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Authors: Bernard Werber

Tags: #Fantastique

La Révolution des Fourmis (19 page)

BOOK: La Révolution des Fourmis
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Voilà qui prouve encore à 103
e
qu’il ne faut
sous-estimer ni les dimensions supérieures ni les dimensions inférieures.

Nous sommes en équilibre entre les acariens et les Doigts
.

Le temps fraîchissant, les fourmis sortent de leur
couverture de sable.

Un coléoptère rouge file devant elles. 15
e
veut
le mettre en joue mais 103
e
lui dit que cela ne servirait à rien de
l’abattre. Si cet insecte est rouge, ce n’est pas par hasard. Il faut le
savoir, dans la nature, tout ce qui arbore des couleurs tape-à-l’œil est
toxique ou dangereux.

Les insectes ne sont pas fous. Ils ne vont pas s’afficher en
rouge écarlate aux yeux de tous pour le plaisir d’attirer leurs prédateurs.
S’ils le font, c’est bien pour signaler à tout le monde qu’il est inutile de
leur chercher noise.

14
e
prétend que certains insectes se font rouges
pour faire croire qu’ils sont toxiques alors qu’ils ne le sont pas.

7
e
ajoute qu’elle a vu des évolutions parallèles
et complémentaires. Deux espèces de papillons ont exactement les mêmes motifs
sur leurs ailes. L’un a les ailes toxiques, l’autre pas. Mais l’espèce non
toxique est tout autant préservée que l’autre, car les oiseaux reconnaissent le
motif des ailes et, croyant qu’ils sont toxiques, les évitent.

103
e
estime que, dans le doute, mieux vaut ne pas
risquer de s’empoisonner.

15
e
, navrée, laisse partir le coléoptère. 14
e
,
plus tenace, le poursuit et l’abat. Elle le goûte. Toutes pensent qu’elle va
mourir, mais non. C’était bien un mimétisme pour faire croire à la toxicité.

On se régale de l’insecte rouge.

Tout en marchant, les fourmis discutent du sens du mimétisme
et de la signification des couleurs. Pourquoi certains êtres sont-ils colorés
et d’autres non ?

Au milieu de la canicule et de la sécheresse, cette
discussion sur le mimétisme semble bien incongrue. 103
e
se dit que
ce doit être sa mauvaise influence, son côté dégénéré au contact des Doigts.
Mais elle reconnaît que, même si parler est un gaspillage d’humidité, cela
présente l’intérêt de ne pas sentir la fatigue et la douleur.

16
e
raconte qu’elle a vu une chenille prendre la
forme d’une tête d’oiseau pour faire peur à un autre oiseau. 9
e
prétend avoir vu une mouche prendre la forme d’un scorpion pour repousser une
araignée.

Était-elle à métamorphose complète ou à métamorphose
incomplète
 ? demande 14
e
.

Chez les insectes, c’est un thème de discussion récurrent.
On aime bien parler de la métamorphose. Il y a toujours eu un clivage entre les
insectes à métamorphose complète et ceux à métamorphose incomplète. Ceux qui
ont la métamorphose complète connaissent quatre phases : œuf, larve,
nymphe, adulte. C’est le cas des papillons, des fourmis, des guêpes, des abeilles,
mais aussi des puces, des coccinelles. Ceux qui ont la métamorphose incomplète
ne connaissent que trois phases : œuf, larve, adulte. Ils naissent à
l’état d’adulte miniature et connaissent des transformations graduelles. C’est
plutôt le cas des sauterelles, des perce-oreilles, des termites et des blattes.

On l’ignore souvent, mais il existe une certaine forme de
mépris chez les « métamorphosés complets » envers les
« métamorphosés incomplets ». Il y a toujours eu ce
sous-entendu : « n’ayant pas eu de nymphose » ils ne sont pas
complètement « démoulés », ils ne sont pas complets. Ce sont des
bébés qui deviennent de vieux bébés et non des bébés qui deviennent adultes.

C’était une mouche à métamorphose complète
, répond 9
e
,
comme s’il s’agissait d’une évidence.

