Les Assassins (5 page)

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Authors: R.J. Ellory

Tags: #Thriller

BOOK: Les Assassins
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Et qui que ce fût, il resta là un moment, sans parler, sans prononcer un mot. John ouvrit la bouche pour demander ce qui se passait, et c’est alors que…

 

« Il a simplement levé la main et j’ai vu qu’il tenait quelque chose…

— Mais vous ne saviez pas quoi ?

— Pas tout de suite. Pas avant qu’il abatte sa main et… qu’il dise ces mots… »

Gorman plissa le front. « Il a dit quelque chose ? »

John hocha la tête. « Oui. Il a dit : “Je suis le Marteau de Dieu.” Et c’est là que j’ai vu qu’il tenait en effet un marteau dans sa main. »

Gorman prit des notes sur son calepin. « Et son visage ? »

John voulut secouer négativement la tête, en une réaction instinctive à la question, mais s’aperçut qu’il n’en était pas capable sans s’infliger une douleur violente à la nuque. « Je n’ai pas vraiment vu son visage. Il n’y avait que l’obscurité, et ensuite l’impression d’un visage dans l’obscurité. Ce n’était pas comme si je regardais vraiment quelqu’un.

— Et il a d’abord frappé Nadia ? »

John voulut pleurer – impossible. Ses yeux souffraient d’être secs. La douleur, les bandages autour de sa tête – il les sentait parfaitement, mais il n’arrivait pas à sentir l’émotion qu’il cherchait. Il avait dérivé dans un état d’inconscience, et tout ce temps passé possédait cette ressemblance avec l’incertitude bizarre des rêves. Les images. Les sons. La compréhension soudaine de ce qui se passait. Le fait que cet homme avait abattu son marteau sur la tête de Nadia à une telle vitesse, avec une telle détermination. Un seul coup, ininterrompu… Un coup d’une telle violence qu’elle avait eu la tête fendue jusqu’à la mâchoire.

« Elle est morte avant même de se rendre compte de ce qui se passait, lui avait dit Geraldine Joyce, l’infirmière. Croyez-moi, je le sais. » Elle avait dit ça pour le consoler, pour lui faire comprendre qu’elle n’avait pas souffert, que l’homme au marteau avait eu assez de cœur, de générosité et de compassion pour s’assurer être preste, définitif, précis et net dans son assassinat de Nadia McGowan. Fais-le d’un coup. Fais-le bien. Telle était sa philosophie.

Je suis le Marteau de Dieu.

« Oui, murmura John. Il a d’abord frappé Nadia… »

Et pendant un petit moment, quelques secondes, John ne comprit pas ce qui s’était passé.

Aucun point de référence. Aucun moyen de s’expliquer ce qu’il était en train de voir.

L’ombre se leva derrière Nadia. Un homme. Un homme avec un visage, et sur ce visage des yeux qui le fixèrent avec un tel néant, une telle absence de lumière, qu’il était impossible de savoir ce que cet homme voulait. Il se contenta de rester là, et il eut un vague sourire, un vague petit sourire bizarre à la commissure de ses lèvres – le genre d’expression qu’on attendrait de celui qui va vous raconter une blague, une anecdote amusante, qui connaît la chute et qui s’apprête à vous la balancer en pleine face.

Mais non.

Il resta un instant immobile, puis sa main remonta sur un côté. Il leva son bras et l’abattit avec une force incroyable, et le marteau atteignit le sommet du crâne de Nadia, un peu au-dessus du front. L’espace d’un instant, elle sembla ne rien sentir du tout, mais au bout d’une seconde, peut-être un peu moins, un mince filet de sang, minuscule, aussi ténu que du fil, se fraya un chemin à partir du point d’impact et coula le long du nez, et puis le filet s’épaissit, comme si quelqu’un ouvrait lentement un robinet, et l’expression de Nadia McGowan changea, et la lumière dans ses yeux s’évanouit, et John essayait de comprendre ce qu’il était en train de voir, et le sang se mit à couler sur la joue de Nadia, sur son œil, et Nadia, affolée, leva par réflexe la main pour l’essuyer.

Le dos de sa main toucha sa joue. Comme si ce geste lui avait fait perdre l’équilibre, elle se pencha sur le côté, juste à temps pour que l’homme répète cette phrase : « Je suis le Marteau de Dieu. »

Sa voix était calme et assurée. Il abattit son marteau une deuxième fois pour toucher le côté de la tête de Nadia, juste au-dessus de l’oreille, avec le bruit de quelque chose qui tombe de très haut, de quelque chose qui touche le trottoir après une chute du sixième étage, de quelque chose de tellement puissant qu’elle ne s’en remettrait jamais…

Au moment où John Costello sentit la main de Nadia lâcher la sienne, où il se leva du banc et tenta de l’empêcher de tomber, il vit ce bras se lever une fois encore, vit la lueur fugace d’un lampadaire jaune se refléter sur le bout métallique du marteau à panne bombée, et il entendit l’homme dire pour la troisième fois…

 

« “Je suis le Marteau de Dieu.”

