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Authors: R.J. Ellory

Tags: #Thriller

Les Assassins (10 page)

BOOK: Les Assassins
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Les embouteillages aussi, il pouvait les supporter. Il était à l’heure pour son rendez-vous. Mais ce matin-là, il avait pris un deuxième café et, assis dans sa voiture sur Roosevelt Drive, il avait l’impression qu’un personnage cruel avait fait un nœud à sa vessie et lui serrait la base des intestins. Max avait beaucoup de qualités, mais il n’était pas très doué pour le petit déjeuner. Peut-être qu’il fumait trop. Quoi qu’il en soit, au réveil, la nourriture était le cadet de ses soucis. Depuis toujours. Il ne mangeait pas avant 10 ou 11 heures. Et ce matin-là, son deuxième café faisait la java dans son estomac.

Un quart d’heure plus tard, il n’avait avancé que d’une quinzaine de mètres. Il avait les mains cramponnées au volant et une fine couche de sueur était apparue sur son front. S’il ne bougeait pas de là, il avait l’impression qu’il finirait par pisser dans son froc.

Il jeta un coup d’œil à droite, vers la bande d’arrêt d’urgence. Soudain, il braqua, appuya sur l’accélérateur et fonça sur les cent derniers mètres qui le séparaient de l’embranchement. Il emprunta la route qui passait sous l’autoroute et se gara juste devant le parc de l’East River. Un ballon rempli d’eau essayait de sortir de son bas-ventre. Il hésita une seconde ou deux puis, dans un élan de spontanéité folle, coupa le moteur, sortit de la voiture et dévala la berge du fleuve vers un bosquet au bord de l’eau.

Le soulagement fut incroyable, immédiat. Il pissa avec une telle force qu’il aurait pu casser une vitre. Il pissa comme le champion du comté. La quantité qu’il déversa dépassant largement les deux tasses de café, il regarda furtivement à droite et à gauche pour s’assurer que personne ne le voyait. Mais les arbres étaient suffisamment denses pour le dissimuler, et ce n’est qu’au moment où il baissa de nouveau les yeux que son soulagement subit un violent coup d’arrêt.

D’abord il fronça les sourcils, puis, à mesure qu’il prenait conscience de ce qui se présentait devant lui, la réalité s’enfonçant dans son crâne tel le soleil dans le golfe du Mexique depuis la baie Ponce de León, il plissa les yeux et commença à se concentrer sur ce qu’il voyait. Parmi les feuilles mortes et les bouchons de bouteille, entre des morceaux de papier journal détrempés et une cannette de Coca rouillée, au milieu de toutes ces choses qu’on s’attendrait à trouver sur les bas-côtés de la route, il y avait une main humaine, paume tournée vers le ciel. Les doigts étaient tendus vers lui, presque pointés, presque accusateurs, et bien que le poignet fût dissimulé par un tas de feuilles mortes mouillées, les doigts semblaient surgir de la terre comme une plante bizarre, monstrueuse.

Max Webster avait beau être un garçon respectable, il arrosa le bout de ses vieilles godasses. Le dernier jet d’urine trempa la jambe droite de son pantalon et, à peine son engin remis à sa place, il quitta les arbres en courant, se retourna brusquement et faillit tomber, le visage blanc comme un linge, les yeux grands ouverts. Il tituba jusqu’à sa voiture, retrouva son portable dans la boîte à gants et appela les secours. Pour la première fois depuis des lustres, il jura. Quelque chose comme : « Il y a un cadavre, putain ! Putain, il y a un cadavre sous les arbres ! » À l’autre bout du fil, l’opératrice garda son sang-froid, le pria de lui expliquer où il se trouvait et ce qu’il avait vu, puis lui demanda de ne pas bouger.

