Read La Bible du crime (NON FICTION) (French Edition) Online
Authors: Stéphane Bourgoin
Pendaison en chaînes de MacGregor en Angleterre.
L
e 25 juillet 1834 fut aboli, en Angleterre, un supplice étrange et féroce : la pendaison en chaînes. En effet, depuis un temps immémorial, l’habitude de laisser les pendus bardés de tiges de fer pourrir sur les gibets, ou même de pendre vif les criminels entourés de chaînes, près du lieu du crime, avec l’intention de détourner leurs semblables des sentiers du vice, était une coutume grossière, fort à l’honneur dans la moyenâgeuse Angleterre.
En 1341, les cadavres d’une femme et de deux hommes, qui avaient assassiné un des pourvoyeurs du roi, demeurent suspendus, douze années, au gibet d’Ashover Moor. En août 1381, le roi, courroucé de voir que les corps des suppliciés étaient rapidement détachés des gibets, adressa immédiatement à tous les baillis du royaume un édit leur ordonnant, sous peine de mort, de fabriquer des chaînes spéciales pour suspendre les corps aux potences aussi longtemps qu’une partie du cadavre resterait attenante à une autre. C’est cet extraordinaire édit qui était encore en vigueur, dans certains cas, voici tout juste cent soixante-deux ans.
En 1537, sir Robert Constable est attaché au-dessus de la porte de Beverley, à Hull, pour crime de haute trahison, et il est si bien arrimé, que ses os, on s’imagine, s’y trouveront encore dans cent ans…
Le 6 mars 1637, MacGregor, de Durham, est condamné, pour vol et assassinat, à être attaché vif dans des chaînes jusqu’à ce que son corps tombe en pourriture. Le pauvre diable aurait vécu, paraît-il, durant soixante jours, parce que sa maîtresse venait l’alimenter, la nuit, avec du lait. Le bailli, ayant appris le fait, fit incarcérer la courageuse femme et, pour aggraver le supplice de MacGregor, fit placer une miche de pain à portée de sa bouche, mais fixée sur des pointes acérées qui lui seraient entrées dans la gorge s’il avait essayé d’apaiser sa faim.
Les cris du malheureux étaient horribles et on les entendait à plusieurs miles à la ronde. Les gens de la contrée quittèrent même leurs maisons jusqu’à ce que sa mort soit un fait accompli.
En 1806, un nouvel édit fut promulgué, ordonnant de couvrir de goudron les corps des criminels pendus en chaînes, afin d’en assurer plus longtemps la conservation. Mais les paysans profitèrent de ce goudron pour mettre le feu aux cadavres qui les empestaient.
Le 3 août 1832, à Durham, le gréviste Jobling fut enchaîné au gibet de Jarrow Slake. Enfin, le dernier supplicié en chaînes fut un certain James Cook, exécuté pour avoir tué à bout portant, en pleine rue, un commerçant de Londres, John Pass, à qui il devait de l’argent. Le corps de Cook fut enchaîné à une potence haute de 33 pieds, le samedi 11 août 1832, dans le sentier de Saffron, à Aylestone, près de Leicester. Le 28 juillet 1834, ce supplice étant aboli, on dépendit son squelette.
Trois hommes armés de couteaux et de revolvers se disputent les faveurs d’Amélie Elie (1878-1933) dans la rue Dénoyez, à Belleville. Plus connue et immortalisée par Simone Signoret dans le film
Casque d’Or
, cette prostituée est l’objet de rivalités entre les souteneurs Manda et Leca.
L
e fameux talus des « fortifs » sur lequel des générations d’« apaches » et de filles ont roulé leurs brutales amours n’existera bientôt plus. Toute cette ceinture de pelouse râpée et poussiéreuse dont les honnêtes gens s’écartaient avec méfiance, la nuit tombée, fera place prochainement à de vastes quadrilatères d’immeubles neufs, intercalés de squares et de terrains de sport. Mais le nivellement progressif du talus et le comblement des fossés profonds n’ont pas encore enlevé à cette zone son
caractère particulier ; les boulevards périphériques, sur plusieurs kilomètres, sont toujours fréquentés par cette faune crapuleuse de filles soumises et de souteneurs que Bruant chanta, il y a trente ans, dans ses populaires refrains consacrés aux indigènes des bas-fonds.
