Les Assassins (23 page)

Read Les Assassins Online

Authors: R.J. Ellory

Tags: #Thriller

BOOK: Les Assassins
10.01Mb size Format: txt, pdf, ePub

Farraday se pencha en avant. « On n’a pas affaire au Zodiaque. Je crois qu’on peut exclure cette piste sans la moindre hésitation. »

Un murmure approbateur parcourut l’assistance.

« Qu’est-ce qu’on fait, alors ? lança Vincent.

— Il me paraît évident qu’on va demander un mandat de perquisition chez ce groupe du Winterbourne, dit Lavelle.

— En vertu de quoi ? demanda Farraday. Parce qu’ils sont bien trop intelligents pour leur propre bien ?

— Pour
notre
propre bien, interjeta Lucas. Ce taré de merde nous fait passer pour une bande de gros cons.

— Élégant », commenta Hannah Doyle, caustique.

Lucas répondit par un sourire gêné et leva la main d’un air confus. « Pardon. J’avais oublié que je n’étais pas seul.

— Je vais retourner là-bas, dit Irving. Ils se réunissent ce soir…

— Vous avez parlé à ce type, oui ? » demanda Lucas.

Irving confirma d’un signe de tête.

« Comment vous l’avez trouvé ?

— Oh, vous savez, je vis à New York… J’ai l’impression que tout le monde est fou. »

Les autres murmurèrent et échangèrent des commentaires entre eux. L’espace d’un instant, il sembla que la petite saillie d’Irving permit de faire baisser la tension. Jusque-là, aucun d’entre eux ne l’avait vraiment perçue, et pourtant elle était bien palpable. Huit victimes. Ils savaient très peu de choses et ils avaient conscience que c’était synonyme de presque rien.

« Il a, je dirais, quelque chose comme la quarantaine, commença Irving.

— Vous avez dit que c’était un rescapé, c’est ça ? demanda Hannah Doyle. Un rescapé de quoi ? »

Irving se cala au fond de son siège et croisa ses deux mains sur son ventre. « Est-ce que quelqu’un parmi vous a déjà entendu parler des meurtres du Marteau de Dieu ? »

Lavelle leva la main. « Au début des années 1980, si je me souviens bien. C’était où, déjà ? À Jersey City ?

— Exactement. Un type du nom de Robert Clare. Il a tué cinq personnes, tous des adolescents, des petits couples en train de fricoter. Il leur cassait la tête avec un marteau. Notre bonhomme, ce fameux John Costello, est le seul à en avoir réchappé. Sa petite amie, Nadia McGowan, n’a pas eu cette chance. Lui avait 16 ans, elle en avait un ou deux de plus. Costello a été grièvement blessé, il a passé du temps à l’hôpital, mais il s’en est sorti.

— Clare s’est fait attraper, n’est-ce pas ?

— Il s’est fait attraper, confirma Irving, en décembre 1984. Mais il s’est suicidé juste avant son procès. Il s’est pendu dans un hôpital psychiatrique.

— Et votre impression concernant ce Costello ?

— Je ne l’ai vu qu’une fois. Il savait où j’ai mes habitudes pour déjeuner et m’a demandé de le retrouver là-bas.

— Quoi ? »

Irving afficha un petit sourire. « Il savait qui j’étais. Il savait qu’on m’avait confié l’enquête sur Mia Grant. Je suis allé voir Karen Langley au siège du
City Herald
et elle m’a avoué que c’était lui qui avait fait les recherches pour son article.

— Mais c’est quoi, son problème, à cette Langley ? demanda Lucas. Ça l’excite de faire ça ou quoi ?

— Pas la peine de s’emballer, dit Vincent. C’est une journaliste. Tous les mêmes.

— Quoi qu’il en soit, poursuivit Irving, si j’ai bien compris, cet article ne sera publié ni dans le
Herald
ni dans le
New York Times
, et à ma connaissance aucune équipe de télévision ne s’est encore pointée dans les commissariats et aucune dépêche n’est sortie là-dessus.