Et il ne bougea pas. Il ne voulait même pas regarder derrière lui, en contrebas, vers les arbres. Il réfléchit un instant à ce qu’il leur raconterait, se demanda s’il y avait une loi qui interdisait de pisser à cent mètres de Franklin D. Roosevelt Drive. Mais en type bien qu’il était, il décréta que la vérité était la vérité. Et cette vérité, il la confia aux types qui arrivèrent dans leur véhicule de patrouille, deux jeunes flics frais émoulus de l’école de police. Le premier resta avec lui pendant que l’autre descendait au milieu des arbres pour confirmer que la main vue par Max était bel et bien une main humaine, et non pas un de ces stupides accessoires comiques jeté là par des petits farceurs.

La main était bien réelle, tout autant que le corps auquel elle était rattachée, et le policier ressortit des fourrés tout aussi choqué, tout aussi blême. Il appela le standard. L’opératrice contacta le bureau du médecin légiste ; le coroner adjoint du comté fut immédiatement dépêché sur place. Hal Gerrard – c’était son nom –, la quarantaine bien entamée, savait qu’à moins d’une intervention divine, il ne serait jamais coroner à la place du coroner, et, philosophe, il s’y était résigné depuis longtemps. Il emmena avec lui un TSC, un certain Lewis Ivens. À eux deux, ils fouillèrent toute la zone autour du cadavre et en trouvèrent un deuxième. Deux filles. Jeunes – pas plus de 16 ou 17 ans. Gerrard prit quelques notes, tomba d’accord avec Ivens pour estimer l’heure de la mort à environ vingt-quatre heures. Les filles avaient reçu deux balles : la première, une à l’arrière du crâne et une dans le torse ; l’autre en avait pris une à l’arrière du crâne, avec un orifice de sortie près de son sourcil droit, et une deuxième balle était ressortie derrière l’oreille gauche. Malgré leur jeune âge, elles portaient des tenues de travail : la première, un gilet sans manches en jean et un débardeur rose ; la seconde, des bas résille, des talons aiguilles, et une minijupe pas beaucoup plus large qu’une ceinture.

« Elles travaillaient déjà ? demanda Ivens. À leur âge ? »

Gerrard se contenta de secouer la tête, blasé. Il ne répondit pas. Il en avait vu d’autres, et il n’y avait vraiment pas grand-chose à dire.

Ils inspectèrent les alentours pour s’assurer qu’il n’y avait rien d’autre à signaler. Ils découvrirent un sac à main contenant un rouge à lèvres, un spray contre la mauvaise haleine, une petite bombe lacrymo et six préservatifs. Non loin de là, un paquet de Marlboro écrasé avec à l’intérieur trois cigarettes et une boîte d’allumettes au nom du EndZone, une discothèque. Gerrard et Ivens balisèrent la scène de crime à l’aide d’un ruban noir et jaune, prirent des photos sous tous les angles possibles et imaginables, puis demandèrent un deuxième véhicule à la morgue du comté.

À l’arrière de la voiture de patrouille, les deux policiers, John Macafee et Paul Everhardt, entendirent le bref témoignage de Max Webster. Ils prirent sa carte de visite et son numéro de portable et lui dirent qu’ils le contacteraient s’ils avaient besoin de renseignements supplémentaires. Sur ce, Max regagna sa propre voiture et téléphona au bureau. Il raconta à son responsable ce qui s’était passé, demanda à pouvoir annuler ses rendez-vous de la journée et à prendre un jour de congé. Le responsable de son secteur, un homme compréhensif et généreux, lui répondit qu’il irait aux rendez-vous à sa place. Max Webster rentra chez lui. Il entendrait parler de sa découverte dans les journaux, verrait son nom en une, raconterait son histoire encore vingt-trois fois durant divers barbecues, sauteries, garden-parties et rendez-vous professionnels. Il ne parlerait qu’une seule fois à un certain inspecteur Machin Chose Lucas, lors d’une conversation téléphonique assez courte, mais en matière d’adolescentes mortes, il avait donné, et plutôt deux fois qu’une. Plus jamais il ne but deux tasses de café le matin, et plus jamais il ne s’arrêta pour aller pisser sur le bas-côté de la route.