Pour illustrer le monde des « pierreuses » et de leurs « mèquetons » à cette époque, voici un article de Pierre Demours, en date du 4 décembre 1932 pour l’hebdomadaire
Police Magazine
:
« Les mœurs spéciales des indésirables hôtes de ce secteur de la capitale ont été maintes fois décrites, et par de grands écrivains. Mais le sujet est toujours d’actualité. L’amour vénal avec ses exploitants, ses intermédiaires, ses victimes, sa clientèle, fera couler encore beaucoup d’encre. Les silhouettes de la fille et de son souteneur, dans le décor de la zone, sont éternelles.
Les filles de la zone ont été affublées de sobriquets multiples au cours des âges : pierreuses, gigolettes, marmites, rombières, etc., et leurs sinistres compagnons furent et sont encore des costels, barbeaux, dis, poisses, dos vert, maquereaux, maques, mèquetons, etc. Les noms changent, mais le rôle reste. D’ailleurs, nous n’entendons pas écrire une étude de ces personnages, mais bien plutôt voir ce qu’ils sont aujourd’hui. À vrai dire, ils n’ont guère changé, certes, leur centre s’est déplacé, depuis une dizaine d’années, à la suite du plan d’aménagement et de constructions sur leur domaine ; mais ils tiennent bon sur certaines parties de leur territoire non défrichées.
Il y a toujours sur la zone des bandes redoutables de souteneurs qui, entre deux mauvais coups, surveillent étroitement les allées et venues de leurs “femmes”. C’est une sorte de mafia dont les membres, pour la plupart repris de justice, s’entendent secrètement pour maintenir sous leur joug terrible de malheureuses filles terrorisées et veules, mais dont quelques-unes acceptent par amour cet esclavage odieux.
Il ne faut pas croire que le souteneur vient toujours de la pègre. Un inspecteur de la police des mœurs qui connaît bien ce milieu nous a raconté l’histoire navrante d’Alfred D., ce jeune homme de bonne famille entraîné par une femme de mauvaise vie, qui en fit un être en marge de la société. Le jeune Alfred D. était fils unique d’un riche industriel ; il avait 19 ans lorsqu’il fit la connaissance d’une
fille en carte surnommée “la Panthère blonde”. Le jeune homme, qui avait donné jusqu’ici toutes satisfactions à sa famille et s’apprêtait à seconder son père, se débaucha ; il ne rentra plus chez lui, passant ses jours et ses nuits auprès de sa maîtresse. Prières et menaces furent vaines pour le remettre dans la bonne voie ; on lui coupa les vivres. La “Panthère blonde” assujettit alors plus que jamais son amant. Il n’avait plus d’argent à lui donner ? Qu’à cela ne tienne ! C’est elle qui pourvoirait à l’entretien du couple. Tout d’abord, il refusa, mais il fallait manger, s’habiller, se loger. Travailler ? Elle entendait l’avoir auprès d’elle à son gré et puis le travail régulier n’est guère considéré dans ce milieu. Ainsi, peu à peu, le jeune homme sombra dans la pire déchéance ; il se laissa entretenir par cette femme ; il fréquenta les individus de son acabit ; sa famille multiplia les démarches pour tenter de l’arracher à l’emprise de la “Panthère blonde” ; mais rien n’y fit ; il était irrémédiablement perdu. Son père mourut de chagrin quelques années plus tard ; quant à lui, il devait succomber dans une rixe sanglante, près de la porte de Saint-Ouen.
Il ne faudrait pas s’imaginer davantage que le souteneur est toujours un beau mâle. Témoin “Bibi le Grêlé”, un véritable monstre, la figure trouée comme une passoire, le nez cassé par un coup de poing, la taille voûtée, et qui tint le haut du trottoir sur la zone pendant ces vingt dernières années. Cet être repoussant n’avait pas moins de trois jeunes femmes qui “travaillaient” pour lui et subvenaient à ses besoins. Il convient de dire que “Bibi le Grêlé” était d’une force redoutable ; il savait “soutenir” ses femmes. En effet, en prenant un “marlou”, la fille entend, dans la plupart des cas, se ménager un appui, un renfort, une aide, qui, dans les difficultés de son étrange trafic, lui apportera la collaboration nécessaire. Un client se montre-t-il récalcitrant pour remettre la rémunération convenue des faveurs de la belle, essaie-t-il de se sauver sans payer, cherche-t-il des noises ? Le souteneur apparaît ; c’est lui le caissier-comptable ; il se fera payer et, si sa môme est menacée, il sortira son “lingue”, risquant le bagne ; ce sont les obligations du métier ; nul souteneur ne peut s’y soustraire sans forfaire à l’honneur très particulier du milieu.
