La Révolution des Fourmis (53 page)

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Authors: Bernard Werber

Tags: #Fantastique

BOOK: La Révolution des Fourmis
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Puis, ce fut au tour de Léopold de présenter son projet.

— Mon idée est de fonder une agence d’architecture afin
de fabriquer des maisons insérées dans des collines.

— Quel en est l’intérêt ?

— La terre protège idéalement du chaud, du froid mais
aussi des radiations, des champs magnétiques et de la poussière, expliqua-t-il.
La colline résiste au vent, meilleur matériau de vie.

— En fait, tu veux construire des maisons troglodytes.
Elles ne risquent pas d’être un peu sombres ? demanda Julie.

— Pas du tout. Il suffit de creuser au sud une baie
vitrée en guise de solarium et, au sommet, une baie zénithale qui permette de
voir en permanence la succession des jours et des nuits. Ainsi, les habitants
de ce type de maisons vivront pleinement au milieu de la nature. Le jour, ils
profiteront du soleil. Ils pourront bronzer à la fenêtre. La nuit, ils
s’endormiront en regardant les étoiles.

— Et à l’extérieur ? questionna Francine.

— Il y aura de la pelouse, des fleurs, des arbres sur
les murs extérieurs. L’air embaumera la verdure. C’est une maison fondée sur la
vie, pas comme celles en béton ! Les murs respireront. Les murs feront
leur photosynthèse. Les murs seront recouverts de vie végétale et animale.

— Pas bête. En plus, tes constructions ne dépareront
pas le paysage, remarqua David.

— Et pour les sources d’énergie ? demanda Zoé.

— Des capteurs solaires installés au sommet de la
colline fourniront l’électricité. Il est possible de bien vivre dans une maison
incluse dans une colline sans renoncer au confort et à la modernité, souligna
Léopold.

Il leur présenta les plans de sa maison idéale. Elle était
en forme de dôme et semblait en effet confortable et spacieuse.

C’était donc ça que concoctait Léopold depuis le temps qu’il
dessinait des habitations utopiques ! Tous savaient que, comme la plupart
des Indiens, il cherchait à sortir du concept de maison carrée pour intégrer
des formes rondes. Une maison-colline, ce n’était en fait qu’un très grand
tipi, si ce n’est que les murs en étaient plus épais.

Ils étaient enthousiastes et Ji-woong s’empressa d’ajouter
sur son ordinateur cette nouvelle filiale architecturale. Il demanda simplement
à Léopold de dessiner et de mettre en volume avec des images de synthèse sa
maison idéale afin que les gens puissent la visiter et en apprécier les
avantages. Cette seconde filiale fut baptisée « Société la
Fourmilière ».

Au tour de Paul d’entrer dans le cercle.

— Mon idée est de créer une ligne de produits
alimentaires à base de productions d’insectes : miels, miellats,
champignons, mais aussi propolis, gelée royale… Je pense pouvoir inventer des
goûts inconnus et des saveurs nouvelles en puisant dans le monde des insectes.
Les fourmis fabriquent à partir du miel de puceron un alcool qui ressemble
beaucoup à notre hydromel, d’où mon idée de varier aussi les hydromels pour en
découvrir de nouvelles nuances.

Il sortit un flacon et leur fit goûter un peu de sa
boisson ; tous reconnurent qu’elle était bien meilleure que la bière ou le
cidre.

— Elle est parfumée au miellat de puceron, précisa
Paul. J’en ai trouvé dans les rosiers du lycée et je l’ai fait fermenter cette
nuit avec de la levure dans les cornues de la salle de chimie.

— Commençons par déposer une marque d’hydromel, dit Ji-woong
en s’activant sur l’ordinateur. Ensuite, nous le vendrons par correspondance.

La société et sa ligne d’aliments furent donc baptisées
« Hydromel ».

À Zoé.

— Dans l’
Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu
,
Edmond Wells prétend que les fourmis parviennent à des C.A., des Communications
Absolues, en joignant leurs antennes et en branchant ainsi directement leurs
cerveaux l’un sur l’autre. Ça m’a fait rêver. Si les fourmis y parviennent,
pourquoi pas les humains ? Edmond Wells suggère de fabriquer des prothèses
nasales adaptées au système olfactif humain.

— Tu veux instaurer un dialogue phéromonal
humain ?

— Oui. Mon idée est de tenter de fabriquer cette
machine. En se dotant d’antennes, les humains se comprendraient mieux.

Elle emprunta l’
Encyclopédie
de Julie et montra à
tous les plans de l’étrange appareil dessiné par Edmond Wells : deux cônes
soudés d’où partaient deux antennes fines et recourbées.

— Dans l’atelier de travaux pratiques des brevets
d’études techniques, il y a tout ce qu’il faut pour fabriquer ça : des
moules, des résines de synthèse, des composants électroniques… Heureusement que
le lycée comprend cette section technique, nous avons ainsi à notre portée un
vrai atelier équipé d’outils de haute technologie.

