Le samedi, je dois retrouver François en fin d’après-midi pour la mise au point du communiqué. Trois de mes amis sont restés dormir sur place. Je vide mes affaires, rassemble mes vêtements d’été que je laissais à la Lanterne, mes livres et quelques objets personnels. Mes amis m’aident. Après un rapide plateau-repas, c’est l’heure de partir. Je vais dire au revoir au couple de gardiens, Josyane et Éric :
– Voilà, je voulais vous dire que c’était la dernière fois que nous nous voyions.
Ils croient à une plaisanterie. Ils se récrient.
La voix brisée, je leur réponds :
– Le Président et moi, nous nous séparons, ce sera annoncé ce soir.
À leur tour, ils me montrent leur émotion, me prennent dans leur bras et me couvrent de paroles réconfortantes. Je pleure avec eux. Jamais je n’oublierai ce moment, jamais. Pas plus que les adieux aux deux cuisiniers qui sont présents ce jour-là. Eux aussi pleurent. Je m’excuse auprès d’eux :
– Pardon, je ne vais pas tenir.
Je veux partir dignement, mais ces démonstrations d’affection me touchent au plus profond. Je dois garder des forces pour ce qui m’attend. Je m’engouffre dans la voiture. Les caméras de télévision sont déjà postées à l’affût. Les journalistes juchés sur leurs motos, prêt à suivre chacun de mes déplacements comme pour assister à ma mise à mort, attendent devant la grille.
Nous allons d’abord rue Cauchy, poursuivis par cette horde de photographes et de cameramen. Nous entrons directement par le sous-sol pour éviter les flashes. À nouveau, un stratagème de dissimulation a été mis au point. Pour éviter que je sois suivie jusqu’à l’Élysée, ce n’est pas une voiture leurre qui est utilisée, mais deux. Lorsque nous repartons, la meute est loin. L’une des voitures est même retournée à la Lanterne, entraînant dans son sillage une partie de la presse. J’arrive à en sourire.
Qu’ai-je ressenti en pénétrant dans le jardin de l’Élysée par la porte Marigny ? C’est par cette entrée discrète et jamais par la cour d’honneur que j’avais pris l’habitude de rejoindre le palais. Je ne me suis jamais vraiment autorisée à entrer par la cour d’honneur. Comme si, au fond de moi, je m’étais toujours sentie illégitime. J’y ai pourtant vécu vingt mois avec le Président dont je partageais officiellement la vie.
Ce samedi 25 janvier, mon cœur se serre. Cette fois, c’est la fin. En arrivant dans l’appartement privé, je commence par rassembler les tenues dont j’aurai besoin pour l’Inde, puis je préviens François par
sms
que je suis là. Nous nous retrouvons, une fois de plus, dans une atmosphère lourde, assis chacun à notre place habituelle dans le salon. Il insiste encore pour le communiqué commun. Je refuse à nouveau, exposant toujours les mêmes arguments. Nous rejouons la scène.
Il me demande une fois de plus de renoncer à l’Inde :
– Tu auras tous les journalistes.
Il s’apprête à me répudier et la seule chose qui lui importe est que la presse le suive, lui et pas moi.
– Et alors ? J’en aurai peut-être plus que toi en Turquie.
C’est dérisoire, mais je cherche à le provoquer. Il s’inquiète de ce que je leur dirai.
– Je ne sais pas encore.
Il est assis, mal à l’aise, un petit papier à la main. Il me lit le communiqué de rupture qu’il a prévu de livrer à l’AFP, dix-huit mots froids et orgueilleux, chacun est comme un coup de poignard. Je m’effondre devant la dureté de sa phrase, cette manière méprisante de « faire savoir » qu’il « met fin à la vie commune qu’il partageait avec Valérie Trierweiler »…
Je me lève et pars en hurlant :
– Vas-y, balance-le ton communiqué si c’est ça que tu veux.
Il tente de me rattraper, de me prendre dans ses bras.
– On ne peut pas se quitter comme ça. Embrasse-moi.
Il me propose même que nous passions la dernière nuit ensemble… Je me dégage avec force, je pars sans me retourner, le visage inondé de larmes.
J’apprendrai plus tard qu’il aura fallu trois conseillers officiels, entre deux piles d’affaires courantes à expédier, pour rédiger ma répudiation, l’acte de décès de notre amour. Nous ne sommes pas toujours maîtres de nos sentiments. Nous sommes tombés amoureux l’un de l’autre alors que nous n’étions pas libres. Il ne s’agissait pas d’un égarement. Alors pourquoi tant d’inhumanité ? De violence ? Il a désormais les plus hautes responsabilités. S’il ne peut y avoir d’art, qu’il y ait au moins la manière.
