La Révolution des Fourmis (16 page)

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Authors: Bernard Werber

Tags: #Fantastique

BOOK: La Révolution des Fourmis
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Maximilien contourna l’édifice. Pas de porte, pas de
fenêtre, pas de cheminée, pas de boîte aux lettres. Rien qui évoquât une
habitation humaine. Seulement du béton recouvert de miroirs et une pointe
translucide.

Il recula de cinq pas et observa longuement la construction.
Ses proportions et sa forme étaient harmonieuses. Quel que soit l’architecte
qui avait érigé cette étrange pyramide en pleine forêt, il avait abouti à une
perfection architecturale.

 

38. ENCYCLOPÉDIE

 

NOMBRE D’OR
 : Le nombre d’or est un rapport précis grâce
auquel on peut construire, peindre, sculpter en enrichissant son œuvre d’une
force cachée.

À partir de ce nombre ont
été construits la pyramide de Chéops, le temple de Salomon, le Parthénon et la
plupart des églises romanes. Beaucoup de tableaux de la Renaissance respectent
eux aussi cette proportion.

On prétend que tout ce qui
est bâti sans respecter quelque part cette proportion finit par s’effondrer.

On calcule ce nombre d’or
de la manière suivante :

1
 + √ 
5

    2

Soit 1,6 180 335.

Tel est le secret
millénaire. Ce nombre n’est pas qu’un pur produit de l’imagination humaine. Il
se vérifie aussi dans la nature. C’est, par exemple, le rapport d’écartement
entre les feuilles des arbres afin d’éviter que, mutuellement, elles ne se
fassent de l’ombre. C’est aussi le nombre qui définit l’emplacement du nombril
par rapport à l’ensemble du corps humain.

Edmond Wells,

Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu
, tome III.

 

39. SORTIE DE L’ÉCOLE

 

Le lycée était un bâtiment parfaitement carré.

Ses trois ailes de béton en U se fermaient sur une haute
grille métallique traitée à l’antirouille.

« Un lycée carré afin de former des têtes
carrées. »

Elle espérait que les flammes lécheraient bientôt les murs
de cet établissement qui ressemblait pour elle à une prison, à une caserne, à
un hospice, à un hôpital, à un asile d’aliénés, bref, à l’un des ces endroits
carrés où l’on isole les gens qu’on veut voir le moins possible traîner dans
les rues.

La jeune fille guettait la fumée qui s’échappait, épaisse,
du côté des poubelles. Le concierge surgit bientôt, armé d’un extincteur, et
noya le début de sinistre dans un nuage de neige carbonique.

Pas facile de s’attaquer au monde.

Elle marcha dans la ville. Tout, autour d’elle, remuglait la
pourriture. En raison de la grève des éboueurs, les rues étaient pleines de
poubelles débordant des détritus classiques des humains : petits sacs
bleus éventrés remplis d’aliments en putréfaction, de papiers sales, de
mouchoirs collants…

Julie se boucha les narines. Elle eut l’impression d’être
suivie en s’avançant dans la zone pavillonnaire, déserte à cette heure-ci. Elle
se retourna, ne vit rien et poursuivit son chemin. Mais, comme l’impression se
faisait plus forte, elle jeta un coup d’œil dans le rétroviseur d’une voiture
garée au bord du trottoir et constata qu’en effet elle ne s’était pas trompée.
Il y avait trois types, là-bas, derrière elle. Julie les reconnut. C’étaient
des élèves de sa classe, tous membres de la caste du premier rang, avec à leur
tête Gonzague Dupeyron, toujours en chemise et foulard de soie.

Instinctivement, elle pressentit le danger et déguerpit.

Ils se rapprochaient, elle accéléra le pas. Elle ne pouvait
pas courir, son talon encore endolori par sa chute dans la forêt l’en
empêchait. Elle connaissait mal ce quartier. Ce n’était pas son chemin
habituel. Elle tourna à gauche, puis à droite. Les pas des garçons résonnaient
toujours derrière elle. Elle tourna encore. Zut ! Cette voie s’achevait en
impasse, impossible de faire demi-tour. Elle se dissimula sous un porche,
serrant sur sa poitrine le sac à dos contenant l’
Encyclopédie du Savoir
Relatif et Absolu
comme si elle avait pu lui servir d’armure.

— Elle est sûrement quelque part par là, annonça une
voix. Elle n’a pas pu s’échapper. La rue est sans issue.

Ils entreprirent d’explorer les porches, les uns après les
autres. Ils se rapprochaient. La jeune fille sentit une sueur froide couler le
long de son échine.

Il y avait une porte au fond du porche, une sonnette.
« Sésame, ouvre-toi », implora Julie en appuyant désespérément sur le
bouton.

Quelques bruits derrière la porte qui ne s’ouvrit pas.

— Où es-tu, petite Pinson, petit, petit, petit, ricana
la bande.

Julie se recroquevilla au bas de la porte, genoux sous le
menton. Trois visages hilares surgirent d’un coup.