— C’est une question de jours, rétorqua Lucas. Une fois qu’ils auront compris qu’on collabore sur une enquête, ils nous prendront à la gorge.

— On s’éloigne du sujet, dit Vincent. La question est de savoir si ce Costello est suspect ou non.

— Pour l’instant, pas moins qu’un autre. Mon instinct me dit que non, mais je peux me tromper. Si c’est notre homme, alors il est particulièrement doué pour ne rien lâcher.

— Bon, définissons un plan d’action, intervint Farraday. Puisque le n
o
 4 a deux affaires distinctes sur les bras alors que les n
os
 9, 5, 7 et 3 n’en ont qu’une chacun, je propose que le centre de coordination provisoire soit installé ici. Des objections ? »

Il n’y en avait pas.

« Bien, je m’adresse maintenant aux TSC et aux légistes : qui parmi vous a le plus d’expérience en la matière ? »

Turner leva la main. Il était de toute évidence le plus âgé du groupe.

« OK. Est-ce que quelqu’un s’oppose à ce que Jeff Turner supervise toutes les questions liées à la médecine légale et à la police scientifique ? »

Une fois encore, personne n’émit la moindre réserve.

« Parfait. Je résume. Irving et Turner mettent en commun leurs ressources. J’envoie un compte-rendu au directeur Ellmann ce soir. On fait taire Karen Langley au
City Herald
et on passe un accord avec les gars du
New York
Times
pour qu’ils ne fassent rien de la lettre du Zodiaque tant qu’il y aura une enquête en cours. Toute question de la part des journalistes, toute demande de déclaration ou de rendez-vous passe directement par moi… Et n’essayez même pas de faire les malins en répondant “pas de commentaire”. Si vous dites ça, ils comprennent qu’on est sur une piste. Si on vous demande l’objet de cette réunion, répondez qu’il s’agissait de la sécurité du maire pendant sa campagne électorale. L’essentiel est de rester silencieux et discret. On s’est emmerdés à garder cette enquête pour nous et je veux que ça reste comme ça. Les unes des journaux, je peux vraiment m’en passer, si vous voyez ce que je veux dire.

— Et John Costello ? demanda Lavelle.

— Je m’occupe de Costello et du groupe du Winterbourne », indiqua Irving.

Farraday se leva. « Je propose qu’on passe au crible tous les tueurs en série depuis cinquante ans. On établit une base de données et on recense les dates de tous leurs meurtres commis entre maintenant et Noël. Je sais : ça va être un cauchemar. Même s’il est impossible de prévoir quel meurtre notre cher ami va rééditer, si on sait qu’aucun meurtre n’a été commis entre, disons… aujourd’hui et mardi prochain, au moins on a un peu de temps pour souffler. »

Il s’arrêta une seconde pour regarder dans les yeux chacune des personnes présentes. « Des questions ? »

Pas de questions. Sans attendre, tout le monde se leva et se déplaça pour discuter. Le brouhaha devint si fort que Ray Irving entendit à peine Farraday lui dire : « Faites-les dégager, nom de Dieu… Vous pouvez faire ça pour moi ? »

Farraday n’attendit même pas la réponse. Il se contenta de rajuster sa veste, de contourner le groupe des inspecteurs et des TSC, puis il quitta la pièce.

Irving resta planté là pendant quelque temps, essayant de se rappeler à quoi ressemblait sa vie avant le 3 juin.

19

  « V
ous avez reçu l’enveloppe ? » demanda John Costello.

Il était sur le trottoir devant le Winterbourne Hotel. Il adressa un sourire à Ray Irving, comme s’il s’agissait des retrouvailles inopinées entre deux vieux amis.

« Oui.

— Shawcross, c’est ça ?

— Exact.

— J’imagine que ça a dû énerver quelques personnes. »

Irving acquiesça. Pendant un long moment, il scruta John Costello. On aurait cru qu’il le voyait pour la première fois.