Je dois rejoindre mes officiers de sécurité qui m’attendent à la voiture. Je pleure, comme rarement j’ai pleuré. J’essaie de me cacher derrière un arbre pour qu’ils ne me voient pas dans cet état. L’un des maîtres d’hôtel me glisse un paquet de mouchoirs. Mais c’est moi, le kleenex qui vient d’être jeté à l’instant.
Je prends sur moi, je retrouve l’équipe. J’arrive seulement à leur dire que nous retournons rue Cauchy. Personne n’ose me dire un mot. Nous venons de passer le pont Alexandre-
iii
, quand je reçois un message de mon bourreau. Il vient d’actionner la guillotine et m’envoie un mot d’amour : « Je te demande pardon parce que je t’aime toujours. »
Cela ne fait que redoubler mes larmes. Alors pourquoi ? Est-il sincère ou est-ce encore une trace de sa lâcheté ?
Il nous faut peu de temps pour rejoindre l’appartement de la rue Cauchy. Dans l’ascenseur, Alexandre, l’officier de sécurité qui me suit, a l’air aussi désespéré que moi en me voyant dans cet état. Il s’inquiète, me demande si je vais tenir le coup.
– Oui, ça va aller.
Surtout ne pas allumer la télévision, ni la radio. Les messages commencent à affluer sur mon téléphone. Je les regarde à peine. La nouvelle se répand comme la poudre. Je n’ai pas conscience qu’elle est en train de faire le tour du monde, comme je n’ai pas vu les unes de la presse internationale après les photos du scooter puisque j’étais à l’hôpital. Je ne veux pas entendre, il faut que je me protège de cette tempête médiatique.
Ce n’est pas la première bourrasque que j’affronte, mais c’est la pire de toutes et je ne suis pas très vaillante. Je fouille parmi la collection de
dvd
. Je n’ai qu’une idée, me mettre au lit et emmener mon esprit ailleurs. N’importe où pourvu que cela m’éloigne de la réalité.
J’attrape le film
Elle s’appelait Sarah.
Il y a longtemps que je voulais regarder ce long métrage de Gilles Paquet-Brenner, tiré d’un roman de Tatiana de Rosnay. L’histoire d’une journaliste américaine qui enquête sur le Vel’ d’Hiv, et remonte le fil de la vie d’une petite Sarah.
Il est à peine plus de 20 heures, je suis sous ma couette sans la moindre envie de dîner. Mon ordinateur sur les genoux, je regarde ce film tragique. Je me coupe du monde et je ne sais plus pourquoi je pleure, le film ou ma vie. À la dernière image, je suis vidée, épuisée. Je mesure ce soir-là l’expression « pleurer toutes les larmes de son corps ». Comme des insectes qui se cognent à la vitre, des pensées vont et viennent dans ma tête. Comment a-t-il pu me faire ça ? Si nous nous aimons toujours, pourquoi en sommes-nous arrivés là ? Je pars le lendemain en Inde. Je me raccroche à cette perspective comme une naufragée à sa bouée.
E
n arriver là ?
Que s’est-il passé pour que nous nous soyons éloignés ainsi l’un de l’autre en si peu de temps ? Le pouvoir a agi comme un acide, il a miné notre amour de l’intérieur. Cette rumeur Gayet empoisonnait ma vie depuis le mois d’octobre 2012.
C’est à cette époque, cinq mois après l’élection présidentielle, que j’en entends parler pour la première fois. Je n’y crois pas une seconde, j’ai moi-même été l’objet de tant de rumeurs abjectes. Mais j’apprends qu’un dîner avec des artistes a eu lieu à l’Élysée quelques jours auparavant. C’était un samedi soir. Il a été organisé sans que je sois informée, ni même conviée. Personne ne m’en a parlé. Ni François, ni son équipe, qui est censée informer la mienne pour coordonner les agendas lorsqu’il s’agit des plages privées de son emploi du temps, ni le conseiller culture à l’origine de ce dîner.
Ce samedi-là, je suis coincée à L’Isle-Adam. C’est dans cette petite ville près de Paris que j’ai longtemps loué une maison pour être avec mes enfants une partie de la semaine, lorsque nous en partagions la garde avec mon ex-mari. Ils vivent désormais tous dans la capitale, je n’ai plus de raison de conserver cette maison. Je fais mes cartons. Mes fils me donnent un coup de main dans la journée et vont rejoindre leurs amis pour la soirée. Ce sera mon dernier week-end là-bas.