 

En moins d’une heure, Karen Langley, du
City Herald
, fut au courant. Un journaliste fut envoyé à la recherche de Max Webster, un autre dépêché sur place. Le premier reçut un accueil glacial de la part d’Harriet, la femme de Max. Elle lui dit en des termes on ne peut plus explicites que Max n’avait pas de commentaires à faire. Le journaliste, qui n’avait pas le bagout de Karen Langley, rentra donc bredouille. Son confrère se posta au sommet de la pente qui descendait vers les fourrés, où le ruban noir et jaune qui entourait les arbres interdisait tout accès à la zone, et se demanda quoi faire. Il prit deux ou trois photos, mais des agents postés là ne lui permirent pas d’approcher davantage.

Karen Langley appela le bureau du coroner, enjôla Gerrard et décrocha le scoop sur les deux jeunes filles mortes.

Elle téléphona ensuite à John Costello. Lequel resta silencieux un long moment.

« John ?

— Le calibre. Elles ont été abattues, c’est ça ? J’ai besoin de connaître le calibre.

— Je n’ai pas demandé cette information. Pourquoi en avez-vous besoin ? »

Costello retomba dans le silence. Karen Langley l’entendait respirer à l’autre bout du fil.

« Vous pouvez vous renseigner, Karen ? Sur le calibre de l’arme avec laquelle elles ont été tuées ? Vous pouvez voir s’il s’agit d’un .25 ?

— Je ne sais pas, John… Je vais rappeler Gerrard.

— Oui, ce serait bien. »

Karen raccrocha, soucieuse. Costello était sans conteste un homme aussi étrange que remarquable. Extraordinairement intelligent, doté d’une mémoire fabuleuse, une encyclopédie vivante, un puits de science, il savait une infinité de choses, pour la plupart sinistres et dérangeantes. Elle connaissait son histoire, avait lu les articles sur le Marteau de Dieu. Elle l’avait interrogé une fois sur le sujet, mais il s’était montré peu prolixe et lui avait fait comprendre qu’il ne souhaitait pas en parler. En tout cas, après une vingtaine d’années passées dans le journalisme, elle n’avait jamais eu un enquêteur comme John Costello. Ne voulant pas le perdre, elle n’avait jamais insisté.

Elle tenta de joindre Hal Gerrard. Il était indisponible. Elle appela Ivens.

« Je ne peux pas vous le dire, Karen… C’est classé confidentiel, voyez-vous ?

— Il faut que je sache si c’est un .25, Lewis. Rien de plus. »

Lewis Ivens se tut. Il réfléchissait. Lorsqu’il finit par répondre, Langley sentit quelque chose dans sa voix. « Vous voulez savoir si elles ont été abattues avec un calibre .25 ?

— Oui, un .25. »

Nouveau silence d’Ivens.

« Si je disais au hasard qu’elles ont été abattues avec un .25, est-ce que je ferais une erreur ? » continua Langley.

Ivens prit une grande bouffée d’air, puis expira lentement. « Si vous disiez
au hasard
qu’elles ont été abattues avec un .25, ça ne me choquerait pas.

— Je vous remercie, Lewis. Vraiment.

— Pas de quoi. On ne s’est pas parlé aujourd’hui. Je ne vous connais pas. On ne s’est jamais rencontrés.

— Je suis désolée… Je crois que j’ai fait un faux numéro. »

Langley raccrocha, puis décrocha aussitôt pour appeler Costello.

« Un .25, lui dit-elle d’emblée.

— Et elles étaient deux ? Des adolescentes, c’est ça ?

— Que je sache, oui.

— Bien, bien, bien… Laissez-moi m’en occuper. J’aurai peut-être quelque chose pour vous dans quelques jours.

— Quoi donc ? À quoi pensez-vous ?