Costello était de taille moyenne, peut-être autour d’un mètre soixante-quinze. Il s’habillait bien – un beau pantalon, une veste, une chemise blanche propre et repassée. Ses cheveux étaient coupés avec soin, il était rasé de frais et ses souliers étaient cirés. Il ressemblait à un architecte, à un écrivain, peut-être même à un publicitaire qui se serait fait un nom grâce à des campagnes réussies et qui s’occuperait désormais de conseiller les autres.

Il n’avait rien d’un tueur en série passant ses journées à rééditer d’anciens crimes avant d’y consacrer des articles de journaux.

D’un autre côté, pensa Irving, qui ressemblait à ça ?

« Vous avancez un peu ? demanda Costello.

— Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise, monsieur Costello ? »

Ce dernier jeta un coup d’œil au bout de la rue, comme s’il attendait quelque chose. « Je ne sais pas, inspecteur… Disons que j’ai encore dans l’idée que la police a toujours un coup d’avance sur les autres.

— Les
autres
 ?

— Oui, tous les Shawcross, les McDuff et les Gacy du monde. Ce n’est pas agaçant d’être toujours en train de courir après ceux qui ont commis des horreurs au lieu de les attraper avant qu’ils recommencent ?

— Il faut peut-être partir de l’idée que ceux que nous arrêtons ne pourront plus commettre d’autres horreurs. On ne peut pas revenir sur ce qui s’est passé, mais on peut sauver des vies. »

Costello ferma les yeux, puis eut un sourire résigné. « Si vous espériez voir les autres personnes qui participent à notre petite réunion, je les ai fait partir par la porte de service. Je ne suis pas en grande faveur auprès d’eux en ce moment.

— Parce que ?

— Parce que j’ai enfreint une règle fondamentale.

— À savoir ?

— Que rien ne doit sortir du groupe.

— Ça ne me paraît pas très responsable.

— Question de point de vue, répondit Costello. Je suis le seul membre du groupe dont l’agresseur n’a pas refait des siennes. L’homme qui s’en est pris à moi…

— S’est suicidé, c’est ça ? Robert Clare ?

— Oui, Robert Clare. Tous les autres ont survécu à une agression par quelqu’un qui a de nouveau tué.

— Donc ce n’est pas le grand amour entre votre groupe et la police.

— On peut dire ça, oui.

— Combien comptez-vous de membres ?

— En tout, nous sommes sept. Quatre femmes et trois hommes.

— Et qui le dirige ? Qui l’a fondé ?

— Un certain Edward Cavanaugh. Pour être plus précis, le groupe a évolué par rapport à son projet initial. Cavanaugh n’était pas une victime, mais sa femme l’était. Il y a vu un moyen d’obtenir un peu de soutien et d’aide de la part de gens qui, pensait-il, comprendraient peut-être ce qu’il ressentait. Sa femme a été assassinée il y a quelques années de ça, et il a lancé ce groupe comme une sorte de groupe de soutien, une fraternité, si vous préférez. Les gens qui ont répondu à son appel avaient eux-mêmes survécu à des agressions, ce qui n’était pas le cas de leurs proches ou de leurs êtres chers.

— Et Cavanaugh est encore aujourd’hui l’un des membres ?

— Non. Il s’est suicidé il y a quelque temps.

— Et comment en avez-vous entendu parler ?

— En l’an 2000, j’entretenais une relation avec une femme sur Internet. Uniquement des mails et quelques coups de téléphone, vous voyez ? Il ne s’est rien passé entre nous, mais nous avons lié une sorte d’amitié. Elle a découvert l’existence du groupe et a voulu assister à une réunion, mais ne souhaitait pas s’y rendre seule. Alors elle m’a demandé de l’accompagner et j’ai accepté.

— Et elle appartient toujours au groupe ?

