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Authors: Trierweiler,Valérie

Tags: #Autobiographie

Merci pour ce moment (18 page)

BOOK: Merci pour ce moment
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Je tanne François pour qu’il le reçoive. Il ne m’écoute pas. Alors je propose à Philippe Croizon de venir me voir à l’Élysée, en insistant auprès de François pour qu’il passe à la fin du rendez-vous.

Au bout d’une heure de discussion avec Philippe, sa compagne et son agent, François nous rejoint, affable et souriant, comme il sait le faire. Le soir, lors du dîner, je lui demande :

– Comment as-tu trouvé Croizon ?

– Je n’aime pas les handicapés qui font commerce de leur handicap.

Je reste bouche bée. Par quelle métamorphose cet homme que j’ai connu sensible, capable de mots apaisants et tendres, a-t-il pu devenir un bloc de métal, insensible et tranchant, ce cynique qui cherche la phrase qui fait mal ? Il sait le calvaire vécu par mon père, celui de Croizon est bien pire. Je lui rappelle le montant de l’allocation adulte handicapé : 790 euros par mois. À l’époque, c’était encore moins et nous vivions à huit sur ce maigre pécule, avant que ma mère ne trouve son emploi de caissière. Il ne répond pas. Son cerveau traite déjà mentalement un autre dossier.

Je garde un lien avec Philippe Croizon qui, lui, sait donner de sa force aux autres. Il prend toujours de mes nouvelles, se soucie de moi. Ensemble, nous allons à Vichy soutenir Théo dans son entraînement de natation. Comme son modèle, Théo veut devenir un champion et il a choisi la voie paralympique. Il faut avoir rencontré ce jeune garçon de douze ans pour comprendre ce qu’est un être hors norme, il a une détermination qui dépasse l’imagination. Il est aujourd’hui trois fois vice-champion de France.

Oui, de beaux moments, j’en aurai vécus à l’Élysée. Oui, des personnes magnifiques, j’en aurai rencontré comme première dame. Mais rien ni personne en relation avec la politique. J’ai remercié publiquement le personnel de l’Élysée quand j’ai été congédiée. Des cuisiniers aux fleuristes, en passant par les médecins et les maîtres d’hôtel, et bien d’autres, ils m’ont permis de traverser bien des moments difficiles. J’ai une pensée particulière pour Joseph, l’un des maîtres d’hôtel qui égayait mes journées. Et évidemment pour toute mon ancienne équipe, si proche de moi, et moi d’elle.

L
e Fort de Brégançon s’ouvre cet été au public. Le Président
n’ira pas y passer ses vacances d’après notre rupture. Tous les médias en parlent et retracent l’histoire des vacances présidentielles. Et voilà que ressurgit la fable des coussins que j’aurais commandés, il y a deux ans, à notre arrivée à l’Élysée.

Cet été-là, François m’envoie en repérage avec Stéphane Ruet, ancien photographe recruté par l’Élysée, pour que je lui décrive l’endroit et savoir s’il existe une solution contre les paparazzis. Je visite le port, le temps d’une demi-journée. À part l’installation de deux paravents sur la plage, je ne demande aucun aménagement, aucun changement. Dans les jours qui suivent, une rumeur circule sur Internet et dans les journaux : j’aurais commandé des coussins et du mobilier d’extérieur de luxe pour une facture de plusieurs dizaines de milliers d’euros !

Nos premières vacances commencent avec cette polémique. Le fantasme est irrésistible : une parvenue déguisée en Marie-Antoinette qui dépense l’argent public au gré de ses caprices, c’est trop beau pour être faux. À maintes reprises, je demande que l’Élysée démente cette fable insensée qui me vise mais touche aussi le Président. Rien à faire.

François refuse de contrarier la presse même quand elle transforme des ragots en pseudo-scoops. Il voit les informations comme un fleuve qui charrie tout, le vrai et le faux, et qu’il ne sert à rien de vouloir endiguer. Il préfère sentir les courants et jouer avec eux.

À l’Élysée, on me demande de prendre cette histoire à la légère. Deux ans plus tard, je constate que le poison sourd encore puisque la presse rapporte que l’Élysée aurait effacé les traces de ce caprice après mon départ. Il faut bien trouver une explication au fait que les visiteurs du fort ne trouveront rien, ni coussins hors de prix, ni mobilier de jardin en bois précieux.

