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Authors: Trierweiler,Valérie

Tags: #Autobiographie

Merci pour ce moment (13 page)

BOOK: Merci pour ce moment
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Je ne connais alors Nicole, sa mère, que par téléphone. Quelques années plus tôt, il m’a fallu écrire un portrait de François pour
Paris-Match.
À l’époque, elle accepte de me parler, sur les recommandations de son fils. Le courant passe entre nous, elle se confie facilement. Dans ce portrait, j’écris que François Hollande est « anormalement normal ».

En 2006, il me demande de rappeler sa mère… pour la prévenir de notre histoire d’amour. Il n’ose pas le faire lui-même. C’est un moment particulier dans une vie. Il se passe bien. Nicole est heureuse de savoir son fils heureux, d’autant plus que ses relations avec Ségolène Royal n’ont pas toujours été harmonieuses au fil des années. Pendant toute la campagne de 2007, je l’appelle tous les jours ou presque.

Je rencontre ses parents au cours de l’été 2007, ils m’accueillent à bras ouverts. Mais la maladie de Nicole se développe inexorablement. Plus sa santé se détériore, plus François a du mal à lui parler directement. Nous allons leur rendre visite le week-end à Cannes. Sa fin de vie est terrible. Il n’y a plus rien à faire que d’attendre l’issue fatale.

Nicole est hospitalisée à domicile, après de longs séjours à la clinique. Philippe, le frère aîné de François, passe ses nuits à son chevet. Lorsque nous venons, nous prenons le relais. C’est bien peu par rapport à tout ce que fait Philippe durant la semaine. Nous dormons dans la même chambre que Nicole, à ses côtés. Dormir non, c’est impossible, nous entendons ses râles, nous passons la nuit à nous demander si son souffle est le dernier. Sa peau est desséchée, craquelée.

François me demande de la masser avec une crème hydratante, sa pudeur l’empêche de le faire lui-même, toucher ce corps qui l’a porté lui est inconcevable. Je le fais. Il me dit :

– Je ne te quitterai jamais, tu es tellement gentille avec ma mère.

Sa phrase me touche et me surprend. Il est naturel d’être présente auprès d’une mère quand on aime son fils. Je sens le lien puissant entre ces deux êtres.

Philippe téléphone un jour de semaine, nous demandant de venir le plus rapidement possible. Il est convaincu que la fin est imminente. Dans mon souvenir, c’est un mercredi. François a des engagements, il veut attendre le samedi, et convaincre aussi ses enfants de rendre une dernière visite à leur grand-mère. Deux d’entre eux acceptent à la condition que je ne sois pas là. La séparation officielle de leurs parents date de quelques mois à peine et la blessure est encore béante. Je me retire pour leur laisser la place.

Le matin du départ, le téléphone sonne très tôt. Nicole a rendu son dernier souffle. Au bout du fil, Philippe pleure. François aussi. Les enfants annulent leur voyage et je peux l’accompagner se recueillir devant la dépouille de cette mère qu’il aime tant. Trois jours plus tard, je ne suis pas admise à l’incinération, car les enfants ont fait le déplacement.

Jamais je n’oublierai le visage de François à son retour rue Cauchy. Il m’a prévenue qu’il reviendrait avec les cendres de sa mère, pour les obsèques prévues à Paris. J’achète cinq bouquets de fleurs blanches que j’installe sur la commode qu’elle nous a offerte, autour d’une photo de Nicole. Une sorte d’autel pour recueillir ses cendres, pendant les deux jours qui nous séparent encore de la cérémonie. François sonne à la porte. La boîte contenant les cendres est dans un simple sac en plastique de supermarché. Je ne saurais décrire son expression. Je ne l’ai jamais vue sur personne. Décomposé est encore un mot trop faible. Il est sous le choc, traumatisé, dévasté.

