Les Assassins (14 page)

Read Les Assassins Online

Authors: R.J. Ellory

Tags: #Thriller

BOOK: Les Assassins
3.75Mb size Format: txt, pdf, ePub

Farraday eut un sourire entendu. « Vous voulez que je vous dise quelque chose qui fout vraiment les jetons ?

— Encore plus que ça ? »

Farraday sauta du rebord de la fenêtre et se rassit à son bureau. « J’ai téléphoné à l’inspecteur Richard Lucas, du commissariat n
o
 9. Deux jours après la découverte des cadavres des jeunes filles, ils ont reçu un coup de fil anonyme. Une femme qui a prononcé exactement la même phrase que l’autre en 1980. Ils l’ont enregistrée et je leur ai lu le passage du
Herald
. Ils ont comparé… C’était le même texte. Le même, bordel. Exactement les mêmes mots.

— Et ils ont identifié cette femme ?

— Allez savoir qui c’est. Une complice ? Quelqu’un qu’il a payé pour téléphoner à sa place ? Aucune idée. »

Irving leva les yeux vers Farraday. « J’ai reçu un coup de téléphone d’une journaliste. Une certaine Karen Langley.

— Vous plaisantez ?

— Elle m’a appelé la semaine dernière pour me poser des questions sur le pauvre gamin retrouvé dans l’entrepôt, savoir s’il était déguisé en clown ou non. »

Farraday ne disait rien.

« Ça ressemblait à n’importe quel autre coup de fil de journaliste… »

Farraday leva la main. « Le problème, c’est que quelqu’un, un de ces foutus journalistes, a établi un lien entre trois scènes de crime apparemment sans rapport. Et s’il s’agit bien de ce qu’elle dit…

— On est dans la merde.

— Allez la voir, Ray. Voyez un peu ce qui se passe, d’accord ? Voyez si elle a un putain d’informateur dans la police. Voyez comment elle sait certaines choses dont nous n’avons même pas connaissance. »

Irving se leva.

Farraday s’approcha de lui. « Pour l’instant, j’ai reçu neuf appels, rien que ce matin : le cabinet du maire, le directeur, trois journaux, quelqu’un du FBI, de nouveau le directeur, une femme du comité pour la réélection du maire et un type du service de presse de CBS. Et tout ça uniquement par le bouche-à-oreille. Dieu sait ce qui arriverait si toutes ces conneries se retrouvaient dans le journal.

— On fait quoi, alors ?

— Je ne sais pas. D’abord on essaye d’étouffer ce truc du journal. On empêche ces gens-là de fabriquer leur foutue bombe incendiaire. J’ai une réunion avec le directeur dans deux heures. Moi, les autres capitaines, ce fameux Lucas du n
o
 9 et quelques autres gars. Ils ont demandé que vous soyez présent, mais j’ai refusé. »

Irving ouvrit de grands yeux.

« Vous avez plus d’années de service que la plupart d’entre eux. S’ils veulent mettre quelqu’un en première ligne, il y a toutes les chances pour que ce soit vous. Et c’est précisément ce que je ne veux pas. Je refuse que cet endroit devienne le centre d’un cirque médiatique à la con. »

Sur ce, Farraday se leva, les mains dans les poches. Il semblait résigné face au caractère inexorable des mauvaises nouvelles et, une fois celles-ci entendues, à la certitude que d’autres encore suivraient. « Allez parler à votre chère gratte-papier. Dites-lui un peu comment ça marche. Dites-lui de se calmer un bon coup et de nous laisser bosser, OK ?

— J’y vais de ce pas. »

Irving referma derrière lui sans un mot et emprunta le couloir jusqu’à l’escalier.