— Et c’est là qu’il vous a frappé ? » demanda Gorman.

John attendit avant de répondre, puis il regarda de près le policier, comme pour comprendre le motif et les raisons.

« Est-ce qu’on peut revenir en arrière une seconde ? demanda Gorman. Après qu’il a frappé pour la deuxième fois ? J’essaie de savoir s’il a dit autre chose.

— S’il a dit autre chose, je ne l’ai pas entendu. »

Gorman griffonna sur son calepin. « Et ensuite ? »

John tenta de se mettre debout, de tendre le bras vers Nadia, de garder une main levée pour contrer les coups qui pleuvaient, mais le Marteau de Dieu se tourna et s’abattit sur lui comme la foudre. John put parer le premier coup avec sa main – son poignet fut démoli. Le deuxième coup heurta son épaule, le troisième son bras. John Costello pissait le sang, il hurlait, il savait qu’il allait mourir…

Il tomba sur le côté. Son genou heurta le bord du banc. Pendant quelques instants, il hésita entre sa survie et le besoin instinctif de protéger Nadia face à une nouvelle attaque – même s’il savait déjà que les coups l’avaient tuée.

Il voulut se relever, empoigner le dossier du banc, mais le marteau ricocha sur son oreille, puis sur un côté de sa nuque, lui brisa la clavicule et le fit tomber au sol comme un poids mort.

C’est alors qu’il entendit le cri.

Quelqu’un criait.

Ce n’était pas Nadia, ce n’était pas lui non plus. Le bruit provenait du trottoir d’en face…

Et le fait que quelqu’un ait vu l’agression sur le trottoir d’en face, le fait qu’une femme ait vu ce qui se passait et ait crié – c’est uniquement pour cette raison qu’il avait survécu.

Le marteau s’abattit encore une fois et s’apprêtait à recommencer lorsque la femme hurla. John Costello fut touché sur un côté du visage, avec assez de force déployée contre sa mâchoire, juste sous l’oreille, pour que son système nerveux se déconnecte.

Ensuite, il ne vit plus rien. Rien du tout.

Tout ne fut que froid et ténèbres, et odeur du sang, odeur des chiens, et bruit de pieds qui partent en courant.

John mit beaucoup de temps avant de se réveiller. À son réveil, le monde avait changé.

 

Gorman se retourna soudain ; quelqu’un avait ouvert la porte.

L’infirmière Geraldine Joyce. « Il faut arrêter maintenant, dit-elle doucement. Il a besoin de repos. »

Gorman hocha la tête, se leva et se pencha vers John Costello. « On se reparlera », dit-il avant de le remercier pour son temps et de lui exprimer ses condoléances pour la fille. Sur ce, il s’éloigna et quitta la chambre sans un regard derrière lui.

Les jours qui suivirent, il vint quatre ou cinq fois ; ils reparlèrent de ces quelques minutes.

Ce fut l’infirmière Joyce qui apporta le journal le mercredi suivant.

Elle le laissa sur le bord de la petite table, à côté du lit de John Costello. Il le trouva là à son réveil.

 

 

JERSEY CITY TRIBUNE
Mercredi 5 décembre 1984
Arrestation dans l’affaire des assassinats au marteau

 

Dans une déclaration faite aujourd’hui, le bureau du procureur du district de Jersey City a confirmé qu’une personne avait été arrêtée dans le cadre de l’enquête sur les récents assassinats au marteau. Bien que le nom du suspect n’ait pas été dévoilé, l’inspecteur Frank Gorman, de la police criminelle de Jersey City, a tenu les propos suivants : « Nous avons de bonnes raisons de penser que l’individu appréhendé pourra nous fournir des renseignements importants au sujet de ces meurtres. »
La ville de Jersey City vit dans la psychose après la mort de cinq adolescents au cours des quatre derniers mois. D’abord l’assassinat brutal de Dominic Vallelly (19 ans) et de Janince Luckman (17 ans) le mercredi 8 août ; ensuite, celui de Gerry Wheland (18 ans) et de Samantha Merrett (19 ans) le jeudi 4 octobre ; enfin l’agression mortelle dont a été victime Nadia McGowan (17 ans) dans la soirée du vendredi 23 novembre. La police estime que tous ces crimes ont été commis par une seule et même personne. Le jeune homme qui se trouvait avec Nadia McGowan au moment de l’agression, John Costello (16 ans), souffre de blessures graves à la tête, mais son état est jugé stable par l’hôpital de Jersey City.

