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Authors: Trierweiler,Valérie

Tags: #Autobiographie

Merci pour ce moment (11 page)

BOOK: Merci pour ce moment
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J’ai été journaliste politique. Combien d’heures avons-nous passé à échanger sur notre passion commune ? Nous avons tout partagé depuis des années. La politique, c’est aussi ma vie. Elle nous a soudés bien avant que la passion se déclare. Je dois me détacher de cette partie de lui-même, non sans arrachement.

Une fois à l’Élysée, je prends garde à ne pas empiéter sur la politique. Mes pas ne se portent jamais du côté du pouvoir. Je ne sais même pas où se trouvent les bureaux des conseillers. J’appelle « mur de Berlin » la porte qui sépare « l’aile Madame » du reste du Palais. C’est ainsi que l’on parle en ces murs, on ne dit pas « l’Élysée » mais « le Palais ». Je n’y arriverai jamais. Je n’ai assisté qu’à une seule réunion avec des conseillers « de l’autre côté ». Il s’agissait de préparer la journée des Femmes du 8 mars. Mes idées ont été jugées excellentes, aucune n’a été retenue.

Le malaise a commencé à m’envahir pendant la campagne. Dès le début, j’ai du mal à trouver ma place. Je commence à amasser les kilos, j’ai de l’eczéma sur mon visage et régulièrement ma nuque se bloque. Mes traits se tendent, mon stress est visible, j’ai l’impression d’avoir pris plusieurs années en quelques mois. Peut-on s’imaginer la violence d’une campagne, l’agression que représentent les flashes lorsqu’on n’y est pas préparée ? Pourquoi est-ce que je vis tout cela si mal ?

Je m’en veux d’être aussi fragile. Aujourd’hui, j’en comprends la raison. Depuis le début de la campagne, François me place en état d’insécurité permanente par ses mensonges, ses mystères et ses cachotteries. Il n’arrive pas à m’expliquer clairement la distance qu’il veut installer entre nous sur certains sujets. Alors il agit à sa manière – pas vu, pas pris – en utilisant le non-dit, l’esquive et le mensonge. Combien de fois ai-je appris « par la bande » ce qu’il aurait dû me dire lui-même ? Parfois, je disparais, le temps de reprendre mon souffle et confiance.

Nous sommes un couple, mais un couple dans une situation hors norme, en route vers la Présidence de la République. Je nous croyais soudés, fusionnels, comme nous l’avons été toutes les années auparavant, lors de sa traversée du désert. Mais depuis sa mise sur orbite, notre complicité si forte s’effiloche. Il a d’autres horizons. Il voit de moins en moins que je suis là. Alors que pour moi, il n’y a que lui qui compte. Pas même sa victoire, lui. Mon grand amour.

Le départ de la Bastille s’accélère. Manuel Valls craint des débordements, car quelques dérapages commencent aux abords de la place. Nous regagnons notre domicile de la rue Cauchy. Tout au long du chemin, les voitures klaxonnent, François salue, vitre ouverte. Nous sommes toujours pourchassés par une horde de motos de presse. Au pied de notre immeuble, c’est une folie. Plusieurs dizaines de journalistes et photographes emplissent la rue, les télévisions sont en direct.

La vie, notre vie va vraiment changer. Je ne suis pas dans l’euphorie. Dans l’émotion, oui. Je garde un regard extérieur sur ce qu’il se passe, comme si j’en étais témoin, spectatrice et non protagoniste.

La course effrénée continue pour François. Dès le lendemain, il va de réunion en réunion pour préparer son prochain gouvernement. Je suis dans la confidence pour le nom du futur Premier ministre, ainsi que pour quelques ministres. Mais je sais aussi, par mon expérience de journaliste politique, que les listes bougent jusqu’au dernier moment.

Je me contente de suggérer un nom qui ne sera pas retenu. Il s’agit de Valérie Toranian, directrice du magazine
Elle
pour le ministère des Droits des femmes. Je la connais peu, mais je trouve que cela aurait eu du sens et de l’allure, une nouvelle Françoise Giroud. François me répond :

– Je ne peux pas faire ça à Giesbert.