Ce mois d’août 2012 commence décidément mal, puisque je dois subir la comédie de notre départ en train. Les vacances d’un « Président normal » sont dramatiquement mises en scène par la communication de l’Élysée devant des dizaines de caméras et de photographes massés sur les quais de la gare de Lyon, devant notre TGV. Je trouve ça ridicule, je déteste cette exhibition. Je n’ai été prévenue qu’à la dernière minute. Sur les photos, j’ai d’ailleurs la tête des mauvais jours, les sourcils froncés et les traits figés.

Nos aspirations divergent : François est en manque de bains de foule depuis son élection, alors que j’attends, enfin, un peu d’intimité après deux ans de campagne politique. Le fort de Brégançon permet d’être abrité lorsque l’on se tient à l’intérieur : le jardin et la vue sont magnifiques. D’un coup, tout se calme et c’est délicieux. Même si les pièces sont sombres, nous passons de très bons moments tous les deux.

J’ai apporté une vingtaine de livres en prévision de ma chronique pour la rentrée littéraire. Chaque jour, François reçoit des coups de fil de chefs d’État et des dossiers que lui apporte l’aide de camp. Il travaille pendant des heures pendant que je lis. Nous sommes heureux ensuite de nous retrouver.

Malheureusement, nous ne pouvons pas faire un pas dehors sans être poursuivis par une horde de journalistes. Plusieurs fois, je leur demande de nous laisser. François passe derrière en disant :

– Mais non, faites.

Il est toujours dans le halo de la campagne, quand chacun de ses déplacements, dans une cour de ferme embourbée, un atelier d’usine traversé au pas de course ou dans les allées d’un marché, était suivi par une meute de caméras, de photographes et de journalistes qui recueillaient avec fébrilité la moindre bribe de phrase du candidat. Mais il est désormais le Président et donne l’image d’un homme qui passe son temps à la plage ou à se promener en polo, suivi par une femme renfrognée. La réalité, pourtant est inverse : il n’a cessé de travailler et nous avons enfin retrouvé des moments d’intimité apaisée. Illusion des images…

En quittant le Fort par l’arrière en bateau, nous réussissons à voler quelques moments et à échapper aux paparazzis, pour visiter Porquerolles à vélo ou marcher sur les sentiers de Port-Cros, ces îles magiques. Tous les Présidents avant François Hollande ont eu droit au repos. On se souvient des images des Pompidou bronzés sur leurs transats, de François Mitterrand en costume clair et canotier à Latche.

Il aurait suffi d’organiser une photo de François à sa table de travail, dans le fameux bureau du Général de Gaulle pour faire taire les mauvaises langues. En fin de séjour, François veut d’ailleurs organiser une réunion sur le budget avec Jean-Marc Ayrault, Pierre Moscovici et Jérôme Cahuzac. Le Premier ministre ne veut pas quitter sa Bretagne et François n’insiste pas… Cette réunion aurait peut-être changé l’humeur chagrine de la presse et atténué le mauvais pressentiment de l’opinion sur son début de quinquennat. Mais la politique serait si simple s’il ne s’agissait que d’images.

La gifle est brutale : dès septembre 2012, François décroche dans les sondages. Il y voit une relation de cause à effet. Passant d’un extrême à l’autre, il décide de ne plus prendre de vacances, ni de week-end. Il est depuis des années sous perfusion médiatique et se laisse influencer par ce qui est écrit, dit, commenté.

C’est par les journaux que j’apprendrai l’année suivante que nous ne retournerons pas à Brégançon, par eux encore qu’il se plaindrait d’y avoir passé des vacances cauchemardesques. C’est toujours par la presse que je découvre que nous ne passerons que quelques jours à la Lanterne au cours de l’été 2013, en guise de congés.

L’année dernière, j’ai décidé d’emmener mes enfants une semaine en Grèce, dans un hôtel que je réserve via un site de vacances soldées. Je suis sans doute la première des premières dames à avoir acheté des vacances à bas prix, alors que tous les dirigeants de la planète proposent de prêter au Président français de somptueuses propriétés.

C’est après notre rupture, une fois hors de l’Élysée et sans comptes à rendre, que je prends mes premières libertés avec cette rigueur-là. J’accepte une parenthèse au soleil de l’île Maurice avec mes amies Valérie et Saïda. Nous partons, hors saison, dans un bel hôtel pendant huit jours. J’ai besoin de m’extraire de Paris, de me sentir protégée. J’ai besoin d’un ailleurs. Je leur rends grâce : elles me font un bien fou à ce moment-là. Je sais ce que je leur dois, à elles et à quelques unes que je ne cite pas dans ce livre, parce qu’elles sont plus tranquilles dans l’ombre. Je connais la force de l’amitié féminine et elle m’a sauvée.