9

  A
près avoir dépassé la gare routière de la Port Authority, sur la 9
e
 Avenue, Irving tourna à droite et tomba sur le siège du
New York City Herald
s’élevant face à la poste centrale de New York, au croisement avec la 31
e
 Rue. Le ciel était gris comme de l’argent terni. Irving sentait bien l’odeur de la ville, son air épais, comme si le seul fait de respirer était une épreuve. Il se gara à l’arrière du bâtiment et fit le tour à pied, jusqu’à l’accueil. Il présenta sa carte d’identité, attendit patiemment et s’entendit répondre que Karen Langley serait disponible d’ici une heure. Irving resta poli, dit qu’il allait boire un café et repasserait sur le coup de 11 heures. La fille derrière le guichet lui sourit à son tour. Elle était jolie et avait une coiffure qui l’encadrait comme un tableau, les cheveux coupés court derrière et longs sur les côtés. Elle lui fit penser à Deborah Wiltshire, non par son physique, mais par la seule intensité de sa présence. Il repensa aux journées qui avaient suivi sa mort, à ces moments où, dans la cuisine, chez lui, il ouvrait un placard et s’arrêtait net, ou alors se penchait pour poser son front sur le haut du frigo, sentait la vibration dense et haletante du moteur à travers son corps, comme un long souffle continu, sans répit. Et ce souffle s’interrompait soudain, avec un petit déclic, le faisant sursauter ; il s’apercevait alors qu’il avait les larmes aux yeux. Tout ça parce qu’il y avait un pot de moutarde à l’intérieur. Il n’aimait pas la moutarde. Il l’avait acheté pour elle, ce pot, pour les rares fois où elle venait chez lui et préparait des sandwichs. Quelque chose comme ça. Un petit détail qui se transformait en quelque chose d’énorme.

Il but son double mélange café-décaféiné en deux grandes gorgées, assis sur une banquette dans un coin du café, avec vue étroite sur la synagogue, au loin. Il se demanda si un homme comme lui pouvait trouver une consolation dans la religion. Il se demanda si les questions qu’il portait en lui trouveraient un jour des réponses. Et si oui, les oublierait-il ? Ou au contraire est-ce que le poids de toutes ces questions lui était devenu familier, confortable, nécessaire ?

À 11 h 04, il se présenta de nouveau devant la jolie fille aux cheveux magnifiques.

« Elle est revenue, dit-elle.

— Vous avez des cheveux magnifiques. »

Manifestement touchée, la fille répondit par un grand sourire. « Merci. Je me demandais si ce n’était pas une coupe un peu… Enfin, un peu sévère, quoi. Vous voyez ce que je veux dire ? »

Irving fit signe que non. « Vous ressemblez à une actrice. »

Pendant quelques secondes, elle sembla incapable de parler. Puis elle décrocha et appela Karen Langley.

Des mots furent échangés, le combiné retourna sur son socle, et la jeune fille lui indiqua l’ascenseur. « Montez, dit-elle. Deuxième étage. Karen vous attend en haut. »

Irving hocha la tête et se mit en route.

« Au plaisir, lui lança la fille dans son dos.

— Pareillement. »

 

Karen Langley était une belle femme. Cependant, lorsqu’elle ouvrit la bouche, ce fut pour dire : « Vous êtes venu pour me demander de fermer ma grande gueule, c’est ça ? » Le tout sur un ton qui mit Irving mal à l’aise.

Il sourit, tenta de rire de la brusquerie de la question, mais ni dans sa voix, ni dans son regard, Karen Langley n’avait l’air de vouloir plaisanter.

Elle le fit entrer dans un bureau à droite de l’ascenseur. L’ endroit était neutre. Aucune décoration, aucune photo de famille sur le bureau, ni sur les étagères.

Karen Langley s’assit. Elle n’invita pas Irving à l’imiter, mais il le fit quand même.

« Écoutez, j’ai plein de choses à faire, dit-elle.