Franz-Olivier Giesbert, alors directeur du
Point,
est le compagnon de Valérie Toranian. Dans l’esprit de François, qui connaît le problème pour l’avoir vécu, FOG aurait forcément vécu la promotion de sa compagne comme un camouflet personnel. Solidarité de machos.

Je critique aussi quelques noms qu’il évoque, sans que cela ait la moindre conséquence. La moitié des ministrables dont les noms circulent me sont d’ailleurs inconnus. Ils viennent des entrailles du PS, des radicaux et des Verts. Leur nomination est le résultat de calculs d’appareils, d’un jeu de billard à plusieurs bandes. Certaines femmes ministres sont même choisies sur catalogue. Imaginer que nous composons la liste ensemble, comme cela a été écrit, n’a pas de sens. François n’est pas influençable. Une fois rentré rue Cauchy, il continue à téléphoner aux uns et aux autres. Plusieurs fois, je le préviens que, par la fenêtre de la chambre, j’entends ses conversations alors qu’il est sur le balcon. Tous les voisins peuvent participer à la conversation s’ils tendent l’oreille.

Les services de sécurité viennent inspecter l’appartement de fond en comble, vérifier qu’aucun micro n’a été posé et que le nouveau Président n’est exposé à aucun danger. La baie vitrée représente un risque. Plusieurs appartements ont vue sur notre intérieur, ils recommandent de faire blinder les vitres. Le coût se chiffre à plusieurs dizaines de milliers d’euros. François refuse car cela ne correspond pas à la présidence normale.

Mais surtout, à quoi bon, puisque le Président passe du temps sur le balcon, que nous y déjeunons ou dînons lorsque le temps le permet. Notre protection n’ira pas plus loin que la pose de deux sonneries d’appel d’urgence. L’une dans l’entrée, l’autre dans notre chambre, directement reliées aux officiers de sécurité du Président, avec un mot de passe pour signifier qu’il y a un réel danger au cas où nous aurions un pistolet sur la tempe. Tout est envisagé.

François tient à alléger tout le dispositif. Il fait supprimer le car de CRS posté devant la porte, le contrôle d’identité de toutes les personnes entrantes, ainsi qu’un fonctionnaire de police en permanence à notre étage. Rue Cauchy, nous sommes un couple presque… normal. Il reste tout de même une masse de journalistes aux aguets sur le trottoir, prêts à interroger François tous les matins quand il part. Ils ont raison d’essayer : chaque matin, il leur répond.

Après la folie du dernier mois de campagne, je retrouve mon fils qui passe son bac. Quelques jours après l’élection, il doit se rendre à son épreuve de sport. Il regarde par la fenêtre, voit les caméras et est pris d’une crise de panique, il est incapable de sortir. Je le supplie d’aller à son examen. Il est bloqué. J’envoie un tweet, demandant aux journalistes et photographes de respecter notre vie privée, de nous laisser tranquilles.

Cette demande est mal interprétée : comment moi, journaliste, puis-je rejeter mes confrères ? Impossible d’avouer que mon fils n’est pas en état de se rendre à une épreuve du bac à cause d’eux. Il n’a pas dormi de la nuit. Je réussis à le rassurer et à le convaincre. En le voyant arriver dans un tel état de dévastation, l’examinateur le renvoie à la maison en lui proposant une autre date. Je mesure chaque jour à quel point notre quotidien ne sera plus jamais le même. Le lendemain, mon fils m’annonce qu’il veut vivre ailleurs, il ne supporte pas cette pression. En vingt-quatre heures, je trouve des amis qui lui prêtent un studio. Je suis malheureuse de le voir partir alors qu’il est en plein examen. Une fêlure de plus, alors que l’élection ne date que de deux jours.

