Les Assassins (20 page)

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Authors: R.J. Ellory

Tags: #Thriller

BOOK: Les Assassins
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Elle sentit ses yeux gonfler.

Des vagues d’obscurité l’aveuglèrent par intermittence. Elle pouvait voir le sang derrière ses yeux alors que ceux-ci tentaient de s’échapper de leurs orbites.

Elle haletait de façon hystérique, mais Errol maintint son étreinte, toujours plus puissante, jusqu’à ce qu’elle ait l’impression que les pouces et les autres doigts se rejoignaient au milieu de sa gorge.

Elle voulut lever les bras, mais déjà ses forces la lâchaient. Elle réussit à hisser une main, les ongles prêts à raviner le visage d’Errol, mais ce dernier s’en aperçut, amena la tête de Carol-Anne vers lui et l’envoya cogner contre la vitre. Elle perdit aussitôt connaissance, un court instant, comme un bref black-out – mais elle rouvrit rapidement les yeux et comprit qu’elle était vivante. Le visage d’Errol était à quelques centimètres du sien. Il semblait calme, comme si tout ça n’était pas plus compliqué que de commander un café, et elle s’aperçut qu’il souriait. Il était difficile de lire ses pensées. Il avait encore l’air gentil, compatissant même, comme s’il pensait faire quelque chose de difficile, et néanmoins d’absolument nécessaire – comme si quelqu’un
devait
le faire, et que ce quelqu’un, c’était lui.

Si Carol-Anne Stowell avait été plus forte, si son système immunitaire avait été moins dévasté, si ses muscles n’avaient pas été ravagés et son système respiratoire tellement affaibli, elle aurait pu vivre encore quelques instants. N’importe comment, elle n’était pas de taille à résister à son agresseur dont la force était bien supérieure à la sienne, et dont les gestes résolus indiquaient clairement qu’elle n’avait aucune chance de s’en sortir vivante.

Ainsi fut ce cinquième anniversaire du 11 Septembre. 27 ans ; si peu de chose à l’échelle d’une existence. Carol-Anne Stowell capitula et cessa de respirer. Peut-être même que d’une certaine façon elle fut soulagée. La dope n’était rien, comparée à la mort. La mort était certainement le plus puissant de tous les speeds.

16

  L
e lundi soir, la brigade criminelle du commissariat n
o
 7 de New York, représentée avec talent par l’inspecteur Eric Vincent, n’avait presque rien à se mettre sous la dent.

La fille était une prostituée, indéniablement, découverte un peu après 6 heures du matin par un docker, près du quai 67, à quelques mètres de la 12
e
 Avenue. Une heure et demie plus tard, les policiers connaissaient son nom et avaient retracé ses faits et gestes jusqu’aux abords du quartier des théâtres. Hormis un éventuel lien avec une berline bleue, ils n’avaient rien. Eric Vincent interrogea huit filles. Cinq d’entre elles parlèrent d’un type à bord d’une voiture qui avait ralenti pour leur demander leur âge, rien de plus. Elles lui avaient toutes répondu, il avait douté de leur sincérité, elles lui avaient finalement dit la vérité, il était reparti. Dans ce métier, ce n’était pas rare de voir un client demander telle taille, telle couleur de cheveux, tel tour de poitrine. L’âge, c’était un peu moins courant ; mais dans ce métier, au bout d’un moment, même les exigences les plus bizarres finissaient par paraître normales. Une description ? Aucune n’avait vu son visage. La vitre était juste assez baissée pour qu’il puisse, lui, les voir, poser sa question et entendre la réponse.

Carol-Anne Stowell avait été étranglée. Son cadavre, jeté du haut du quai, avait été retrouvé sur les berges en gravier de l’Hudson. Elle gisait sur le flanc gauche, en position semi-fœtale. Elle portait un jean Calvin Klein baissé sur les chevilles. Un débardeur blanc avec des bretelles rouges avait été enroulé autour de son poignet droit, et une paire de claquettes bleues fut récupérée non loin de là. Outre les contusions sur son cou, une abrasion au genou et une bosse sur un côté de sa tête, une poignée de cheveux avait été arrachée et ses yeux, retirés. Le TSC arriva, prit des photos, récupéra des éléments sur la zone, mais le corps dut être déplacé. Les eaux du fleuve montaient et la scène de crime allait bientôt disparaître.

Eric Vincent nota tout ce qu’il put relever et informa le TSC qu’il superviserait l’autopsie. Tandis que le fourgon du coroner s’éloignait, l’inspecteur resta quelques instants devant la 12
e
 Avenue. Ce n’étaient pas les orbites énucléées qui le dérangeaient, ni la mèche de cheveux arrachée – c’étaient les claquettes. Personne ne travaillait en claquettes, surtout pas les prostituées de New York. Cela signifiait donc que quelqu’un l’avait déguisée avant ou après sa mort. Et si quelqu’un l’avait déguisée, alors les policiers n’avaient affaire ni à un opportuniste, ni à un client honteux qui ne supportait pas l’idée que la fille puisse raconter à autrui ce qu’il lui avait fait. Ni, non plus, à son maquereau, furieux qu’elle ait, par exemple, décidé d’arrêter le tapin. Non, ils avaient affaire à un crime prémédité, à un personnage inventif. Et les inventifs étaient toujours les pires.