La fille en puissance de souteneur veut-elle rompre le contrat tacite qui les unit ? Malheur à elle ! Elle risque la mort dans cette
tentative. Nous avons relevé dans les archives de la police le récit suivant d’une fille soumise, la “Môme Fromage”, qui avait voulu se séparer de son souteneur, “Dédé la Vache”. La malheureuse, prise du désir de quitter une existence ignominieuse, avait annoncé à son homme qu’il ne devait plus compter sur ses subsides. Le “marlou” qui avait en la “Môme Fromage” une femme d’un bon rapport, refusa la séparation. La fille résolut alors de recourir à un moyen assez fréquemment employé : elle avertit la police ; une nuit, la “pierreuse” remit ostensiblement, en pleine rue, de l’argent à son maître ; un agent de la police des mœurs prévenu était aux aguets : il put “poisser” “Dédé la Vache” en flagrant délit. Son compte était bon. En effet, récidiviste, l’homme fut condamné à cinq ans.
Au courant du fait, les collègues de “Dédé la Vache” se réunirent en une sorte de conseil de guerre. Laissons la parole à la “Môme Fromage” : “Je regagnais vers 8 heures ma chambre, à l’hôtel X… ; il faisait sombre, je fus abordé par un ami de “Dédé la Vache” que je connaissais bien.
— Suis-moi, sans dire un mot, m’ordonna-t-il, ou je t’égorge comme un lapin.
Je n’avais qu’à obéir. Je savais qu’un cri, qu’un pas en arrière, m’eût coûté la vie. Dans le milieu des “mecs”, il règne une discipline sauvage, des lois farouches que nul n’enfreint sans risquer la mort ; n’importe où il fuira, celui qui a failli à la règle sera signalé et rejoint.
« Je fus conduite dans une baraque en bois qui appartenait à une mégère d’une soixantaine d’années, ancienne fille publique, connue sous le sobriquet de “Marie-Couche-toute-nue”. Là s’étaient réunis autour d’une table, devant un litre de rhum, des individus que je connaissais bien, des “aminches” de “Dédé la Vache” : la Terreur de Javel, le Butor, le Grêlé-de-Saint-Ouen, Nez-Cassé, le Matelot et un forçat connu sous son matricule “275”, tous souteneurs “à la redresse” ; le Matelot, qui présidait cette sorte de tribunal devant lequel j’étais traduite, m’interrogea :
— Tu es accusée d’avoir vendu “Dédé la Vache”. Tu sais ce qui t’attend ? Qu’as-tu à dire ?
J’essayai de me disculper et de mettre l’arrestation de mon ami sur le compte d’une coïncidence malheureuse. Mais mes
juges avaient rassemblé contre moi des preuves accablantes et irréfutables.
Après un bref colloque, le Matelot prononça la sentence :
— “Dédé la Vache” sera vengé !
Et ce disant, il sortit de sa poche un coutelas gainé ; il en tira la lame qui avait bien vingt-cinq centimètres de long et cinq de large.
— “Môme Fromage”, tu peux dire ta prière…
Je m’évanouis de terreur. Ce malaise devait me sauver. En effet, tombée sur le sol, les yeux clos, je fus ramassée par le Butor et j’entendis le Matelot qui disait :
— L’égorger “dans les pommes”, ce serait trop bon pour elle ! Il faut qu’elle souffre auparavant, qu’elle se voie mourir…
Je fus jetée dans un coin de la pièce comme un paquet de linge sale. Mes juges, en attendant mon réveil, se mirent à boire, mais avec si peu de mesure qu’ils furent bientôt ivres ; les uns s’endormirent sur place ; les autres sortirent pour prendre l’air. C’est alors que je gagnai la porte en me faufilant. Une fois dans la rue, je me mis à courir… J’étais sauvée ! Je l’avais échappé belle ! Une semaine plus tôt, une femme qui, comme moi, avait voulu se débarrasser de l’ignoble contrainte, “Jeanne la Folle”, avait eu la gorge tranchée. On l’avait retrouvée le lendemain, à l’aube, morte, sur le talus des fortifs.
Quelles sont les occupations favorites de ces “messieurs” pendant que leurs gonzesses turbinent ? La plupart du temps, ils consomment dans des bars spéciaux de la périphérie, tenus par un débitant de leur milieu, et ils jouent d’interminables belotes, le mégot aux lèvres. De temps en temps, ils sortent pour jeter le coup d’œil du maître sur les allées et venues de leurs femmes. En principe, ils ne travaillent pas : ils sont trop beaux gosses. Cependant, pour l’état civil, ils se font passer pour camelots. Lorsque le “miché” chôme, et que la recette est minime malgré les torgnoles administrées, le souteneur se décide à faire œuvre de ses dix doigts, c’est-à-dire qu’il pratique l’attaque nocturne, fait le pickpocket et participe à des cambriolages.