La date de l’investiture approche. L’équipe de François a pris contact avec celle de Sarkozy pour préparer la transition. Je suis les choses de loin. Je reçois un message de Carla Bruni-Sarkozy sur mon portable. Elle me demande de conserver l’équipe dédiée au service privé, en me précisant que ce sont « des gens formidables, avec eux, on n’a même pas une petite cuiller à tourner dans son café ».

Je lui explique que nous n’arrivons pas avec l’intention d’un grand ménage, que ce n’est pas l’état d’esprit de François Hollande, ni son genre. Encore moins le mien. Nous convenons de nous voir pendant l’entretien qu’auront les deux Présidents, pour évoquer toutes les deux ces questions d’intendance.

Il reste à régler la question des invités présents le jour de l’investiture. François ne veut pas qu’elle ressemble à celle de Sarkozy, avec la famille recomposée qui traverse la Cour d’honneur sur le tapis rouge. Il ne souhaite ni la présence de ses enfants ni celle des miens. Pas même celle de son père. Il organise un dîner avec ses quatre enfants. À sa demande, je n’y participe pas, il veut régler avec eux cette question et celle de la présence de Ségolène Royal. Elle est à la fois une femme politique de premier plan, et son ancienne compagne. Sa présence sera interprétée de façon privée et François ne veut pas faire son entrée à l’Élysée de manière monarchique, en mélangeant vie publique et vie privée, même si cela peut paraître ironique
a posteriori.

La décision de ne pas associer sa famille est prise par lui, sans moi. Je lui dis que je le trouve cruel avec ses enfants. Pour ma part, je n’ose pas inviter ma mère qui aurait été tellement heureuse d’être là.

L’absence de Ségolène Royal et de ses enfants n’est pas comprise. La presse m’attribue la responsabilité de sa décision. Personne ne remarque que ni mes enfants ni ma famille ne sont là non plus et que c’est une décision de principe pour François. Ses enfants, eux, savent la vérité. Mais à chaque étape, un roman médiatique se construit, à partir d’interprétations erronées ou de malentendus. Cette somme de petits décalages avec la réalité crée une fiction qui échappe à toute emprise. À force d’être répétée, elle devient vraie.

Je rencontre l’équipe du protocole qui m’explique, plans en mains, comment les choses vont se dérouler. Tout sera minuté, étudié, préparé. Je commence à réaliser le caractère exceptionnel de cet événement. Et je sens le stress monter en moi.

La veille du grand jour arrive. Nous nous voyons à peine. François est toujours dans les affres de la politique, tout se précipite, il doit prendre des dizaines de décisions par jour. Mes préoccupations sont plus légères, telle celle de ma tenue. Je veux qu’elle soit sobre. Je n’ai jamais porté de robe de couturier et il ne me vient pas à l’esprit d’aller frapper à la porte de l’un d’entre eux.

Je reçois l’aide d’Amor, le styliste qui m’habillait pour Direct8 et qui continue bénévolement à me donner des conseils. Nous choisissons un modèle de chez Georges Rech, une griffe à laquelle je suis habituée. Mais il faut des modifications sur la robe, y ajouter des manches et plus de longueur. La veille en fin de journée, j’essaie la robe. Elle ne tombe pas comme je le souhaiterais. Il reste très peu de temps pour rectifier. Amor me rassure, tout sera prêt pour le lendemain matin.

La nuit est agitée, nous dormons peu. François sera officiellement investi septième président de la
v
e
République. Le matin, nous nous préparons chacun dans une pièce différente. Styliste, maquilleuse, coiffeur, nous passons tous les deux entre leurs mains comme si nous nous rendions à la mairie pour nous marier. La question du mariage nous a déjà été posée cent fois, j’ai le sentiment ce jour-là que ce que nous allons vivre est bien plus fort qu’un passage en mairie. Je me sens en totale union avec lui, incapable d’imaginer ce qu’il se passera dix-neuf mois plus tard. C’est tout simplement inimaginable, après tout ce que nous avons vécu, et avec ce lien fusionnel qui est le nôtre.