 

Irving était en retard. Un jeune type qui ne devait pas avoir plus de 25 ans s’était écroulé au Carnegie’s, après une crise d’épilepsie. Irving avait donné un coup de main, l’avait couché par terre, avait éloigné les gens qui s’approchaient, mus par une curiosité étouffante, et attendu l’arrivée des secours. Le gamin allait déjà mieux, mais ils l’avaient quand même emmené. Il avait remercié Irving sans savoir de quoi.

Irving arriva au bureau un peu après 10 heures. L’agent de faction – un certain Sheridan – lui remit une enveloppe en papier kraft.

Irving haussa les sourcils. « Qu’est-ce que c’est ?

— Comment voulez-vous que je sache ? Un type est venu l’apporter. Je lui ai demandé s’il voulait vous voir, il m’a répondu que non. Et puis il est reparti. Affaire classée.

— Il était quelle heure ?

— Il y a une demi-heure. Quarante minutes, peut-être. »

Irving sourit, remercia Sheridan et ouvrit l’enveloppe en montant à son bureau.

Il lui fallut deux bonnes minutes pour comprendre de quoi il s’agissait. Manifestement, les pages imprimées provenaient d’un site Internet dont le nom figurait en bas à gauche.

 

Quelque part dans les profondeurs de l’enfermement solitaire, à la prison de Sullivan, Fallsburg, État de New York, se trouve un certain Arthur John Shawcross. Son nom vient de l’anglais médiéval crede cruci, littéralement « croyance en la croix ». Mais rien n’aurait pu être plus éloigné de la vérité. Surnommé le Monstre des Rivières par les médias, Shawcross est soupçonné d’être l’auteur d’au moins cinquante-trois meurtres, bien que seuls treize d’entre eux lui aient été formellement attribués. Sadique, cambrioleur, violeur, pédophile, voleur à l’étalage, exclu du système scolaire, il fut arrêté une première fois en décembre 1963, encore adolescent, après avoir pénétré par effraction dans un magasin Sears Roebuck. Il échappa à la prison mais écopa de dix-huit mois en liberté surveillée. À 17 ans passés, il avait déjà développé certaines particularités et tendances comportementales. Il parlait d’une voix aiguë, enfantine. Il avait l’habitude de marcher « par raccourcis », se déplaçant d’un pas rapide, balançant ses bras le long du corps comme à la fanfare de l’école, le corps bien droit, les bras raides, piétinant tout ce qui se trouvait sur son chemin. En secret, il aimait la compagnie d’enfants beaucoup plus jeunes. Il jouait avec leurs jouets. Très maladroit, il perdit conscience en sautant à la perche, fut percuté par un disque qui lui provoqua une fracture du crâne, s’électrocuta à plusieurs reprises avec des appareils défectueux, fut touché par un marteau, tomba d’une échelle et fut hospitalisé après avoir été heurté par un camion en pleine rue.

Irving survola encore une demi-douzaine de paragraphes. Puis, quelques pages plus loin, son œil fut attiré par un passage surligné :

 

Anne-Marie Steffen, 27 ans, était une prostituée héroïnomane qui avait plongé dans la drogue après la mort de sa sœur paralytique. D’après les différents témoignages recueillis, elle fut aperçue en vie pour la dernière fois le samedi 9 juillet 1988, sur Lyell Street. Grâce à des éléments circonstanciels et au témoignage ultérieur d’Arthur Shawcross, on sait que ce dernier rencontra Steffen devant le Princess Restaurant, sur Lake Avenue, puis marcha avec elle jusqu’à un endroit situé derrière le YMCA. Un peu plus tard, il l’emmena au Driving Park dans sa voiture et, pendant qu’elle lui faisait une fellation, l’étrangla. Une fois morte, il jeta son corps dans les gorges de la Genesee. Anne-Marie Steffen fut retrouvée gisant sur son flanc gauche, en position fœtale, avec un jean Calvin Klein retourné et baissé aux chevilles. Un débardeur blanc avec bretelles rouges était attaché autour de son poignet, et une paire de claquettes bleues fut retrouvée à proximité, avec confirmation qu’elles appartenaient à la victime. Une grosse touffe de cheveux avait été arrachée et ses yeux n’étaient plus dans leurs orbites.

 

Irving décrocha le téléphone et appela le standard.

« Aucune femme assassinée cette nuit ? demanda-t-il à Sheridan.

— Rien pour l’instant… Je n’ai pas encore reçu les rapports de toutes les unités, mais que je sache, rien. Pourquoi ?

— Je pense qu’il y a pu en avoir un. Je vais vérifier les rapports inter-commissariats. »

Il raccrocha et consulta son ordinateur.