Il est touché par les fleurs que j’ai préparées. Le lendemain, nous allons ensemble organiser les obsèques, rencontrer le prêtre, et reconnaître l’emplacement dans le cimetière de Saint-Ouen. Je ne sais toujours pas si je vais être autorisée à assister à la cérémonie. Jusque-là, ses enfants ont refusé de me rencontrer.

Je n’ose pas poser la question à François, tellement j’ai peur d’être écartée, de ne pas partager ce moment avec lui. Je suis pourtant bien obligée de lui en parler, car lui n’aborde pas le sujet. Comme souvent, il préfère le non-dit. Il me confie que oui, pour lui il est naturel que je sois là.

Ma présence continue de poser problème pour les enfants. Jusqu’à la dernière minute, leur venue est incertaine. En arrivant dans l’église, François me dit :

– La famille c’est là, à gauche, toi tu vas de l’autre côté.

Un couple n’est donc pas de la même famille. J’encaisse le choc. Il s’agit des obsèques de sa mère, je n’ai pas le droit d’être une gêne pour lui ce jour-là. C’est ainsi que je me retrouve seule sur la rangée de droite. Puis il ressort de l’église attendre les enfants. Je ne sais pas exactement ce qu’il se passe. Après un long moment, il revient accompagné de ses quatre enfants, triste et heureux à la fois. Infiniment triste pour sa mère et heureux que ses enfants soient là, qu’ils acceptent d’entrer dans l’église même en ma présence.

À l’issue de la cérémonie, il m’ignore, ne me les présente pas. Je vais, seule, les saluer. Ils ne me rejettent pas. L’aînée de ses filles vient même déjeuner rue Cauchy avec le reste de la famille de François, des cousins que je n’ai jamais rencontrés jusque-là. Cette triste journée est l’occasion d’un début de normalisation.

Ces jours de deuil, je suis touchée par le chagrin de François. Qu’un homme de cinquante-sept ans soit atteint à ce point par la mort de sa mère me bouleverse, moi mère de trois garçons. Et en même temps, je sais que dorénavant il se sentira dégagé du regard et du jugement de sa mère, qu’il redoute le plus depuis toujours. Il a été tant aimé par elle. Personne ne lui a tendu de miroir aussi grand que celui qu’elle lui présentait, elle. La mort propulse chaque être en première ligne, seul face à son destin. C’est un arrachement et une liberté.

Cela ne l’empêche pas, ô combien, de penser à Nicole et avant tout à elle, le jour de l’élection. Je bloque une heure dans son agenda avec la complicité de sa secrétaire, et j’achète les fleurs. Nous y allons tôt le matin, aucun paparazzi ne vient gâcher ce moment. Comme à chaque fois que nous nous rendons au cimetière, je le laisse se recueillir seul devant la tombe de celle qui lui a donné la vie, et plus encore, la joie de vivre.

Que pense-t-il à cet instant si particulier ? À tout ce qu’il lui doit, certainement. À sa présence qui lui manque, au moment où sa vie se transforme en destin. Je me souviens de nos longues conversations, au début de la maladie, à tout ce que Nicole espérait pour nous deux. Et à cette jolie phrase qu’elle a prononcée :

– Il a fallu que j’attende que mes deux fils aient plus de cinquante ans pour les voir amoureux à ce point.

À l’époque, Philippe aussi refait sa vie, avec Caroline.

À la fin, Nicole a dit aussi :

– Je peux partir heureuse, puisque mes deux fils le sont eux-mêmes.

Le jour de son investiture, c’est à elle que François pense encore.

Après cette folle journée, il faut dormir. Depuis le premier tour, les nuits ont été si courtes, les journées si chargées, que la fatigue s’est accumulée pour chacun de nous deux. Sans compter nos insomnies respectives, pas toujours coordonnées. François se réveille chaque nuit depuis la primaire socialiste. Son sommeil est totalement perturbé. Lui, qui ne montre rien à personne de ses préoccupations, se laisse submerger la nuit par ce qui le hante. La peur de perdre, d’abord. Le poids de la charge, ensuite. Il sait que le moindre évènement extérieur peut changer la donne. Rien n’est acquis avant le jour J.