Il ne me vient pas à l’idée de demander à François de m’aider. Il est Président, il a autre chose à faire. Je fais le tri et comme à chaque déménagement, c’est l’occasion de revivre des moments de vie. Que faire de ma collection de
Paris-Match ?
Je ne peux pas tout conserver. J’en feuillette quelques-uns. L’un des numéros retient mon attention. Il date de 1992 ; Mitterrand est en une, la France est en pleine crise économique et politique. Édith Cresson est Premier ministre, mais c’est un véritable désastre. « Pendant ce temps-là, Mitterrand joue au golf, se promène sur les quais et fait les librairies », tel est le titre du journal. Ce n’est pas une attaque, mais au contraire une manière de souligner combien ce Président sait garder son sang-froid et prendre de la distance. Dieu que les choses ont changé ! Aujourd’hui, plus rien n’est permis, pas même quinze jours de vacances au Fort de Brégançon après un an et demi de campagne. Autres temps. En 2012, la presse s’est scandalisée du visage bronzé de François et de nos sorties sur la plage, quand la moitié de la France était en vacances. Vingt ans plus tôt, elle s’émerveillait d’un Président qui savait jouer au golf au cœur de la tourmente politique…
Je regarde encore quelques photos. Celles de mes enfants petits, celles de la vie qui file comme un rien. François m’appelle vers 23 heures et ne me parle pas de ce dîner auquel Julie Gayet vient de participer. Je l’apprendrai un peu plus tard. Je trouve évidemment étrange d’avoir été écartée mais je ne m’alarme pas.
Un mois plus tard, en novembre 2012, la rumeur revient en force. Paris bruisse de l’existence d’une photo, qui serait la preuve de leur liaison. J’interroge François, je lui demande s’il a raccompagné l’actrice après le dîner. Il m’assure que non.
Le murmure de la ville devient tapage. L’AFP est sur la piste. Une précision surgit : la photo le montrerait en bas de chez elle, rue du Faubourg-Saint-Honoré, à deux pas de l’Élysée. Je suis dans mon bureau, j’appelle François. « J’arrive », dit-il. En moins d’une minute, il est face à moi. Nous nous isolons dans la bibliothèque qui jouxte mon bureau. Il m’avoue être allé chez elle en septembre mais pour une réunion d’artistes.
– Combien étiez-vous ?
– Je ne sais plus, dix, douze.
– Impossible, tu mens, ça aurait été dans ton agenda et un Président ne fait pas ce genre de trucs.
Je m’énerve. Il cède sous la pression et avoue que c’était avec Pinault. Un dîner organisé par Julie Gayet pour que les deux hommes se rencontrent. Il ne précise pas s’il s’agit du père ou du fils, mais il connaît les deux et le Président n’a pas besoin d’entremetteuse. Je me souviens très bien du soir où il m’avait dit être allé dîner chez Pinault en tête-à-tête…
Il n’était pas rentré tard, nous nous étions retrouvés rue Cauchy et il m’avait raconté qu’il s’agissait pour l’homme d’affaires de restituer deux statuettes chinoises qui avaient été pillées au palais d’Été de Pékin en 1860 par les troupes franco-britanniques. Deux têtes d’animaux en bronze, un rat et un chien, manquant à un ensemble de douze pièces reconstituant le calendrier chinois. Cette restitution devait s’insérer dans le programme diplomatique franco-chinois lors de la prochaine visite d’État prévue en avril. Mais que vient faire Julie Gayet dans cette histoire ? Pourquoi ai-je encore été exclue ?
Je m’agace de ce mensonge. Mais une histoire avec elle, je n’y crois toujours pas. J’estime François trop habité par sa fonction pour prendre un tel risque. Et j’ai la faiblesse de croire que nous nous aimons suffisamment pour que cela n’arrive pas. Suis-je donc naïve ? L’un de mes amis journalistes m’explique que ce sont des policiers de droite qui alimentent la rumeur. Il soupçonne des officines qui ont l’habitude de fabriquer des affaires de toutes pièces pour déstabiliser. Je le crois aussi.
J’en avais fait les frais pendant la campagne avec une fausse fiche de police qui circulait dans toutes les rédactions. Mon avocate avait voulu me voir en catastrophe. Les journalistes de
L’Express
m’avaient également contactée pour m’en parler avant la publication. Ils savaient que ce document était un faux et voulaient dénoncer les méthodes utilisées par la partie adverse. Cette fiche me prêtait des liaisons avec la moitié de la classe politique de droite comme de gauche.