Les malentendus entre nous s’accumulent au retour de Brégançon. Dès l’automne 2012, je commence à m’interroger sur l’éloignement progressif de l’homme que j’aime tant. Je m’en ouvre à un ami, qui me répond :

– J’ai l’impression que son amour est lié à sa cote de popularité.

La phrase est brutale, mais elle comporte une part de vérité. Les primaires puis la campagne présidentielle ont été le sommet de son existence. Dans les derniers jours avant le second tour, je me rappelle que François marchait comme en lévitation, porté par la foule, habité par l’énergie collective. Une fois élu, il tient à sa popularité comme à la prunelle de ses yeux : elle lui rappelle la drogue dure des meetings et cet élan qu’il incarnait.

À chaque nouveau sondage, je le vois se décomposer. Et presque aussitôt se durcir dans ses rapports avec moi. Il a besoin d’un coupable qui explique son décrochage. Cela ne peut pas être lui, donc les autres et moi. Officiellement, il prétend que cela ne le touche pas, c’est évidemment faux. Je deviens le paratonnerre de tout ce qui lui arrive. Le chômage s’envole et j’en subis les conséquences. À chaque couac de ministre, à chaque usine qui ferme, je ressens une réplique : il se montre plus distant et plus cassant. Avec tout le monde. Plus rien ne va. Pas même les menus qu’il choisit lui-même, ni le pain pas suffisamment frais à son goût. Tout est de ma faute.

Pendant des mois, sa cote chute inexorablement dans les sondages d’opinion. Les premiers mois de son quinquennat sont une succession de trous d’air. Depuis toujours, il me félicite pour mon sens politique. Alors chaque soir, lorsque je le retrouve, j’essaie de lui expliquer ce qui ne va pas à mes yeux en matière de communication ou de politique. Mais il ne veut pas entendre parler de ces ratés. Il se ferme, s’énerve. Le décrochage est rapide et sans doute sévère. L’image d’amateurisme fait de gros dégâts, l’accumulation de « couacs » également. À ses yeux, Jean-Marc Ayrault commence à réunir tous les défauts de la terre. Sauf celui de la loyauté. Mais y a-t-il encore quelqu’un qui trouve grâce à ses yeux ? Je n’entends que des critiques sur les uns et les autres.

Lorsqu’il évoque – déjà – Manuel Valls pour remplacer Ayrault, je lui dis :

– Tu sais bien que si tu prends Valls, tu lui donnes la voiture et la clé. Et il va se tirer avec. Si en 2017, tu es en état de faiblesse, il exigera des primaires pour se présenter.

– Si je suis en état de faiblesse, je n’irai pas.

– Mais si, tu vas te refaire et tu es excellent en campagne !

Je continue alors à croire en lui.

Certains soirs, je prends de bonnes résolutions. Je me promets de ne pas lui parler des problèmes de la journée. Je cherche des sujets positifs et je n’en trouve pas, alors je me tais et j’évoque des sujets de la vie de tous les jours. Peine perdue, il prend le relais et attaque certains de ses conseillers, ou de ses ministres. Il perd sa clairvoyance et sa lucidité, qui ont toujours été sa force jusque-là. Il ne voit pas ce qu’il se passe. Il cloisonne tout, entre tout le monde. Il érige des murs qui finissent par s’abattre sur lui.

J’ai le tort à ce moment-là de ne pas sentir qu’il a besoin d’autre chose. Que son désarroi appelle du réconfort, de la douceur. Il lui est plus agréable – et sans doute plus facile – de trouver refuge dans les bras d’une actrice qui le trouve « magique » et le dévore des yeux comme une jeune amoureuse.

Passer de la féérie de la campagne électorale à l’aridité du pouvoir est un choc. Un samedi soir, quelques semaines après l’élection, nous regardons ensemble à la Lanterne des images du concert de Johnny Hallyday au Stade de France. Je remarque son regard, comme hypnotisé. Je devine ses pensées.

– Ça te manque, non ?