E
n cette fin de mai 2014, un sondage apocalyptique sur
les souhaits de candidature pour 2017 donne François Hollande à 3 %. Il redevient l’objet de la risée générale comme il l’était déjà quatre ans plus tôt. Je suis peinée de ce gâchis incommensurable, en colère de ce sabordage. Évidemment à titre privé, mais aussi comme citoyenne de gauche. Comment a-t-il pu en arriver là ? Retomber à ces 3 % ? Les souvenirs affluent, comme des bulles qui remontent à la surface.

Retour à la case départ, quand il se prépare mais que personne ne croit en lui. Il est le seul à penser qu’il peut y arriver. Et moi je suis prête à le suivre n’importe où. Tout a commencé un matin de novembre 2010. Alors qu’il s’habille dans notre chambre, il évoque sa candidature à l’élection présidentielle.

Ce n’est pas un sujet que nous abordons. Je sais que c’est son objectif. C’est ainsi que nous l’évoquons parfois, à demi-mot, « l’objectif ». Jamais nous ne prononçons les mots « élection présidentielle ». Un voile de pudeur entoure son ambition. Ce tabou saute une seule fois, alors que nous passons avec ma voiture rue du Faubourg-Saint-Honoré. C’est lui qui conduit. À ma grande surprise, au moment où nous longeons le palais de l’Élysée, il me dit :

– Regarde, on passe devant la maison.

J’explose de rire. Il m’a tellement souvent fait rire. Capable de dérision, comme d’autodérision. Ce matin de novembre, c’est différent, aucune lueur de malice dans ses yeux. Il est plus grave, il me demande ce que j’en pense. C’est la première fois. Je lui dis ce que je pense :

– Après ce qu’il s’est passé en 2002 et 2007, tu n’as pas le droit à l’erreur. Tu n’as qu’une question à te poser. Soit tu penses que tu es le meilleur, et tu y vas, soit non et tu laisses la place à quelqu’un d’autre.

Sa réponse fuse aussitôt :

– Je suis le meilleur.

– Alors dans ce cas, tu t’en donnes vraiment les moyens.

Nous continuons à échanger. Il n’a pas de doute sur lui-même. Il sera toujours convaincu de l’emporter sur Dominique Strauss-Kahn, même quand le patron du FMI est au firmament des sondages. Il est persuadé que Ségolène Royal ne sera pas candidate s’il l’est, lui. En 2007, il l’a laissée se présenter. Cette fois, c’est son tour.

Depuis deux ans, il travaille à cette candidature dans la plus grande discrétion. Il est parti du plus bas de l’échelle. En 2008, après le désastreux Congrès de Reims, François était totalement discrédité. La présidentielle avait été perdue, Ségolène Royal l’accusait de l’avoir fait perdre. Comme à chaque échec, il fallait un coupable et le coupable, c’était lui. Tout le monde voulait tourner la page Hollande. Onze ans à la tête du parti socialiste, ça suffisait !

Juste avant le Congrès, j’ai une idée pour lui, pour nous. J’achète une nouvelle voiture. Je troque ma vieille Clio contre une Mégane Renault. J’entre chez le concessionnaire. Je veux la nouvelle voiture tout de suite, je ne choisis pas la couleur. Je prends ce qu’il y a en stock, j’aurais été plus difficile, je crois, pour une paire de chaussures. J’ai mon plan en tête. Je veux qu’il parte la tête haute. Je veux que nous partions ensemble, qu’on nous voie partir dans ma nouvelle voiture comme le symbole d’une nouvelle vie, d’un nouveau départ. Bref, qu’il assume notre couple.