Il y avait eu deux morts : l’une au n
o
 11, l’autre au n
o
 7. La première était une femme d’âge mûr, blessure mortelle par balle, et on attendait encore que le coroner détermine s’il s’agissait d’un suicide ou d’un meurtre. Le rapport du n
o
 7 était un peu vague, mais suffisamment consistant pour qu’Irving passe un coup de fil.

Lorsqu’il tomba sur le standard du n
o
 7, il sentit les poils sur sa nuque se hérisser.

« On a une prostituée, je crois. Eric Vincent était sur le coup… Il est peut-être encore là. Ne bougez pas. »

Irving attendit, de plus en plus tendu, de plus en plus mal à l’aise.

« Vincent à l’appareil.

— Inspecteur Vincent, ici Ray Irving, du n
o
 4.

— Qu’est-ce qu’il se passe ? Je suis sur le point de rentrer de chez moi.

— Je n’en aurai pas pour longtemps. Je voulais juste avoir deux ou trois renseignements sur votre meurtre.

— La prostituée ?

— C’était une prostituée ? Vous en êtes sûr ? »

Irving sentit le sourire sardonique à l’autre bout du fil. « Franchement, Ray, si elle n’en était pas une, alors elle avait un vrai problème de style.

— Où est-ce qu’elle a été retrouvée ?

— Devant le quai 67… Pourquoi ?

— Je pense avoir une piste, mais je voulais juste vérifier deux ou trois détails.

— Je comprends, je comprends… Qu’est-ce que vous voulez savoir ?

— Elle a été étranglée ?

— D’après les marques sur son cou, il semblerait que oui. Ou alors étranglée jusqu’à s’évanouir, et elle s’est cassé le cou en tombant du quai. Il faudra attendre le rapport d’autopsie.

— Et ses vêtements ?

— Ses vêtements ?

— Oui… Comment était-elle habillée ? »

Vincent mit du temps à répondre.

C’est ce silence qui permit à Irving de comprendre.

« Eh bien, c’est ça qui est bizarre. D’après ce qu’on sait, elle était en train de travailler dehors, mais elle portait un jean et des claquettes… »

Irving fut pétrifié sur place.

« Et un débardeur, mais noué autour de son poignet, allez savoir pourquoi… »

Irving déglutit péniblement et prit une longue inspiration. « 27 ans, c’est ça ? Et les yeux arrachés ? »

Vincent ne répondit pas.

« Eric ?

— Bordel, mais comment est-ce que vous savez ça ?

— Parce que je pense qu’il peut s’agir d’un tueur en série, dit Irving.

— Vous avez trouvé une autre victime énucléée ?

— Non, mais il y a un rapport avec certaines affaires plus anciennes.

— Conclusion ? Vous m’enlevez cette affaire ? Parce que si vous pouviez faire ça, je vous en serais très reconnaissant.

— Je ne sais pas encore, fit Irving. Je ne sais pas encore ce que je vais faire, il faut que je parle avec mon capitaine, voir si on peut collaborer sur ce coup-là. Vous dites que vous avez terminé votre service pour aujourd’hui ?

— C’est l’anniversaire de mon fils. Un moment important. Je ne peux pas…

— Pas de problème, l’interrompit Irving. Je m’en occupe. Mon capitaine va devoir discuter avec le directeur. Dieu sait combien de temps ça va durer et Dieu sait s’il en sortira quelque chose ou pas… Enfin, vous connaissez la chanson. Vous avez un numéro où je peux vous joindre ? »

Vincent lui donna son numéro de portable.

« Comment s’appelait la fille ? demanda Irving.

— Carol-Anne Stowell.

— Et quand est-ce qu’on l’a retrouvée ?

— Ce matin, vers 6 heures. »

Vincent inspira bruyamment. « Ça commence à faire peur, cette histoire. Qu’est-ce que c’est que cette saloperie ?

— Je pense que le type qui a fait le coup recherchait un genre de fille en particulier, et d’un âge très précis.

— Ça paraît logique. On a interrogé plusieurs filles. Cinq d’entre elles ont parlé d’un client dans une berline bleu nuit. Il leur a demandé leur âge et il est reparti, jusqu’à ce qu’il trouve Carol-Anne.

— Aucune d’elles n’avait 27 ans, c’est pour ça. Il lui fallait une fille de 27 ans, et il avait emporté les vêtements avec lui. Ceux de Carol-Anne sont peut-être quelque part, mais il y a de fortes chances pour qu’il soit reparti avec après l’avoir tuée.

— Et c’est un tueur en série ? Combien de meurtres, pour l’instant ?

— Autant qu’on sache, avec votre prostituée, ça ferait un total de huit victimes. »

L’inspecteur Vincent siffla entre ses dents. « Qu’est-ce que ça veut dire ? Il essaie de battre un record ? »

Irving sourit. « J’espère que non. Aujourd’hui, j’ai lu un texte sur un charmant jeune homme qui est censé en avoir tué cinquante-trois.

— Bon, d’accord, je vous le laisse. Je vais filer à mon goûter d’anniversaire, si ça ne vous embête pas. »

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