 

Frank Gorman se présenta après le déjeuner. Il resta sur le seuil de la porte – en silence, patiemment – et attendit que John Costello parle.

« Vous l’avez eu. »

Gorman hocha la tête.

« Il s’est rendu ?

— Pas tout à fait.

— Comment s’appelle-t-il ? »

Gorman entra dans la chambre et s’approcha du lit de John. « Je ne peux pas encore vous le dire.

— Comment cela s’est déroulé ?

— On a suivi une piste… On a identifié sa maison. On y est allés, on a frappé à la porte, il a ouvert, et c’est là qu’il a avoué.

— Qu’est-ce qu’il a dit ?

— La même chose. “Je suis le Marteau de Dieu.”

— Et il a avoué les meurtres ?

— Il a avoué avoir agressé trois couples en tout. Vous étiez le dernier.

— Et maintenant ?

— Il va subir un examen psychiatrique. Il va maintenant suivre la procédure normale. Il va aller au tribunal. Il va aller dans le couloir de la mort. On va l’exécuter.

— Sauf s’il est déclaré irresponsable.

— Exact.

— Ce qui sera le cas.

— C’est fort possible, oui. »

John Costello se tut un moment et réfléchit. Puis : « Qu’est-ce que vous en pensez ?

— Du fait qu’il puisse être déclaré irresponsable et échapper à la mort ?

— Oui.

— J’essaie de n’en rien penser. Pourquoi ? Et vous ? »

John hésita, avant de froncer les sourcils, comme étonné par sa propre réponse. « Je n’en pense rien non plus, inspecteur Gorman… Je n’en pense rien du tout.

— Est-ce que vous vous souvenez d’autre chose maintenant ? Quelque chose qu’il aurait dit ?

— Quelle importance ? Il a avoué.

— Parce que ça nous permettrait de mieux comprendre ce qui lui passait par la tête.

— Pourquoi voulez-vous savoir ce qui lui passait par la tête ?

— On essaie de recueillir tout ce qui pourra convaincre le procureur et le juge qu’il savait ce qu’il faisait. Qu’il avait plus ou moins conscience de ses actes. Qu’il était vraiment conscient de ce qu’il faisait.

— Pourquoi ? Pour prouver qu’il n’était pas fou ? »

Gorman acquiesça. « Oui. Pour qu’on puisse dire qu’il était responsable de ses actes.

— Pour que vous puissiez l’exécuter.

— Oui. »

John Costello ferma les yeux. Il essaya de réfléchir, mais rien ne vint.

« Non, dit-il. Je suis désolé, inspecteur… Je ne crois pas qu’il ait dit autre chose. »

 

 

INTERROGATOIRES WARREN HENNESSY/FRANK
GORMAN-ROBERT MELVIN CLARE. SECTION 1 (PAGES 86-88)

WH 
: Bon, Robert, réexplique-nous. Parle-nous un peu de cette histoire de marteau.

RMC
 : Qu’est-ce que vous voulez savoir ?

WH
 : Pourquoi tu devais les tuer avec un marteau ?

FG
 : Oui, Robert. Pourquoi un marteau ? Pourquoi pas un flingue, un couteau ou autre chose ?

RMC
 : Ça faisait partie du rituel.

FG
 : Quel rituel ?

RMC
 : Le rituel de purification. Ils devaient être purifiés.

WH
 : Purifiés de quoi, Robert ?

RMC
 : De ce qui leur avait été fait.

WH
 : De ce que tu leur avais fait ?

RMC
 : Non. Je ne leur ai rien fait du tout, moi. Ils devaient être purifiés des choses sexuelles qui leur avaient été faites. Vous auriez quelque chose à boire ? Un verre de quelque chose ?
Je peux avoir un 7-Up, oui ou non ?

WH
 : On peut t’apporter un 7-Up, Robert.

RMC
 : J’ai soif. Je veux un 7-Up. C’est trop demander ou quoi ?
Je ne peux pas parler si j’ai la bouche pleine de sable et de sciure, pas vrai ? Il me faut un 7-Up… Un 7-Up… Il me faut un 7-Up.

FG
 : Je vais te trouver un 7-Up, Robert… Pendant ce temps, tu expliques à l’inspecteur Hennessy cette histoire de purification, d’accord ?

RMC
 : D’accord.

[Note : À cet instant, l’inspecteur Frank Gorman quitte la salle d’interrogatoire pendant environ deux minutes.]

WH
 : Bon, revenons à la purification, Robert.

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