Au dernier moment, il refuse. Le climat est délétère. Le combat entre Martine Aubry, Bertrand Delanoë et Ségolène Royal tourne au psychodrame, sur fond d’accusations mutuelles de fraude. Sa succession est un échec. Martine Aubry finit par l’emporter mais à quel prix ? Le PS semble à terre. François décide de quitter les lieux par une porte dérobée, sans fanfare ni caméra. Je viens le chercher là où il me l’a demandé. Là où personne ne peut le voir partir avec moi.

Les deux années qui suivent sont les plus belles de notre vie commune. La presse le dit malheureux, déprimé, fini. Je ne vois pas le même homme. Il passe trois jours par semaine en Corrèze, le reste du temps nous sommes ensemble. Je suis dans mon placard à
Match,
loin du journalisme politique. François n’a plus d’emploi du temps surchargé, plus de chauffeur. Nous vivons dans notre appartement de la rue Cauchy qu’il a choisi lui-même. Nous prenons le temps de le meubler, de vivre, le temps de « s’occuper de nous » comme il dit. Comme si rien d’autre ne comptait. Il répète souvent :

– On va se faire une belle vie.

Chaque minute a son importance. François, le François que j’aime follement à ce moment-là, est fait pour le bonheur. Il n’aime ni les disputes ni les bouderies passagères entre amants, rien qui puisse gâcher une journée, une heure, une minute. Pour lui, la vie est infiniment précieuse.

Il sait faire passer comme personne une contrariété par une dérision, un trait d’humour qui rétablit les choses dans le bon sens. Il me fait rire même quand je n’en ai pas envie. Il a cette qualité immense de ne voir que le positif. Il dévore la vie avec un optimisme hors norme, et une capacité d’entraînement étonnante.

C’est le temps où nous partons tous les deux à l’aventure, en écoutant nos
cd
dans la voiture. Il est capable de danser le sirtaki sur la chanson de Dalida, même au volant. Simplement pour me faire rire et je ris, je ris comme jamais. C’est encore le temps où nous allons nous allonger dans l’herbe, même un jour de semaine. Je lui montre des lieux qu’il ne connaît pas. Les bords de Loire, chez moi, dont il a découvert la beauté. Je lui ai fait aimer l’Atlantique, la puissance des marées, lui qui ne jurait que par la Méditerranée et le soleil cru. Il me conduit dans les villages de sa circonscription et le long du Lot, baigné par une lumière dorée.

Je revois nos premières vacances en 2007, inoubliables, dans le sud de la France et en Italie, puis les années suivantes en Espagne ou en Grèce. À Athènes en passant par Syros, Mykonos ou encore Paros, nous nous comportons comme deux adolescents en parcourant les îles sur des scooters de location et nous roulons sans casque. Nous ne savons pas où nous dormirons le soir-même.

À ce moment-là, François sait encore perdre du temps. Nous sommes complices, il me fait rire pour un rien. Ou me rend folle quand il joue sur la réserve d’essence alors que nous sommes perdus en rase campagne. Mais je lui fais confiance, il peut m’emmener où il le veut, je le suivrai n’importe où. La seule chose qui m’importe est d’être avec lui où qu’il soit.

Ce que nous partageons est unique et incassable. Éternel. Nous pouvons être en tête-à-tête des semaines durant, pas une minute nous ne nous ennuyons. Nous rions de tout. Il me dit souvent « je t’aime car tu es une comique. » Je reconnais que ça ne s’est pas beaucoup vu par la suite ! De cette période, je suis certaine qu’il a puisé une force nouvelle qui lui a permis de franchir tous les obstacles ensuite.

Je l’emmène aussi à travers la banlieue qu’il connaît mal, lui l’élu des champs. Il met une casquette et des lunettes de soleil et entre avec moi dans ces magasins discount où l’on achète des produits entreposés sur des palettes et dont la date de péremption est proche.