Les clients de la zone ne sont pas d’ordinaire des gens huppés : ouvriers en bombe, passants en goguette, sont la proie facile de la rôdeuse d’amour. Mais on a vu des personnages titrés, des lords
authentiques, fréquenter la zone pour s’acoquiner et goûter des sensations fortes. Un grand-duc se plaisait autrefois à descendre dans ces bas-fonds, à trinquer avec les apaches, à s’ébattre avec les filles. Une nuit, il faillit y laisser sa vie, au cours d’une rixe sanglante. Un inspecteur de police chargé de surveiller discrètement le parent du tsar intervint à temps. Il y eut aussi un prince balkanique qui, lorsqu’il était “éméché”, s’amusait à chercher noises aux “marlous” et boxait avec eux ; comme il était passé maître dans l’art de décrocher un swing, il avait parfois le dessus. Lorsque les affaires se gâtaient, il distribuait des louis à la volée et s’éclipsait.
La fille de la zone est presque toujours une pauvre femme sortie de la pègre, déchets humains des faubourgs. Pourtant, la police eut à s’occuper, il y a une dizaine d’années, d’un cas peu ordinaire : la femme d’un homme occupant une haute situation sociale était tombée amoureuse d’un souteneur qu’elle avait rencontré à la fête de Neuilly, une nuit. Perdant tout sens moral, en proie à une
crise d’aberration, cette femme du monde, mère de deux enfants, abandonna l’opulent foyer conjugal pour aller rejoindre sur la zone celui qu’elle aimait. Par dépravation, elle se soumit à la loi infâme du milieu : elle se prostitua. Cette aventure incroyable dura plusieurs mois. Finalement, la famille fit interner la malheureuse qui avait perdu jusqu’au souvenir de sa riche condition passée.
Une autre histoire navrante est bien celle de “Nini la Blonde”. Cette “pierreuse” de 18 ans, fort jolie, avait fait la connaissance d’un jeune homme de bonne famille qui ignorait son état de lamentable sujétion. Elle s’était fait passer pour une honnête midinette. Une tendre idylle s’ébaucha ; certes, les parents du jeune homme avaient rêvé pour leur fils une union plus en rapport avec leur situation de fortune ; mais celui-ci, leur affirmant que sa fiancée était pauvre mais honnête, ils consentirent finalement à ce mariage, qui fut célébré un mois plus tard.
Mais le souteneur de “Nini la Blonde”, un redoutable individu surnommé le Balafré à cause d’une longue cicatrice qu’il portait à la joue, s’était mis à la poursuite de la disparue.
Il avait perdu sa trace, lorsque, un an s’étant écoulé, un fatal hasard plaça sur le chemin de l’ancienne fille devenue M
me
X…, un camarade du Balafré. L’homme signala aussitôt à l’apache la présence de son ex-maîtresse dans le quartier de l’Europe où elle habitait. Le Balafré fit longtemps le gué dans les parages, et il arriva un jour où “Nini la Blonde” se trouva en face de lui. On devine ce que fut cette rencontre. L’odieux personnage fit chanter la malheureuse jusqu’au jour où il voulut la contraindre à revenir chez lui. Elle refusa avec dégoût.
— C’est bien, dit le Balafré. Mais avant ce soir, ton mari saura quelle catin il a épousée !
En effet, la lettre dévoilant le passé infamant arriva à son adresse. Le mari lisait avec la stupeur que l’on conçoit l’atroce missive, et il se dirigeait vers la chambre où il savait trouver sa femme pour lui demander des explications, lorsqu’un coup de feu retentit. La pauvre petite “Nini la Blonde” s’était tuée.
Les rixes sont fréquentes dans le milieu des filles et des souteneurs de la zone. Des bandes rivales se disputent souvent les charmes d’une donzelle de bon rapport ; des batailles rangées mettent aux prises les associations de “marlous”. La police arrive
toujours trop tard ; elle ramasse les blessés. La plus fameuse affaire que les mémorialistes de la zone aient eue à enregistrer fut bien celle de “Casque d’Or”, dont deux bandes à couteaux tirés, celle de Manda et celle de Leca, recherchaient l’exclusivité des faveurs. “Casque d’Or” était, comme son surnom l’indique, une blonde plantureuse aux cheveux flamboyants. Elle passait d’un camp à l’autre, selon l’issue des combats. La rubrique des faits divers de l’époque – c’était en 1910 – est pleine des exploits de Leca et de Manda, chevaliers intermittents de la belle amazone des fortifs.