Nash rentra chez lui en essayant pendant tout le trajet de deviner ce que SURE signifiait désormais. Source Unique d’une Religion Évolutive, peut-être. Ou bien Sûre Ubiquité de Réappropriation Éternelle.
Il se réveilla tôt, fit son lit, ses tartines grillées et son café. Il mangeait assis près de la fenêtre, en robe de chambre. Il regardait les premiers rayons du soleil inonder la pièce, refléter leur éclat sur le parquet, et le réchauffer tandis qu’il finissait son petit-déjeuner. Une matinée charmante.
Il entendit frapper lourdement à sa porte. Vite, il se leva et commença à s’habiller. Enfila un pull. Se baissa pour lacer ses chaussures de marche. Enfila son caban puis son bonnet en laine. On frappait et discutait de plus belle.
Il glissa un stylo dans la spirale de son carnet, qu’il fourra dans la grande poche avant de son manteau. Puis il ouvrit la porte d’entrée. Deux hommes en costume et pardessus se tenaient sur le seuil. Au loin, derrière eux, on apercevait les Cascades. Le sommet des montagnes était parfaitement visible, et, il dut bien finir par le reconnaître, magnifique. L’un des hommes glissa une main sous son manteau.
“Pourquoi avez-vous été si longs ?” demanda Nash.
Elle appuya sur la sonnette. La barrière en bois faisait plus de deux mètres de haut. Une voix de femme répondit.
“C’est Jeanie Morris, je viens pour Mme Benton.
— Elle n’est pas chez elle.
— Elle sait que je dois venir. J’ai une enveloppe à lui remettre.”
D’une main, Mary tenait fermement la petite enveloppe, de l’autre un sac à main. Des gouttelettes de sueur perlaient sur sa lèvre supérieure malgré le vent glacial qui soufflait de l’océan. La porte émit un bourdonnement, et Mary pénétra dans une cour paysagée à l’excès. Quant à la maison, neuve, elle avait été construite pour ressembler à un bungalow balnéaire victorien en pierre. Mais de dimensions gigantesques : un manoir, ce bungalow. Mary entendait ses talons cliqueter sur les dalles de l’allée. Elle portait une robe en lin qui lui arrivait juste au-dessus du genou, une veste coordonnée, et des chaussures à bout carré et petit talon, ornées de boucles en forme de marguerite, lesquelles étaient assorties au cuir de son sac à main à fermoir. Elle s’était appliquée du fond de teint sur le visage, et avait mis du rouge à lèvres, du crayon et du fard. Elle avait les cheveux relevés sur le dessus de la tête, une coiffure stylée. Au fur et à mesure qu’elle se préparait, chaque étape du maquillage et de l’habillement lui avait donné un peu plus de courage. Elle se caparaçonnait. Se donnait des armes en brandissant l’inoffensive baguette du mascara et en respirant le lin tout frais. Elle se sentait cachée et parfaitement à la hauteur. Propre, distinguée, dangereuse.
Allez-y, sous-estimez-moi, pensait-elle. Quand elle atteignit l’escalier de l’entrée, elle arborait un sourire confiant, mais inexpressif.
Une femme d’âge moyen ouvrit la porte. Elle aussi arborait un sourire inexpressif, indéchiffrable.
“Je suis Mme Malcolm, la femme de ménage. Je veillerai à ce que Mme Benton reçoive votre lettre.”
C’est à peine si elle regarda Mary en prenant l’enveloppe.
“Je regrette vraiment d’avoir manqué Mme Benton.
— Je lui dirai que vous êtes passée.”
Mme Malcolm s’apprêtait à fermer la porte.
“Puis-je utiliser votre salle de bains pour me rafraîchir ?”
La femme de ménage n’hésita pas.
“C’est juste là”, dit-elle, et Mary la suivit jusqu’à un petit cabinet de toilette situé sous l’escalier principal. Ayant fermé la porte elle posa délicatement son sac à main sur le rabat de la cuvette. Elle se regarda dans la glace et prit une grande inspiration. Son estomac et sa poitrine se contractèrent l’un après l’autre. Elle s’agrippa au lavabo et crut un instant qu’elle allait s’évanouir. Elle fit couler l’eau, inspira profondément à plusieurs reprises. Puis elle approcha son visage du robinet pour y boire directement. Elle pensait à toutes les choses terribles, monstrueuses, qui avaient servi à bâtir cette maison opulente, monstrueuse.