— Non, elle a rencontré quelqu’un, s’est mariée et s’est installée à Boston. On ne se parle plus. Elle fait partie des chanceux.

— Comment ça ?

— Elle s’en est remise. Elle a affronté ce qu’elle devait affronter et a pu commencer une nouvelle vie. Je crois même qu’elle a eu des enfants. Mais allons boire quelque chose à l’intérieur, vous voulez ? Je peux imaginer qu’il s’agit là d’une de ces fameuses conversations officieusement officielles, et si je vous disais maintenant que je devais rentrer chez moi, vous ne seriez pas content.

— Il faut que je vous parle, monsieur Costello. Je crois que ce que vous faites est important et je veux tout savoir de ce que vous avez appris. »

Costello sourit. « Vous m’en voyez très flatté, inspecteur, mais j’ai bien peur que vous soyez déçu par ce que je sais. »

Ils marchèrent jusqu’au carrefour suivant et trouvèrent une cafétéria au croisement de la 38
e
 Rue et de la 10
e
 Avenue. Costello commanda un café sans sucre, Irving un déca.

« Je ne dors pas très bien, dit-il à Costello. Le café n’arrange rien. »

Ils restèrent assis sans rien dire pendant quelques instants, jusqu’à ce que Costello demande à Irving comment il voyait évoluer son enquête.

« Il se peut que ce ne soit plus mon enquête dès demain, répondit Irving.

— Pourquoi donc ?

— Parce qu’il y a cinq commissariats impliqués. Chaque commissariat a son capitaine, et chaque capitaine a une charge de travail et certaines ressources que le directeur de la police alloue comme bon lui semble. Du coup, toute l’affaire peut très bien être confiée à quelqu’un d’autre.

— Mais pour le moment ?

— Pour le moment ? Eh bien… En toute franchise, monsieur Costello, les personnes qui travaillent sur cette affaire s’intéressent beaucoup à vous… Et à votre groupe. Et à ce que celui-ci peut bien avoir à faire dans cette histoire.

— Ce qui est compréhensible. Mais je peux vous assurer que dans le groupe, personne n’a le moindre lien direct avec aucun de ces meurtres. Leur intérêt est purement intellectuel.

— Vous le savez, monsieur Costello, dit Irving avec un sourire, et je serais prêt à l’accepter, mais… »

Costello leva la main. Irving se tut.

« Les raisons qui nous poussent à faire ce que nous faisons sont très nombreuses. Le dénominateur commun est une volonté d’affronter ce qui nous fait peur. Ce n’est pas compliqué et ça n’a assurément rien de nouveau. Nous parlons de la mort, des personnes qui sont capables d’en tuer d’autres, et parfois, voyez-vous, les gens évoquent leurs cauchemars. Voilà ce qu’ils font, et quand ils ont surmonté leur colère et leur peur initiales, ils commencent à regarder un peu autour d’eux… À envisager la possibilité qu’il existe une vie au-delà de ce qu’ils ont connu. Un peu comme les gens qui sortent de prison, ou qui ont été torturés, ou qui ont fait la guerre… Quelque chose dans ce genre-là. Quand vous subissez une chose pareille, vous avez l’impression, pendant un certain temps, qu’il n’y a que ça dans votre vie ; et quand vous en parlez à d’autres personnes qui ont vécu les mêmes choses, alors vous commencez à vous dire que, peut-être,
il y a
quelque chose après. » Costello afficha un sourire triste. « Il s’agit simplement d’un groupe de gens qui pensent tous qu’il devraient être morts mais qui ne le sont pas… Et je vous assure que ce n’est pas facile à vivre.

Other books

A Domme Called Pet by Raven McAllan
Whatnots & Doodads by Stacey Kennedy
The Lady Submits by Chloe Cox
Path of Needles by Alison Littlewood
Paper Daisies by Kim Kelly
The Pearl Harbor Murders by Max Allan Collins
The Deepest Water by Kate Wilhelm
Moving On by Bower, Annette