir pendant trois jours. Quand sort votre prochain livre ?” » Il sourit à pleines dents. « Il y a un petit problème, non ? En écrivant
Beyond Killer Fiction
, je me suis rendu compte que je ne touchais pas le public comme prévu. En fait, je satisfais la curiosité morbide de certaines personnes, mais je passe à côté de ce que je voulais faire. C’est-à-dire montrer aux gens la façon dont notre société traite du sexe et de la violence à la télévision. Chaque jour, sous les yeux des enfants, on anesthésie leur perception. Pour eux, un coup de feu, c’est “Pan ! T’es mort !”, on tombe, mais
après on se relève à la fin du film. Or, ça ne marche pas ainsi… Voilà pourquoi j’ai commencé à écrire “Road Cop”, une satire sur la vie des policiers. Tout… peut-être pas tout, mais la majeure partie des programmes télévisés, montre l’homme comme une créature négative. Il y a pourtant bien des aspects positifs que l’on pourrait montrer. Mais ils intéressent moins les gens. » Il est tout sourire, écœurant d’hypocrisie. « J’aimerais bien que ma vie serve d’exemple. J’espérais que
Journal d’un tueur
… enfin, que ce soit quelque chose de bien. Les résultats sont mitigés. Certains trouvent le livre excellent. D’autres le jugent dégoûtant. Je leur réponds : c’est vrai, c’est dégoûtant. Le meurtre vous paraît-il plus haïssable ? Ou bien plus tentant ? S’il vous semble aujourd’hui plus haïssable, j’ai gagné mon pari. Le meurtre vous fait-il horreur ? Serez-vous plus prudent en prenant un auto-stoppeur ? » Il sourit et penche la tête sur le côté. Son regard s’illumine derrière ses lunettes à épaisse monture. « Et vous, mesdames, serez-vous moins promptes à inviter chez vous des inconnus que vous avez dragués dans un bar à célibataires ? Tous ces Messieurs Goodbar
5
… Diane Keaton était excellente dans ce film… Vous comprenez ce que j’essaie de faire ? Je veux avertir les gens. Le docteur Joel Norris a indiqué à Sondra London que mes textes étaient dangereux, car ils pourraient influencer des personnes instables d’un
point de vue émotionnel et les pousser à commettre les actes qui y sont décrits. Cela m’a d’abord fait rire… puis j’ai réfléchi et prié et je me suis dit : mon Dieu, est-ce possible que quelqu’un me lise et soit poussé à commettre les horreurs que je dépeins ? Cela m’a donné l’idée d’écrire
Murder 101
où Rolling, l’“Eventreur de Gainesville”, lit mon bouquin et s’en va commettre toute sa série de meurtres. Avec “Murder Demons”, j’ai décidé que c’était fini, que je n’écrirais plus. Et les gens me disent : mais ce texte est parfait, il est excellent, il faut continuer. Mais parfait pour quoi ? Norris explique que c’est un manuel du crime parfait. Ce n’est pas bien. Je n’ai plus aucune justification morale. Sondra était furieuse. Je n’arrive plus à écrire de fiction, de peur que ça pousse quelqu’un à tuer. Les téléspectateurs regardent le téléfilm sur Ted Bundy comme un spectacle, mais Bundy, c’était pas du cinéma. Il existait ! Il vous aurait tué en rigolant. » La voix de Schaefer se fait chuchotante. « Il adorait ça. » Son regard se fait très intense. « Je l’ai vu comme je vous vois et il m’a tout raconté. Il y prenait plaisir. J’aurais voulu pouvoir filmer l’expression de son visage, à ce moment-là, quand il me parlait, dans la cage des condamnés à mort !

Other books

A Turn of the Screwed by Tymber Dalton
Double Play by Jen Estes
The Banshee's Desire by Richards, Victoria
Irish Eyes by Mary Kay Andrews
Facial Justice by L. P. Hartley
Patrick by Stephen R. Lawhead
Digital Heretic by Terry Schott