Ce document était un faux grossier mais j’avais été alors totalement déstabilisée par l’affaire. La seule chose qui m’importait était que mes enfants ne puissent pas penser que leur mère était ce genre de femme. Ce fut le premier tsunami médiatique pour moi, le premier d’une longue série.
À la publication de
L’Express,
mon téléphone sonnait sans interruption. La presse appelait de tous les côtés. Je ne décrochais pas. J’avais besoin de me protéger. Je n’allumais pas la télévision. J’étais partie me réfugier dans ma maison de L’Isle-Adam. Mon fils aîné m’avait appelée :
– Qu’est-ce que t’as fait, maman, pour qu’on parle de toi partout ?
– Rien, si ce n’est être la compagne d’un candidat. Je deviens une cible.
J’étais rentrée aussitôt chez moi faire tourner mon lave-linge comme s’il fallait nous nettoyer de toute cette fange. Cette liste était tellement grotesque qu’elle avait fait sourire François. Pas moi.
Je ne crois donc pas à la rumeur Gayet. À un jeu de séduction, oui peut-être. À plusieurs reprises, je lui rappelle son mensonge, ces deux dîners auxquels elle assiste et pas moi. Puis la rumeur s’estompe.
Le répit est de courte durée. Alors que nous nous apprêtons à partir pour un voyage officiel en Russie fin février 2013, j’attends François dans le hall d’honneur de l’Élysée. Il tarde à arriver. On me prévient que Pascal Rostain, le célèbre paparazzi, se trouve dans son bureau. Cela me semble incroyable. Rostain avec François ? Non, impossible.
Je monte quatre à quatre les marches du bel escalier d’honneur que je n’emprunte jamais. Je passe d’un pas décidé devant les huissiers. D’habitude, je ne me permets pas d’entrer dans son bureau ainsi. En l’espace de vingt mois, je n’y suis entrée que cinq fois. J’ouvre la grande porte sans frapper et lance à l’intrus :
– Qu’est-ce que tu fais là, toi ? Tu n’as rien à faire là.
Je le connais bien, nous avons même été copains à un moment, à
Match,
jusqu’à ce que je comprenne qu’il n’était pas fiable.
Rostain me répond qu’il est là pour mettre en garde François contre toutes les rumeurs qui circulent :
– On dit qu’il a un enfant noir en Corrèze.
– Tu veux plutôt parler de la rumeur Gayet ? C’est bon, ça tourne dans tout Paris, on n’a pas besoin de toi.
Puis je m’adresse à François :
– Nous devons y aller, tout le monde t’attend.
Et je glisse un bras sous le sien pour l’emmener avec moi, en laissant le paparazzi derrière nous.
Dans la voiture qui nous conduit à Orly, l’ambiance est très tendue.
– Que te voulait Rostain ?
– Rien de spécial, m’informer de toutes les rumeurs.
Pour la première fois, j’ai des doutes :
– Tu ne l’aurais pas reçu ainsi au dernier moment si tu n’avais pas quelque chose à te reprocher.
– Non, je t’assure.
La présence des policiers dans la voiture m’empêche de poursuivre mes investigations.
Un mois encore et la rumeur surgit à nouveau. Même scénario. Des photos circuleraient. On me dit aussi que Julie Gayet ne fait rien pour démentir cette histoire, au contraire, elle jouerait le mystère. Je décide de l’appeler. Nous sommes le 28 mars. Le soir-même, François doit s’exprimer sur TF1. Elle ne semble pas surprise de ce coup de fil. Je lui explique que cette histoire est désagréable pour moi et mauvaise sur un plan politique. Elle me répond que c’est aussi très pénible pour elle. Je lui suggère qu’elle démente elle-même pour mettre fin à ce mauvais film. Elle accepte. Je lui envoie un message pour lui dire d’attendre le lendemain, afin de ne pas polluer l’interview présidentielle.
– Je crains que ce soit trop tard, mon avocat a déjà envoyé le communiqué.
Le timing n’est pas bon, mais le démenti officiel me rassure. Les termes sont clairs et fermes. L’actrice annonce qu’elle poursuivra tous ceux qui colportent l’hypothèse d’une liaison. Je me laisse berner. Mais comment peut-on mentir à ce point ?
Pause.
Je me tranquillise pendant quelque temps. Cependant, insensiblement, François s’éloigne. Est-ce la réalité ou le cancer de la jalousie qui me joue des tours ? La rumeur va et vient. Un soir, je prends François entre quatre yeux :
– Jure-moi sur la tête de mon fils que c’est faux et je ne t’en parle plus.
Il jure sur la tête de mon fils et me demande de le laisser tranquille avec cette pseudo-histoire. Il me dit qu’il a trop de travail et de soucis pour se laisser encombrer par les ragots. Que je deviens pénible avec cette faribole. C’est l’expression qu’il emploie : une faribole.