Je dois partir avant lui, quelques minutes seulement. J’apparais devant lui, apprêtée. Il me complimente. Je sais qu’il est sincère. Une femme amoureuse sait quand elle arrive à surprendre. François me regarde avec des yeux étincelants. Il désapprouve seulement la hauteur de mes talons, il ne supporte pas que je le dépasse. Un dernier baiser et je quitte l’appartement. Nos regards savent en dire davantage que les mots. Comme lorsqu’il saisit ma main et la presse. Je sais ce que cela signifie.

Je suis à l’arrière de « ma » nouvelle voiture. Désormais un chauffeur et deux officiers de sécurité (deux duos en alternance, une semaine sur deux) m’accompagneront partout. Difficile de décrire le sentiment qui m’envahit quand la voiture franchit la grille de l’Élysée. J’y suis allée si souvent comme journaliste. Je n’arrive pas à réaliser. Je n’arrive pas à me dire que je suis première dame, cet étrange rôle de représentation, sans statut, mais qui compte tant aux yeux des Français. Nombreux sont ceux qui estiment que je ne suis pas première dame puisque nous ne sommes pas mariés. Inconsciemment, j’ai sans doute intégré ce handicap.

La masse de photographes est impressionnante. J’avance sur le tapis rouge. J’entends qu’on me hèle de tous les côtés, des « Valérie », des « Madame Trierweiler ». Malgré la tension, je parviens à décrocher quelques sourires. Ce n’est pas chose facile pour moi, j’ai beaucoup de difficultés à paraître naturelle sur les photos. Je n’aime pas ça, je ne sais pas faire.

Je reconnais pourtant des visages familiers de photographes. En vingt ans de carrière à
Paris-Match,
j’en ai rencontrés beaucoup, j’ai travaillé avec certains d’entre eux. Cette fois-ci, rien à voir. Ce n’est plus la consœur, la journaliste qui les intéresse mais la compagne de François Hollande, la première dame.

Je franchis cette étape quasi inconsciente de ce qui est en train de se passer, de ces images qui resteront dans l’Histoire, que pendant des décennies, à chaque nouvel élu, les télévisions repasseront en boucle. Je suis envahie par l’émotion en voyant arriver la voiture de François, en entendant le bruit des gravillons sous les pneus. Je le vois, lui, différemment.

Nicolas Sarkozy l’accueille, pendant que je suis reçue par Carla. Les deux hommes, qui se connaissent depuis si longtemps, montent dans le bureau présidentiel pour la passation de pouvoir, la transmission des codes nucléaires et des dossiers délicats. François me révèlera que ce moment d’échange de chef d’État à chef d’État sera extrêmement bref. L’essentiel de la conversation est privé. Nicolas Sarkozy lui explique combien cette période a été douloureuse pour Carla, qui a mal vécu la médiatisation à outrance et les médisances. Il lui confie avoir été obligé de recourir à des sociétés spécialisées pour « faire monter » dans les algorithmes des moteurs de recherche les articles et les références honorables, pour cacher les horreurs qui circulent sur le Net, afin que sa femme ne tombe pas dessus.

Pendant ce temps, Carla me fait découvrir « l’aile Madame », la partie qui me sera dévolue. Elle me montre le magnifique bureau, le salon des Fougères, qui m’attend. Ancienne chambre de Caroline Murat, il donne directement sur les jardins. Il est spacieux, clair et féminin avec ses tentures fleuries. Sur un mur, deux tableaux d’Hubert Robert, un peintre du
xviii
e
siècle, dont j’apprendrai plus tard qu’ils ornaient auparavant la chambre de François Mitterrand. Sur l’autre mur, un portrait de Louis xv. Ce salon a été transformé en bureau par Cécilia Sarkozy avant leur divorce. Bernadette Chirac s’était quant à elle installée dans une pièce plus sombre, donnant sur le Faubourg-Saint-Honoré, là où prendra place mon futur chef de cabinet Patrice Biancone, la seule et unique personne que je demande à recruter.

BOOK: Merci pour ce moment
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