Il acquiesce, avec un sourire. Lui et moi savons ce dont il s’agit. J’ai suivi tant de campagnes électorales et je l’ai accompagné à tant de meetings : les bains de foule, la chaleur des acclamations, les salles parcourues de murmures et de rires, sa voix qui cajole et emporte, la gestuelle des candidats… Je suis l’une des rares journalistes, et parfois la seule, à l’avoir suivi à ses débuts. Jamais je ne me lassais de ses discours. Lorsque notre complicité s’est transmuée en amour, il m’adressait en public des messages que moi seule pouvait comprendre.

À l’Élysée, François ne fait pas la différence entre ceux qui sont à ses côtés pour lui et pour servir l’État et ceux qui ne l’ont rejoint que pour leur propre carrière et pour se servir de son influence. Je me méfie notamment d’Aquilino Morelle. Le conseiller spécial est très spécial. Entre nous, le courant ne passe plus. Encore directeur de campagne d’Arnaud Montebourg lors des primaires, il vient se vendre à François rue Cauchy… Je n’aime pas la duplicité.

Lorsque François est désigné, il devient l’homme de ses discours, ou plutôt des brouillons de discours. À plusieurs reprises, François le démolit devant moi lorsqu’il vient à notre domicile pendant la campagne. Aquilino Morelle en est humilié et reporte sur moi son ressentiment.

Une fois à l’Élysée, il s’empare du plus beau bureau, de la plus belle voiture et affiche sa posture de petit marquis. On me rapporte plusieurs témoignages sur ses méthodes et son comportement, notamment à mon encontre. J’en parle à François, qui balaie ces confidences d’un revers de main.

– Tu as des preuves ?

– Non, des témoignages.

Ça ne lui suffit pas.

En janvier, Aquilino Morelle s’est réjoui de mon départ. Il a même participé à la rédaction du communiqué de répudiation en dix-huit mots, bien dans son style de froid mépris. En mai, je me suis réjouie à mon tour de sa démission forcée. Il s’est pris, tout seul, les pieds dans les lacets de ses souliers faits sur mesure. Plus personne ne viendra les lui cirer. Sa vanité l’a emporté.

Quand sort l’affaire Morelle, je ne suis plus à l’Élysée. Bien que nous soyons séparés, j’alerte François sur ses conséquences. Il ne voit pas la gravité de l’affaire.

– Tu peux continuer à t’aveugler sur Morelle, comme tu l’as fait pour Cahuzac, ce seront les mêmes conséquences. Il me répond qu’il ne s’agit que d’anecdotes.

– Si, pour toi, faire venir un cireur de pompes à l’Élysée est une anecdote, c’est que tu as bien changé. Et je ne parle pas de l’argent des labos.

Je ne suis sans doute pas la seule à le mettre en garde, car il finit par comprendre et Aquilino Morelle quitte l’Élysée dans la journée.

Pour l’affaire Cahuzac, le Président n’a rien vu venir. C’est pourtant l’un des rares sujets pour lequel je suis montée plusieurs fois au créneau, juste après les premiers articles. En vain, il ne veut rien entendre. Il m’oppose toujours la même question :

– Tu as des preuves ?

Non, évidemment non, je n’ai pas de preuves. Mais j’ai des yeux et de la mémoire. Ma première alerte remonte à quelques années plus tôt. J’anime alors une émission politique sur Direct8 et j’assiste stupéfaite à un numéro de Jérôme Cahuzac face à Marine Le Pen. Mon équipe et moi en sommes choqués : député socialiste, il se comporte devant elle comme un adolescent devant une star d’Hollywood, avec une déférence totale. Quelque chose ne colle pas. Et quand Médiapart révèle que son compte en Suisse avait été ouvert par un ami de sa famille, un avocat d’extrême droite proche de Marine Le Pen, les pièces du puzzle s’emboîtent.

Je lis les articles, j’écoute sa défense, il y a quelque chose de dissonant. Un dimanche de décembre, alors que nous déjeunons chez le couple Valls, la conversation se porte sur le ministre du Budget et son compte en Suisse.

– C’est terrible pour lui, il ne dort plus, remarque Manuel Valls.

Je lui réponds :

– S’il ne dort pas, c’est qu’il n’a pas la conscience tranquille.

– Ça n’a rien à voir, là on touche à sa dignité.

Manuel Valls aurait pu choisir un autre mot que « dignité ». Le débat sur le mariage pour tous alimente alors la « fachosphère ». Sur Internet, l’extrême droite est remontée à bloc, je me fais insulter à longueur de temps. Donc la dignité de Cahuzac ne m’émeut pas autant que les autres convives.

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