Ji-woong se montra sceptique. À court terme, il ne voyait
pas quelle activité économique pouvait en découler. Comme l’idée de Zoé amusait
le reste du groupe, il fut décidé de lui allouer un budget dit de
« recherche théorique en communication » afin qu’elle commence à
bricoler ses « antennes humaines ».

— Mon projet n’est pas rentable non plus, indiqua Julie
en se plaçant au centre du cercle. Lui aussi est lié à une invention bizarre
décrite dans l’
Encyclopédie
.

Elle tourna les pages et leur présenta un schéma, un plan
parcouru d’indications fléchées.

— Edmond Wells appelle cette machine une « Pierre
de Rosette », probablement en hommage à Champollion qui a ainsi baptisé le
fragment de stèle qui lui a permis de déchiffrer les hiéroglyphes de l’Égypte
antique. La machine d’Edmond Wells décompose les molécules odorantes des
phéromones fourmis de façon à les transformer en mots intelligibles par les
humains. De même, en sens inverse, elle décompose nos mots pour les traduire en
phéromones fourmis. Mon idée est de tenter de construire cette machine.

— Tu plaisantes ?

— Mais non ! Il y a longtemps que, techniquement,
il est possible de décomposer et de recomposer des phéromones fourmis ;
seulement, personne n’en a saisi l’intérêt. Le problème, c’est que toutes les
études scientifiques concernant les fourmis ont toujours eu pour but de les
exterminer pour en débarrasser nos cuisines. C’est comme si on avait confié
l’étude du dialogue avec les extraterrestres à des entreprises de boucherie.

— De quoi as-tu besoin comme matériel ? interrogea
Ji-woong.

— Un spectromètre de masse, un chromatographe, un
ordinateur et, bien sûr, une fourmilière. Les deux premiers engins, je les ai
déjà dénichés dans la section de préparation au B.E.P. de parfumeur. Quant à la
fourmilière, j’en ai vu une dans le jardin du lycée.

Le groupe ne semblait pas enthousiaste.

— Il est normal qu’une Révolution des fourmis
s’intéresse aux fourmis, insista Julie, face aux mines sceptiques de ses amis.

Ji-woong estimait qu’il valait mieux que leur chanteuse
conserve son rôle de figure de proue de leur révolution et ne se disperse pas
en se lançant dans des recherches ésotériques. Elle tenta un suprême argument :

— Peut-être que l’observation et la communication avec
les fourmis nous aideront à mieux gérer notre révolution.

Ils s’y plièrent et Ji-woong lui alloua un deuxième budget
« recherche théorique ».

Puis ce fut au tour de David.

— J’espère que ton projet sera plus rentable dans
l’immédiat que ceux de Zoé et Julie, lança le Coréen.

— Après l’esthétique fourmi, après les saveurs fourmis,
après l’architecture fourmi, après le dialogue antennaire, après le contact
direct avec les fourmis, mon idée est de créer un bouillonnement de
communications semblable à celui d’une fourmilière.

— Explique-toi.

— Imaginez un carrefour où, quel qu’en soit le domaine,
toutes les informations se rejoignent et se confrontent les unes aux autres.
Pour l’instant, j’ai appelé ça le « Centre des questions ». En fait,
c’est tout simplement un serveur informatique qui se propose de répondre à
toutes les questions qu’un humain peut se poser. C’est le concept même de l’
Encyclopédie
du Savoir Relatif et Absolu
 : rassembler le savoir d’une époque et le
redistribuer pour que tous puissent en profiter. C’est aussi ce qu’ont souhaité
réaliser Rabelais, Léonard de Vinci et les encyclopédistes du dix-huitième
siècle.

— Encore une bonne œuvre qui ne nous rapportera
rien ! soupira Ji-woong.

— Pas du tout ! Attends un peu, protesta David.
Toute question a un prix et nous facturerions notre réponse en fonction de sa
complexité ou des difficultés à la trouver.

— Je ne comprends pas.

— De nos jours, la vraie richesse, c’est le savoir. Il
y a eu tour à tour l’agriculture, la production d’objets manufacturés, le
commerce, les services ; à présent, c’est le savoir. Le savoir est en soi
une matière première. Celui qui est suffisamment savant en météorologie pour
prévoir avec exactitude le temps de l’année prochaine est à même d’indiquer où
et quand planter des légumes pour obtenir un rendement maximal. Celui qui sait
au mieux où implanter son usine pour en tirer la meilleure production au
moindre coût gagnera plus d’argent. Celui qui connaît la vraie bonne recette de
la soupe au pistou peut ouvrir un restaurant qui gagnera de l’argent. Ce que je
propose c’est de créer la banque de données absolue, celle qui répondra, je le
répète, à toutes les questions qu’un humain peut se poser.

— La soupe au pistou et quand planter les
légumes ? ironisa Narcisse.