Il y avait sous le lavabo un placard en chêne à deux battants. Elle l’ouvrit. Outre les tuyaux, elle aperçut une brosse W.-C. et une bouteille de Mr Propre. Retirant son sac à main du dessus de la cuvette, elle s’agenouilla devant le placard. Précautionneusement, elle déposa le sac à l’intérieur, sous le coude des tuyaux. De la main gauche elle maintenait la poignée, de la droite elle ouvrit le fermoir. Un cadran de réveil, des fils de fer et un bloc de plastic moulé pas plus gros que deux poings.
Elle regarda sa montre.
Glissa sa main dans le sac pour maintenir droit le cadran du réveil.
Tira sur le barillet jusqu’à ce qu’il émette un clic.
Tendit l’oreille pour entendre le léger tic-tac.
Inspira.
Lâcha.
LES CHOSES NE SE SONT PAS
passées comme je l’aurais imaginé. Ni drame, ni révélations. Ni cassure. Seulement une distance qui augmente régulièrement. J’ai l’impression de me renier à tout laisser tomber, c’est un peu triste, d’ailleurs. Ce que je veux dire, c’est que c’est fini, je n’écoute plus les Beach Boys. Pas une note, jamais. Les vinyles glissés dans leur pochette en plastique restent figés là, dans un carton posé dans ma chambre (rangés par ordre chronologique de sortie, bien sûr). Je les admire toujours, je les apprécie, mais c’est presque purement intellectuel à présent. Je n’ai plus ce désir profondément ancré de les écouter en boucle. Franchement, je n’aurais jamais cru que ce
jour
viendrait vraiment. C’est triste, bien sûr, mais quelque part je suis soulagé, libéré. Avec le temps, je découvre d’autres choses pour remplir cet espace désormais vacant. À moins que je ne les aie trouvées d’abord, et que ce soit elles qui ont doucement poussé les Beach Boys vers la sortie. En tout cas, maintenant j’ai le temps d’écouter mes disques des Kinks, un groupe que je me suis mis à admirer. Même si, pour je ne sais quelle raison, je n’imagine pas qu’un lien aussi fort qu’avec les Beach Boys se crée. Eux, c’était peut-être une exception. Et puis d’autres pensées, d’autres intérêts, dont certains n’ont d’ailleurs aucun rapport avec la musique vintage, se sont installés, voire développés.
Comme je l’ai dit, cela n’a rien eu de spectaculaire, ni de délibéré, non. Je me suis de moins en moins tourné vers ces albums, c’est tout. Et même lorsque je les passais, mon esprit s’évadait de plus en plus. Je sautais des chansons. Ou peut-être ai-je tout bonnement fini par épuiser mes vieilleries et me suis-je retrouvé à court de matière nouvelle à écouter (finalement, malgré les disques pirates, cette œuvre n’en reste pas moins limitée).
Ne vous méprenez pas. Ce n’est pas comme si j’étais prêt, dans les jours à venir, à mettre aux enchères sur eBay mon album
Summer Days (and Summer Nights !!)
enregistré sur un 33 tours de cent quatre-vingts grammes. Ou mon édition britannique rare en 45 tours, comme neuve, dans sa pochette originale, de “God Only Knows”, avec sur l’autre face “Wouldn’t It Be Nice” (et qui vaut une petite fortune sur le marché des collectionneurs). Ou même mon édition bon marché sur disque compact de
The Beach Boys Love You
(où l’on entend des claviers au son étrangement artificiel, et que l’on pourrait qualifier d’album le plus bizarroïde que les Beach Boys aient jamais composé). Non, je vais tout garder : les 33 tours, les CD, les 45 tours et les maxis, et ce pour deux raisons importantes :
D’abord, le moment viendra où j’aurais passé assez de temps sans les écouter pour qu’en les passant à nouveau ils puissent me sembler différents, novateurs. Il est possible qu’ils me captivent derechef, et peut-être même de manière plus profonde parce que je serai une personne plus mûre, et, sûrement, plus profonde. Il est possible que j’y trouve des choses qu’auparavant, dans ma prime jeunesse, je n’avais jamais été capable d’entendre. Et qui me rendent aussi enchanté, aussi joyeusement captivé qu’alors. Que je retombe amoureux. Tout cela pourrait advenir. C’est possible, non ?