Je veux qu’il connaisse la réalité quotidienne qu’affronte une partie des Français, ceux qui comptent chaque euro et ne savent jamais comment finir le mois. Lui qui préfère se passer d’un repas lorsque ce n’est pas du premier choix, ne mange pas mes fraises si elles ne sont pas des « garriguettes », ne goûte pas aux pommes de terre si elles ne proviennent pas de « Noirmoutier », et met directement à la poubelle la viande si elle est sous vide.

Il connaît si peu le prix des choses. Combien de fois l’ai-je entendu dire « ce n’est pas cher » pour des aliments ou des objets hors de prix !

Je gagne bien ma vie à ce moment-là. Bien que mes charges soient lourdes avec les enfants, j’ai une certaine sécurité financière. Mais quoiqu’il arrive, je suis incapable d’acheter quelque chose dont le prix me paraît excessif. Notre différence d’origine sociale est criante. Il se moque gentiment de moi, me surnomme Cosette. Il ne comprend pas ce blocage sur l’argent. Il ne peut pas l’imaginer, lui qui n’a jamais manqué de rien. Il lui faut toujours le meilleur, rien que le meilleur. Il aime les grands restaurants quand je préfère les bistrots, les grands hôtels quand moi je suis heureuse dans les petites auberges.

Il n’est pas flambeur pour autant. Son apparence d’ailleurs lui importe peu. Il est capable d’acheter ses chemises et ses chaussures dans les hypermarchés. Lorsque Ségolène Royal lui fait porter ses valises au siège du parti socialiste en juin 2007, après leur séparation officielle, je fais le tri. Je donne à Emmaüs la plupart de ses vêtements, même ce costume noir en velours élimé qu’il aimait tant ou ses vestes en cuir. Ses chemisettes sont définitivement bannies du placard. Nous rachetons de quoi l’habiller.

Trois ans plus tard, après qu’il a maigri de près de quinze kilos, je refais la même chose. Je donne tous ses costumes, toutes ses chemises. Il pourrait les remettre aujourd’hui, alors qu’il a repris sa corpulence. Mais c’est trop tard : d’autres hommes que lui, habillés chez Emmaüs, se promènent dans Paris avec des costumes ayant appartenu au président de la République, sans le savoir.

Il y a sept ans, je triais les valises que Ségolène Royal avait remplies avec ses costumes. Aujourd’hui, c’est à mon tour de ranger ses affaires dans des cartons et des valises, que je lui fais porter au palais de l’Élysée… « Chacun pour soi est reparti/Dans l’tourbillon d’la vie », chantait Jeanne Moreau.

Je suis tombée amoureuse de lui à un moment où il n’était que sujet de moqueries. Le voilà revenu à 3 %, comme à l’époque où nous étions le plus heureux. En ce mois de mai 2014, comme pour renouer avec ce passé, il ne cesse de m’envoyer des messages d’amour. Il me dit qu’il a besoin de moi. Chaque soir, il me demande de dîner avec lui. Il souffre, je le sais, de l’échec du début de son quinquennat. Ce n’est pas faute d’un travail acharné, sept jours sur sept. Je suis comme tout le monde, j’ai cru en lui lorsqu’il a annoncé avec certitude qu’il inverserait la courbe du chômage. J’ai vu sa déception, de mois en mois, de ne pas y parvenir. Mais au moins au début du quinquennat, François a tenu ses promesses de campagne. Notre seul désaccord à cette époque a été la fermeture de Florange. Nous en avons discuté vivement.

Je n’avais pas oublié ce moment si fort, au cours de la campagne, lorsqu’il s’était hissé sur le toit de la camionnette des ouvriers et qu’il leur avait promis de sauver leur entreprise. J’étais favorable à la proposition d’Arnaud Montebourg, qui prônait la nationalisation.

Je n’ai aucune compétence économique, mais je sais voir et entendre. Je sentais que les électeurs ne pourraient pas comprendre cette volte-face. Quand je lui parlais de la force de ce symbole, quand je lui disais que ce renoncement serait synonyme d’impuissance et de trahison personnelle, il me rétorquait que c’était impossible, un point c’est tout. Le débat a été vite clos.