— Oui, c’est infini. Cela va de « quelle heure
est-il très précisément ? » question que nous facturerons peu cher, à
« quel est le secret de la pierre philosophale ? » qui coûtera
bien plus. Nous délivrerons des réponses tous azimuts.

— Tu n’as pas peur de délivrer des secrets qui ne
doivent pas être révélés ? demanda Paul.

— Lorsqu’on n’est pas prêt à entendre ou à comprendre
une réponse, elle ne nous profite pas. Si je te donnais, à cet instant, le
secret de la pierre philosophale ou du Graal, tu ne saurais quoi en faire.

Cette réponse suffit à convaincre Paul.

— Et toi, comment feras-tu pour avoir réponse à
tout ?

— Il faut s’organiser. Nous nous brancherons sur toutes
les banques de données informatiques courantes, banques de données
scientifiques, historiques, économiques, etc. Nous utiliserons également le
téléphone pour demander des réponses aux instituts de sondages, à de vieux
sages, recouper des informations, avoir recours à des agences de détectives,
aux bibliothèques du monde entier. En fait, je propose d’utiliser
intelligemment les réseaux et les banques d’information qui existent déjà afin
de créer un carrefour du savoir.

— Très bien, j’ouvre la filiale « Centre des
questions », annonça Ji-woong. Nous lui allouerons le plus gros disque dur
et le plus rapide des modems du lycée.

Francine se plaça à son tour au centre du cercle. Après le
projet de David, il semblait impossible de surenchérir. Pourtant Francine
semblait sûre d’elle, comme si elle avait gardé le meilleur pour la fin.

— Mon projet est, lui aussi, lié aux fourmis. Que
sont-elles pour nous ? Une dimension parallèle mais plus petite, donc nous
n’y prêtons pas attention. Nous ne déplorons pas leurs morts. Leurs chefs,
leurs lois, leurs guerres, leurs découvertes nous sont inconnus. Pourtant, de
nature, nous sommes attirés par les fourmis car, intuitivement, dès l’enfance,
nous savons que leur observation nous renseigne sur nous-mêmes.

— Où veux-tu en venir ? demanda Ji-woong, dont le
seul souci était : que cette idée donnera-t-elle ?

Francine prenait son temps.

— Comme nous, les fourmis vivent dans des cités
parcourues de pistes et de routes. Elles connaissent l’agriculture. Elles se
livrent à des guerres de masse. Elles sont séparées en castes… Leur monde est
semblable au nôtre, en plus petit, c’est tout.

— D’accord, mais en quoi cela débouche-t-il sur un
projet ? s’impatienta Ji-woong.

— Mon idée consiste à créer un monde plus petit que
nous observerons afin d’en tirer des leçons pratiques. Mon projet est de créer
un monde informatique virtuel dans lequel nous implanterons des habitants
virtuels, une nature virtuelle, des animaux virtuels, une météo virtuelle, des
cycles écologiques virtuels afin que tout ce qui se passe là-bas soit similaire
à ce qui se passe dans notre monde.

— Un peu comme dans le jeu
Évolution
 ?
demanda Julie qui commençait à comprendre où son amie voulait en venir.

— Oui, si ce n’est que dans Évolution les habitants
font ce que leur commande le joueur. Moi, je compte pousser plus loin la
similitude avec notre monde. Dans
Infra-World
, c’est le nom que j’ai
donné à mon projet, les habitants seront complètement libres et autonomes. Tu
te rappelles la conversation que nous avons eue, Julie, à propos du libre
arbitre ?

— Oui, tu disais que c’était la plus grande preuve
d’amour que Dieu nous porte, il nous laisse faire des bêtises. Et tu disais que
c’était mieux qu’un dieu directif, car cela permettait de savoir si on voulait
bien se comporter et si on était capables de trouver par nous-mêmes la bonne
voie.

— Exactement. Le « libre arbitre »… la plus
grande preuve d’amour de Dieu pour les hommes : sa non-intervention. Eh
bien, je compte offrir la même chose à mes habitants d’
Infra-World
. Le
libre arbitre. Qu’ils décident eux-mêmes de leur évolution sans que quiconque
les aide. Ainsi, ils seront vraiment comme nous. Et j’étends cette notion
cruciale de libre arbitre à tous les animaux, tous les végétaux, tous les
minéraux.
Infra-World
est un monde indépendant et c’est en cela qu’il
sera similaire, je crois, au nôtre. Et c’est aussi en cela que son observation
nous apportera des informations vraiment précieuses.

— Tu veux dire que, contrairement au jeu Évolution, il
n’y aura personne pour leur indiquer quoi que ce soit ?

— Personne. Nous ne ferons que les observer et à la
limite introduire des éléments dans leur monde pour voir comment ils
réagissent. Les arbres virtuels pousseront tout seuls. Les gens virtuels
cueilleront instinctivement leurs fruits. Les usines virtuelles en feront, très
logiquement, des confitures virtuelles.

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