La seconde raison qui me pousse à garder ces artefacts, c’est que je pressens ce qui va se passer. J’ai besoin de ces disques parce qu’un jour, dans plusieurs années, j’écouterai cette musique et je me souviendrai exactement de ce à quoi ça ressemblait d’être moi aujourd’hui, à quinze ans, complètement habité par cette œuvre, dans ce moment et ce lieu bien précis. Mes disques des Beach Boys restent là, capsule sonore et temporelle branchée directement sur mon âme. Quelque chose dans cette musique me rappellera non seulement ce qui s’est passé, mais tout ce que j’ai ressenti, tout ce que j’ai désiré, tout ce que j’ai été. Et ça, ce ne sera pas rien, vous ne croyez pas ?
Les personnes suivantes ont répondu à de nombreuses questions et m’ont donné de leur temps : Beep Brown, Blake Hayes et Tim Horvath à Cherry Valley, dans l’État de New York. Kristi Kenny de Left Bank Books, Eric Laursen de AWIP, Carter Adamson de Skype, Dustan Sheppard de ICQ. Richard Frasca. David Meyer. George Andreou.
Merci à Liza Johnson de m’avoir permis de voir son film. Et à tous ceux qui m’ont aidée. Je suis redevable à Cecil B. Currey et à son essai intitulé
Residual Dioxin in Vietnam.
Merci pour l’aide matérielle sans laquelle écrire serait impossible : Jessie et Ted Dawes, Terry Halbert et Bill Coleman. Je remercie tout particulièrement Willy Brown et Rebecca Wright de m’avoir alloué le Rose-boom Housing Fellowship.
J’ai vraiment beaucoup de chance d’avoir pour éditrice Nan Graham. Merci pour tout le temps et l’attention qu’elle m’a accordés. Merci également à Alexis Gargagliano pour son travail considérable. Et à Melanie Jackson pour son enthousiasme et ses encouragements.
Merci, Don. Merci, Gordon.
Enfin, je serais coupable d’une grande négligence si je m’abstenais d’exprimer avec toute la force requise ma gratitude éternelle envers Clément et Agnès pour l’inspiration qu’ils m’ont apportée et pour la patience dont ils ont fait preuve.
Magasin ou centre social qui sert de lieu de réunion et de diffusion d’information pour les anarchistes.
(Toutes les notes sont de la traductrice.)
Smokey Bear (littéralement l’ours enfumé) : mascotte d’une campagne publicitaire publique lancée en 1944 pour sensibiliser les Américains au danger des feux de forêt. Le slogan était :
Only you can prevent forest fires
(“Vous seuls pouvez éradiquer les feux de forêt”).
En français dans le texte.
En français dans le texte.
Nom donné à différents groupes féministes indépendants créés aux États-Unis entre 1968 et 1969. Le sigle WITCH (sorcière) signifie Conspiration internationale terroriste des femmes venue de l’enfer.
La toute première fois que j’ai vu ton visage.
7
Dans les années I960, Bernardine Dohrn, en tant que leader de l’organisation Weather Underground qui s’opposait à la guerre du Viêtnam, dirigea des actions terroristes contre le gouvernement américain.
On soupçonne le Wobbly, surnom d’un mouvement syndicaliste américain (Industrial Workers of the World), d’avoir organisé la première grève générale d’ouvriers aux États-Unis, à Seattle, en 1919.
Bowery est un quartier de Manhattan, à New York, connu pour la violence qui y règne et sa population de paumés et de drogués.
Extrait des paroles de la chanson “Good Vibrations” des Beach Boys : Je ne sais pas où, mais elle m’y envoie.
En 1948, Alger Hiss, ancien haut fonctionnaire au ministère des Affaires étrangères des États-Unis, fut poursuivi en justice, accusé d’être un espion communiste et d’avoir divulgué des documents secrets.
À l’origine, le sigle
DIY
fait référence au rayon bricolage dans les supermarchés, ou à des artistes qui produisent leur œuvre, quelle qu’elle soit, de A à Z. Il a ensuite pris une valeur plus engagée, désignant en effet un mouvement de contre-culture qui s’oppose au monde de l’ultra-consommation.
Émission de télévision dont le principe est d’aider la police à retrouver des fugitifs recherchés pour des crimes de toute sorte.