Son assurance devrait me tranquilliser définitivement, mais le poison s’est installé. Je me raisonne et mets sa distance sur le compte de la pression. Tout est difficile pour lui, les vents politiques sont mauvais. Nous restons cependant un vrai couple et partageons encore de bons moments ensemble.
L’été passe, puis l’automne. La conjoncture se dégrade. La cote de popularité de François est au plus bas. Arrive alors la séquence sur Canal+, le 16 décembre 2013. Je ne regarde pas en direct Le Grand Journal présenté par Antoine de Caunes et j’ignore que Julie Gayet est invitée avec Stéphane Guillon. Nous devons nous rendre à un dîner quand je reçois un
sms
d’une amie :
– Tu as regardé Canal ?
– Non, pourquoi ?
– Il faudrait que tu regardes.
François passe me chercher à l’appartement afin que nous partions ensemble à ce dîner. Un journaliste lui a proposé de lui faire rencontrer de « vrais gens ». En réalité une bande de bobos parisiens rassemblés dans un bel appartement ouvrant sur une cour pavée du
xvii
e
siècle.
Ce n’est que le lendemain matin que je vois sur Internet la reprise de cette séquence du Grand Journal. Stéphane Guillon assure que le Président s’est rendu sur le tournage du film avec Julie Gayet. Elle, ne dément pas et minaude.
J’appelle immédiatement François sur son portable, il ne décroche pas. Je passe par ses secrétaires, ce qui m’arrive extrêmement rarement. Je dis que c’est urgent, qu’il faut que je lui parle le plus rapidement possible. Elles me répondent : « On te le passe juste après son rendez-vous. » Il ne tarde pas à me rappeler. Je lui pose la question sans détour.
– Es-tu allé sur le tournage de son film ?
Il m’assure que non. Mais cette fois ma patience a atteint ses limites. Je m’énerve. Il le sent. J’exige un démenti. Il sera fait dans l’heure. Je laisse plusieurs messages sur le répondeur de Julie Gayet lui demandant de me rappeler, ce qu’elle ne fera jamais. J’étais aussi aux abonnés absents pour Ségolène Royal, comme il me le demandait, lorsqu’elle me téléphonait en 2006. Ironie du cycle de l’infidélité…
Nous nous retrouvons le soir pour dîner. Mon fils n’est pas là. Nous dînons tous les deux dans le salon. Il parle consciencieusement de choses et d’autres, il élude. Son silence me pèse. Je crève l’abcès et lui dis que je ne comprends pas l’attitude de cette fille qui laisse planer le doute, que je n’en peux plus de cette rumeur. J’attends qu’il soit de mon côté pour la combattre.
Au lieu de me rassurer, il prend aussitôt la défense de Julie Gayet. Je suis outrée par son attitude. Je me sens humiliée. Je deviens folle de rage, il me rend dingue avec ses non-dits. Il me crache des horreurs à la figure.
Je pars dans la salle de bains. Comprimé après comprimé, je défais une plaquette de somnifères. Il doit en rester huit. Je reviens et les avale devant lui. Je ne sais pas si cette histoire est vraie, au fond je ne le crois pas, mais je ne comprends pas son attitude. Je n’en peux plus. Il est devenu trop dur, tellement différent, indifférent, et j’ai le sentiment qu’il ne m’aime plus.
Il essaie de m’entraîner pour aller vomir. Je tombe inanimée sur le canapé. Je ne sens plus mon corps, je ne parviens pas à parler mais j’entends, comateuse. Mon geste est un appel au secours. Sauf que je ne perçois rien d’autre que son silence. Il ne m’adresse pas une parole, ne prononce même pas mon prénom. Il m’allonge les jambes, touche mon front et part. Je reste seule. Pas un médecin ne viendra me voir… Personne. L’Élysée est une ruche, le cœur du pouvoir, mais les appartements privés sont comme une bulle silencieuse, préservée de l’agitation, dans laquelle personne n’ose entrer. Je m’y suis sentie parfois très seule.
Je parviens plus tard à me traîner jusqu’à la chambre et m’endors. Est-il revenu ? S’est-il endormi à mes côtés ? Je ne me souviens de rien, écrasée par les somnifères. Je me réveille le lendemain vers midi. Le Noël des enfants de l’Élysée commence à 14 heures. J’ai pris en charge la préparation, en y associant beaucoup d’enfants défavorisés ou handicapés. J’en connais certains personnellement, je ne peux pas leur faire faux bond.