Dans l’incapacité de fuir, Julie fit front. Elle se leva.

— Que me voulez-vous ? demanda-t-elle d’une voix
qui se voulait ferme.

Ils se rapprochèrent.

— Fichez-moi la paix.

Ils avançaient toujours, lentement, posément, jouissant de
la terreur dans les yeux gris clair et voyant bien que, pour la jeune fille, il
n’y avait pas d’échappatoire.

— Au secours ! Au viol !

Dans l’impasse, les rares fenêtres ouvertes se fermèrent
aussitôt et des lumières s’éteignirent prestement.

— Au secours ! Police !

Dans les grandes villes, la police était difficile à
joindre, lente à arriver, ses effectifs étaient peu nombreux. Il n’y avait pas
de protection individuelle réellement efficace.

Les trois dandys prenaient tout leur temps. Déterminée à ne
pas se laisser attraper, Julie tenta une ultime manœuvre : tête baissée,
elle fonça. Elle parvint à contourner deux de ses ennemis, s’empara du visage
de Gonzague comme pour un baiser et, du front, lui frappa le nez. Il y eut
comme un bruit de bois sec qui se fend. Comme il portait la main à son
appendice nasal, elle en profita pour lui envoyer un coup de genou dans
l’entrejambe. Gonzague descendit la main vers son sexe et émit un léger râle,
plié en deux.

Julie savait depuis toujours que le sexe était un point
faible et non un point fort.

Si Gonzague était momentanément hors de combat, les autres
non, qui lui attrapèrent les bras. Elle se débattit et, dans ses efforts, son
sac à dos tomba et l’Encyclopédie en jaillit. Elle eut un mouvement du pied
pour le récupérer et un garçon comprit que cet ouvrage était important pour
elle. Il se baissa pour ramasser le livre.

— Touche pas à ça ! glapit Julie, tandis que le
troisième acolyte, sans se soucier de ses coups de reins, lui tordait les bras
dans le dos.

Gonzague, encore grimaçant mais affichant un sourire qui
voulait signifier « tu ne m’as même pas fait mal », s’empara du
trésor de la jeune fille.

— En-cy-clo-pé-die du sa-voir re-latif et ab-solu…
tome III, énonça-t-il. Qu’est-ce que c’est que ça ? On dirait un
manuel de sorcellerie.

Le plus fort la retenait fermement, les deux autres feuilletèrent
le livre. Ils tombèrent sur des recettes de cuisine.

— N’importe quoi ! Un truc de fille. C’est
nul ! s’exclama Gonzague en envoyant valser dans le caniveau le grimoire
d’Edmond Wells.

À chacun, l’
Encyclopédie
présentait un visage
différent.

En tapant vivement de son bon talon sur les orteils de son
tortionnaire, Julie parvint à se dégager momentanément et à rattraper le livre
de justesse avant qu’il ne soit avalé par la bouche d’égout. Mais déjà les
trois garçons étaient sur elle. Elle distribua des coups de poing dans la
mêlée, voulut griffer des visages mais elle n’avait pas d’ongles. Une arme
naturelle lui restait : ses dents. Elle enfonça ses deux incisives
tranchantes dans la joue de Gonzague. Du sang coula.

— Elle m’a mordu, la furie. La lâchez pas, grogna son
tourmenteur. Vous autres, attachez-la !

Avec leurs mouchoirs, ils la ligotèrent à un réverbère.

— Tu vas me payer ça, marmonna Gonzague, en frottant sa
joue sanguinolente.

Il sortit un cutter de sa poche et en fit cliqueter la lame.

— À moi de t’entailler les chairs, ma douce !

Elle lui cracha au visage.

— Tenez-la bien, les gars. Je vais lui graver quelques
symboles géométriques qui l’aideront à réviser ses cours de maths.

Faisant durer le plaisir, il entailla de bas en haut la
longue jupe noire, y tailla un carré de tissu qu’il glissa dans sa poche. Le
cutter remontait avec une lenteur insupportable.

« La voix aussi peut se transformer en une arme qui
fait mal », lui avait enseigné Yankélévitch.

— YIIIAAAAIIIIAHHHHHHH…

Elle modula son cri en une sonorité insupportable. Dans la
rue, des vitres vibrèrent. Les garçons se bouchèrent les oreilles.

— Il va falloir la bâillonner pour travailler
tranquillement, constata l’un d’eux.

Ils s’empressèrent de lui enfoncer un foulard de soie dans
la bouche. Julie haleta désespérément.

L’après-midi touchait à sa fin. Le réverbère s’éclaira grâce
à sa cellule photoélectrique, sensible à la baisse de la clarté du jour.
L’irruption de la lumière ne troubla pas les tourmenteurs de la jeune fille.
Ils demeurèrent là, dans le cône d’éclairage, à jouer avec leur cutter. La lame
parvenait aux genoux. Gonzague érafla d’une ligne horizontale la peau fine de
Julie.

— Ça, c’est pour le coup au nez.