— Quelque chose. Rien. Je ne sais pas encore. Avant d’en être sûr, il faut que j’en trouve un autre.

— Un autre quoi, John ? Trouver un autre quoi ?

— Laissez-moi m’en occuper… Je vous dirai si ça rime à quelque chose. Si je vous en parle maintenant, vous allez vous emballer et m’emmerder avec ça.

— Allez vous faire foutre, John Costello.

— Oh, mais quelle vulgarité ! »

Au moment où il raccrocha, elle l’entendit éclater de rire.

5

  P
eu après 13 heures, le lundi 12 juin 2006, au bureau du coroner du comté, les corps d’Ashley Nicole Burch, 15 ans, et de Lisa Madigan Briley, 16 ans, furent formellement identifiés par Hal Gerrard, le coroner adjoint. Lewis Ivens était là, ainsi que Jeff Turner, le TSC en charge du meurtre de Mia Grant. Il n’y avait aucune similitude entre les deux affaires – Turner n’était présent que parce qu’il connaissait personnellement Ivens. Durant l’après-midi, ils devaient assister à la conférence d’un certain Dr Philip Roper, du département des enquêtes scientifiques, bureau des services au personnel, sur
L’Analyse des projectiles à l’origine non répertoriée : plats, rainures, rayures, stries
. Ils partirent ensemble à 13 h 20, achetèrent un café chez Starbucks et filèrent vers l’ouest dans la voiture d’Ivens. Hal Gerrard appela l’inspecteur Richard Lucas, du commissariat n
o
 9, celui-là même qui avait eu une brève discussion téléphonique avec Max Webster.

« J’ai retrouvé vos deux gamines, lui dit-il. Les rapports sont terminés, du moins concernant les informations dont vous avez besoin. Deux tirs chacune, à bout portant, avec un calibre de .25… On vérifie les balles dans la base de données, mais vous connaissez la musique, n’est-ce pas ? »

Lucas demanda si quelqu’un s’était chargé d’annoncer la nouvelle aux parents.

« Aucune idée… C’est votre domaine de compétence, cher ami. Alors sentez-vous libre de le faire. »

Lucas voulut savoir si on avait retrouvé des traces de drogues dans les corps.

« De l’alcool, en grosse quantité. À mon avis, elles ne devaient plus marcher tout à fait droit. Mais pas de drogue. »

Ils se dirent au revoir et la conversation s’arrêta là.

Lucas contacta alors une des policières, lui demanda d’aller chercher les rapports d’autopsie, ainsi que les adresses des victimes, attendit son retour et la pria de l’accompagner. Les adresses en question étaient toutes deux situées dans le même pâté d’immeubles : la résidence dite Chelsea Houses, sur la 9
e
 Avenue, à Chelsea Park.

Comme toujours lors de ces visites en pleine journée, les pères étaient souvent au travail, si bien qu’il revenait aux mères d’apprendre la terrible nouvelle et de répondre aux questions. Ashley Burch avait dit à ses parents qu’elle dormirait chez Lisa Briley. Lisa Briley avait expliqué à ses parents qu’elle passerait la nuit chez Ashley. Astuce vieille comme le monde, mais les vieilles astuces étaient encore les meilleures. Elles s’étaient manifestement habillées comme des prostituées, étaient allées au EndZone, avaient bu comme des trous, et ensuite… Elles avaient croisé quelqu’un, et ce quelqu’un s’est révélé être la dernière personne qu’elles aient vue.

Lucas demanda qu’une autre policière du n
o
 9 le rejoigne et qu’une autre reste auprès des deux mères, en attendant que les pères soient contactés et rentrent du travail. Il se rendit alors au EndZone, montra des photos des filles, déroula la procédure classique, fit pression sur le patron parce qu’il avait servi à boire à des mineures. Cela ne mena nulle part. Ce soir-là, l’établissement était bondé, soit la capacité maximale de mille six cents personnes. Ça avait été une bonne soirée.

BOOK: Les Assassins
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