Comme les choses sont allées vite. Aujourd’hui, il n’y a même plus de débat. La nouvelle conseillère économique de l’Élysée vient d’une banque anglaise, un des fleurons de la City de Londres. La formule choc du discours du Bourget, « mon ennemie, c’est la finance », est bien loin. Par provocation, son vieil ami et ministre de l’Économie, Michel Sapin, va jusqu’à affirmer que « notre amie, c’est la finance ». Quel cynisme tranquille ! Comment les électeurs peuvent-ils s’y retrouver ? Deux ans après son élection, je sens François perdu, parfois même égaré. Le changement a eu lieu. Pas celui que nous attendions.

La page, pour moi, se tourne et il le sent. Aurait-il tant besoin de moi si sa cote de popularité n’avait pas chuté autant ? Il m’écrit qu’il est en train de tout perdre. Et que la dernière chose qu’il ne veut pas perdre, c’est moi.

Il y a cinq jours, je lui ai rappelé « l’anniversaire » de son communiqué de rupture. Quatre mois que j’ai subi cette humiliation. Je réalise après coup l’ampleur du traumatisme, sur le moment j’étais anesthésiée par le choc.

Je mesure désormais le raz-de-marée de la presse internationale. Un jour, l’un me dit avoir appris ma répudiation à la une d’un journal de Phnom Penh, le lendemain l’autre m’avoir découverte en femme trompée dans un magazine de Bangkok, Pékin ou de Toronto. J’ai été jetée à la face du monde comme un rien. J’ai eu le réflexe de me protéger, mais je suis atteinte pour toujours.

Chaque jour dans la rue, des femmes, souvent, mais aussi des hommes, viennent me voir, ils me parlent de ma « dignité ». Je suis parfois obligée de tempérer leurs propos, très durs à l’encontre du Président. Un jour, après le premier tour des municipales, un homme m’aborde dans la rue et me dit :

– Je pense à vous tous les jours. J’avais toujours voté socialiste, cette fois-ci je n’y suis pas allé à cause de ce que Hollande vous a fait.

Je lui ai répondu :

– On peut être dans la colère ou la déception, mais j’y suis allée, moi. J’ai même voté socialiste. Parce que je ne veux pas que le Front national devienne le premier parti de France.

Cet homme m’a regardée, d’abord interloqué, avant d’acquiescer.

– OK, j’irai voter au deuxième tour.

Un autre jour, de jeunes collégiens d’une douzaine d’années à peine me demandent de faire des photos. Je réponds oui, comme toujours. L’un d’eux s’écrie :

– Je ne voterai jamais pour Hollande avec ce qu’il vous a fait !

Je souris, car lorsqu’il sera en âge de voter, 2017 sera passé, il votera en 2022…

Beaucoup de gens me confient leurs histoires de ruptures et de tromperies subies. Ils me parlent de ma force et même de ma métamorphose, me disent que je suis moins crispée, plus naturelle. Je suis libérée des chaînes du protocole comme de celles de cet amour fou. Jour après jour, je sors de la prison sans chaîne ni barreaux d’un amour passionnel.

Mais la force que l’on me prête n’est qu’apparence. Depuis quatre mois, je prends des médicaments sur l’insistance des médecins. « J’ai rarement vu un choc d’une telle violence », me dira même un éminent psychiatre. Malgré le traitement, je craque encore parfois, il suffit d’un rien, d’un détail et toute la violence de mon histoire remonte à la surface. Il y a quinze jours, j’assiste à un mariage d’amis. Une jeune femme vient me voir et me dit être Tulliste.

– Vous savez, les Corréziens vous aimaient beaucoup.

Sans que je puisse me contrôler, je m’effondre en larmes. L’évocation de Tulle me rappelle les moments heureux. Je suis émue que des Corréziens m’apprécient comme je suis, loin du portrait de manipulatrice ambitieuse que l’on dresse de moi.

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