— Un trait vertical pour former une croix.

— Ça, c’est pour le coup dans l’entrejambe.

Troisième entaille au genou, dans le même sens.

— La morsure sur la joue. Et ce n’est qu’un début.

Le cutter reprit sa course lente vers le haut de la jupe.

— Je vais te découper comme la grenouille en biologie,
lui annonça Gonzague. Je sais tout à fait bien m’y prendre. J’ai eu un vingt
sur vingt, tu te souviens ? Non. Tu ne te souviens pas. Les mauvais élèves
quittent le cours avant la fin.

Il fit encore cliqueter la lame du cutter pour mieux la
dégager.

Elle suffoqua, paniquée, au bord de l’évanouissement. Elle
se souvint avoir lu, dans l’
Encyclopédie
, qu’en cas de danger impossible
à fuir, il faut imaginer une sphère au-dessus de sa tête et y faire pénétrer
peu à peu tous ses membres, toutes les parties de son corps jusqu’à ce que
celui-ci ne soit plus qu’une enveloppe vide, privée d’esprit.

Belle théorie, facile à se représenter quand on est assise
bien tranquillement dans un fauteuil, mais difficile à mettre en pratique
lorsqu’on est liée à une colonne métallique et que des voyous s’acharnent sur
vous !

Émoustillé par cette si jolie fille réduite à l’impuissance,
le plus gros des trois lui souffla à la figure une haleine lourde et caressa
les longs cheveux noirs, doux et soyeux de Julie. De ses doigts tremblants, il
effleura le cou blanc translucide où battaient les jugulaires.

Julie se trémoussa dans ses liens. Elle était capable de
supporter le contact avec un objet, fût-ce la lame d’un cutter, mais en aucun
cas celui d’un épiderme humain. Ses yeux s’écarquillèrent. Elle devint d’un
coup pivoine. Tout son corps frémit et parut sur le point d’exploser. Elle
souffla bruyamment par le nez. Le gros recula. Le cutter interrompit sa course.

Le plus grand avait déjà vu pareil état.

— Elle fait une crise d’asthme, déclara-t-il.

Les garçons reculèrent, effrayés de voir que leur victime
souffre d’un mal qu’ils ne lui avaient pas eux-mêmes infligé. La jeune fille
devenait écarlate. Elle tirait sur ses liens au point de s’entamer la peau.

— Laissez-la, fit une voix.

Une ombre longue, nantie de trois jambes, s’étirait à
l’entrée de l’impasse. Les assaillants se retournèrent et reconnurent
David ; la troisième jambe, c’était sa canne qui l’aidait à marcher malgré
une spondilarthrite juvénile.

— Alors, David, on se prend pour Goliath ? se
moqua Gonzague. Désolé, mon vieux, mais on est trois et toi, tu es seul, tout
petit et pas du genre musclé.

La bande s’esclaffa. Pas longtemps.

D’autres ombres s’alignaient déjà à côté des trois jambes.
De ses yeux presque exorbités, Julie distingua les Sept Nains, les élèves du
dernier rang.

Ceux de la première rangée leur foncèrent dessus mais les
Sept Nains ne reculèrent pas. Le plus gros des sept distribua des coups de
ventre. L’Asiatique pratiqua un art martial très compliqué du genre taekwondo.
Le Maigre giflait à tour de bras. La Costaude aux cheveux courts donnait des
coups de coude. La Mince à la chevelure blonde usa de ses dix ongles comme
d’autant de lames. L’Efféminé visa habilement les tibias de ses pieds.
Apparemment, il ne savait faire que ça mais il le faisait bien. Enfin, David
fit tournoyer sa canne, frappant de petits coups secs les mains des trois
agresseurs.

Gonzague et ses acolytes refusaient d’abandonner aussi
facilement la partie. Ils se regroupèrent, distribuant eux aussi des horions et
fouettant l’air de leur cutter. Mais à sept contre trois, le combat tourna vite
en faveur de la majorité et les tourmenteurs de Julie préférèrent s’enfuir en
faisant des bras d’honneur.

— On se retrouvera ! cria Gonzague en
déguerpissant.

Julie étouffait toujours. Cette victoire n’avait pas mis un
terme à sa crise d’asthme. David s’empressa autour du réverbère. Il enleva
délicatement le bâillon de la bouche de la jeune fille puis, du bout des
ongles, dénoua les nœuds des liens qui emprisonnaient ses poignets et ses chevilles
et qu’elle avait resserrés en se débattant.

À peine libérée, elle fonça sur son sac à dos et en sortit
un vaporisateur de Ventoline. Bien que très affaiblie, elle parvint à trouver
suffisamment d’énergie pour placer l’embout dans sa bouche et le presser de
toutes ses forces. Avidement, elle aspira. Chaque bouffée lui redonnait des
couleurs et la calmait.

Son second geste fut de récupérer l’
Encyclopédie du
Savoir Relatif et Absolu
et de le ranger prestement dans son sac à dos.

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