— Comme tout le monde, non ? »

Elle sourit – d’un sourire un peu forcé, mais qui trahissait en partie la personnalité cachée derrière l’armure. Elle devait approcher de la quarantaine, peut-être même la dépasser. Le blanc de ses yeux montrait qu’elle buvait trop. Sa peau était claire, sans les rides et le teint fatigué qui trahissaient les gros fumeurs. Les ongles étaient courts, mais manucurés. Pas de vernis. Une jupe foncée toute simple, un chemisier blanc échancré, une chaîne en argent autour du cou. Pas de bagues, pas de boucles d’oreilles, les cheveux aux épaules, raides, avec une petite ondulation vers les pointes. Elle faisait sérieuse parce qu’elle voulait faire sérieuse. Irving sentit qu’elle était seule, le genre de femme qui comble tous les vides de sa vie par du travail superflu.

« Je suis l’inspecteur Ray Irving.

— Je sais qui vous êtes.

— Je m’occupais de l’affaire Mia Grant…

— Vous vous en occupiez ? fit Langley, le front plissé. C’est déjà une affaire classée ? Je croyais que vous n’aviez trouvé personne. »

Irving acquiesça. « Je
m’occupe
de l’affaire Mia Grant.

— Et de l’affaire James Wolfe, n’est-ce pas ? Le n
o
 9 a mis Richard Lucas sur les meurtres de Burch et de Briley le 12 juin, et aussi Gary Lavelle, du n
o
 5, et Patrick Hayes, du n
o
 3, sur le triple assassinat d’hier. »

Irving ne répondit pas.

Karen Langley lui adressa un sourire complice. « J’ai dit ça pour vous emmerder, dit-elle. Vous n’étiez pas au courant pour le triple assassinat d’hier, si ? »

Il resta muet. Il était poussé dans ses retranchements et il n’aimait pas ça.

« Trois adolescents. Deux garçons abattus dans le coffre d’une voiture et la petite amie d’un des deux retrouvée nue et étranglée un ou deux kilomètres plus loin.

— Et vous l’avez appris grâce à ?

— Grâce à nos récepteurs scanners. Grâce aux gens avec qui on discute. Grâce aux tuyaux anonymes qu’on reçoit régulièrement. La plupart sont bidon, mais quelquefois il nous arrive de trouver des pépites d’or dans toute cette boue. »

Irving sourit. « Est-ce que vous êtes vraiment aussi dure que vous le laissez entendre ? »

Elle éclata de rire. « Je montre mon côté chaton uniquement pour vous, inspecteur. D’habitude, je suis une vraie peste.

— Et le sens du triple assassinat d’hier ?

— Vous avez déjà entendu parler d’un type nommé Kenneth McDuff ?

— Pas du tout.

— Exécuté en novembre 1998 pour avoir commis un triple homicide en août 1966…

— Le 6 août, non ?

— Pile-poil. Le 6 août. Un triple assassinat. Deux jeunes retrouvés dans le coffre d’une voiture. Une fille retrouvée à un kilomètre ou deux de là, étouffée par un manche à balai. Il avait un complice, un demeuré qui s’appelait Roy Green. McDuff était un animal sans âme. Vous savez ce qu’il avait dit à Green ? »

Irving fit non de la tête.

« “Tuer une femme, c’est comme tuer un poulet. Dans les deux cas, ça couine.”

— Il m’a tout l’air d’être un vrai génie. »

Langley attrapa un dossier en papier kraft sur le côté droit de son bureau. Elle l’ouvrit, feuilleta les pages et en tendit une à Irving.

« Voilà la copie d’une partie des déclarations faites par Green après son arrestation. »

Irving y jeta un rapide coup d’œil et regarda Langley.

« Allez-y, dit-elle. Lisez donc. »

 

Lundi 8 août 1966
Déclaration de Roy Dale Green, complice de Kenneth Allen McDuff, devant l’inspecteur Grady Hight, bureau du shérif du comté de Milan, Texas.
 
Meurtres de Robert Brand (18 ans), Mark Dunman (16 ans) et Ellen Louise Sullivan (16 ans) le samedi 6 août 1966.
 
On a roulé près du stade de base-ball et on s’est retrouvés sur une route de gravier. Il [McDuff] a vu une voiture garée, on l’a dépassée et on s’est arrêtés à environ 150 mètres. Il a pris son pistolet et m’a dit de sortir. Je croyais que c’était une blague. Je ne pensais pas que ce qu’il disait allait arriver pour de vrai. Je l’ai accompagné jusqu’à la moitié du chemin et lui a continué jusqu’à la voiture. Il a dit aux jeunes dans la voiture de sortir sinon il les tuerait. Je l’ai rejoint. Il les a mis dans leur propre coffre. Il a rapproché sa voiture de la leur et m’a dit de remonter dans la sienne et de le suivre. C’est ce que j’ai fait. On a roulé un peu en se suivant sur l’autoroute par laquelle on était arrivés puis il s’est arrêté dans un champ. Je l’ai suivi, et il m’a dit que le champ ne ferait pas l’affaire, alors on a rebroussé chemin et on a trouvé un autre champ. Il est sorti de leur voiture et a dit à la fille de sortir également. Il m’a demandé de la mettre dans le coffre de sa voiture à lui. J’ai ouvert le coffre, elle est montée dedans. C’est là qu’il a expliqué qu’on ne pouvait pas laisser de témoins, ou un truc comme ça. Il a dit : « Je vais devoir les dézinguer », un truc comme ça.
 
J’ai vraiment eu peur. Je croyais encore qu’il rigolait, mais je n’étais pas sûr. Ils étaient à genoux dans le coffre et le suppliaient de ne pas les tuer. Ils disaient : « On ne dira rien à personne. » Je me suis tourné vers lui et il a mis son pistolet dans le coffre, là où il y avait les gars, et il a commencé à tirer. J’ai vu la flamme sortir du pistolet au premier coup de feu. Je me suis bouché les oreilles et j’ai regardé ailleurs. Il a tiré six fois. Il a tiré deux balles dans la tête du premier, et quatre dans la tête de l’autre garçon. Une des balles a traversé son bras parce que le garçon essayait de se protéger. Il [McDuff] a voulu refermer le coffre mais n’a pas réussi. Alors il m’a dit de remonter dans sa voiture. J’étais déjà mort de trouille, et j’ai obéi. Il est monté dans la voiture du garçon et a fait marche arrière dans une barrière ; il est sorti et m’a dit de l’aider à effacer les empreintes digitales. Je ne voulais pas le contrarier. Je m’attendais à être le suivant sur la liste, alors je l’ai aidé.
 
On a effacé les traces de pneus, on est montés dans sa voiture, on a roulé sur un bon kilomètre, on a pris une autre route, il s’est arrêté, il a sorti la fille du coffre et l’a mise sur la banquette arrière. Il m’a dit de descendre de la voiture, et j’ai attendu jusqu’à ce qu’il lui dise de se déshabiller. Il s’est déshabillé à son tour et il l’a baisée. Il m’a demandé si je voulais aussi le faire, je lui ai dit non. Il m’a demandé pourquoi et je lui ai répondu que je n’avais pas envie. Il s’est penché vers moi ; je n’ai pas vu le pistolet mais j’ai pensé qu’il me tuerait si je ne le faisais pas, alors j’ai baissé mon pantalon et enlevé ma chemise, je suis allé sur la banquette arrière et j’ai baisé la fille. Elle ne s’est pas débattue ni rien, et si elle a dit quelque chose, je ne l’ai pas entendue. Pendant tout le temps où j’étais sur la fille, je gardais un œil sur lui. Après ça, il l’a baisée une deuxième fois.

Other books

Boneshaker by Cherie Priest
Sleep of the Innocent by Medora Sale
Strength by Angela B. Macala-Guajardo
No Surrender by Sara Arden
Possession by Missy Maxim
Harder by Ashcroft, Blue