103
e
marche et regarde le soleil se dérober
lentement à l’horizon dans une débauche de jaunes et d’orangés. Des idées
étranges, peut-être dues à une insolation, lui viennent. Le soleil est-il un
animal à métamorphose complète ? Les Doigts ont-ils des métamorphoses
complètes ? Pourquoi la nature l’a-t-elle mise en contact avec ces
monstres, et uniquement elle ? Pourquoi un seul individu a-t-il une aussi
lourde responsabilité ?

Pour la première fois, elle éprouve quelques doutes sur sa
quête. Désirer un sexe, souhaiter faire évoluer le monde, vouloir créer une
alliance entre Doigts et fourmis, cela a-t-il vraiment un sens ? Et, si
oui, pourquoi la nature passe-t-elle par des chemins si hasardeux pour arriver
à ses fins ?

 

45. ENCYCLOPÉDIE

 

CONSCIENCE DU FUTUR
 : Qu’est-ce qui différencie l’homme des autres
espèces animales ? Le fait de posséder un pouce opposable aux autres
doigts de la main ? Le langage ? Le cerveau hypertrophié ? La
position verticale ? Peut-être est-ce tout simplement la conscience du
futur. Tous les animaux vivent dans le présent et le passé. Ils analysent ce
qui survient et le comparent avec ce qu’ils ont déjà expérimenté. Par contre,
l’homme, lui, tente de prévoir ce qui se passera. Cette disposition à
apprivoiser le futur est sans doute apparue quand l’homme, au néolithique, a
commencé à s’intéresser à l’agriculture. Il renonçait dès lors à la cueillette
et à la chasse, sources de nourriture aléatoires, pour prévoir les récoltes
futures. Il était désormais logique que la vision du futur devienne subjective,
et donc différente pour chaque être humain. Les humains se sont donc mis tout
naturellement à élaborer un langage pour décrire ces futurs. Avec la conscience
du futur est né le langage qui le décrirait.

Les langues anciennes
disposaient de peu de mots et d’une grammaire simpliste pour parler du futur,
alors que les langues modernes ne cessent d’affiner cette grammaire.

Pour confirmer les
promesses de futur, il fallait, en toute logique, inventer la technologie. Là a
résidé le début de l’engrenage.

Dieu est le nom donné par
les humains à ce qui échappe à leur maîtrise du futur. Mais la technologie leur
permettant de contrôler de mieux en mieux ce futur, Dieu disparaît
progressivement, remplacé par les météorologues, les futurologues et tous ceux
qui pensent savoir, grâce à l’usage des machines, de quoi demain sera fait et
pourquoi demain sera ainsi et non autrement.

Edmond Wells,

Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu
, tome III.

 

46. LE POIDS DES YEUX

 

Maximilien Linart demeura longtemps, silencieux, à scruter
la pyramide. Il la représenta de nouveau sur son calepin pour mieux en saisir
la forme et son incongruité au milieu de cette forêt. Il examina ensuite
soigneusement son dessin pour s’assurer qu’il était en tout point similaire à
ce qu’il voyait devant lui. À l’école de police, le commissaire Linart assurait
que si l’on observe longtemps quelqu’un ou quelque chose, on finit par en
recevoir des milliers d’informations précieuses. Et cela suffisait le plus
souvent à résoudre toute l’énigme.

Il appelait ce phénomène le « syndrome de
Jéricho », si ce n’est qu’au lieu de tourner autour de l’objectif en
sonnant des trompettes et en attendant qu’il s’ouvre de lui-même, lui tournait
en le dessinant et en l’observant sous tous les angles.

Il avait utilisé cette même technique pour séduire sa femme,
Scynthia. Celle-ci était du genre grande beauté altière, habituée à envoyer
promener tout prétendant.

Maximilien l’avait remarquée dans un défilé de mannequins où
elle était de loin la plus « pneumatique » et donc la plus convoitée
par tous les hommes présents. Lui l’avait longuement observée. Au début, ce
regard fixe et perçant avait gêné la jeune femme, puis il l’avait intriguée.
Rien qu’à la regarder, il avait découvert toutes sortes d’éléments qui, par la
suite, lui avaient permis de se brancher sur la même longueur d’onde qu’elle.
Elle portait un médaillon orné de son signe astrologique : Poissons. Elle
portait des boucles d’oreilles qui lui infectaient les lobes. Elle s’imprégnait
d’un parfum très lourd.

À table, il s’était assis à côté d’elle et avait lancé la
conversation sur l’astrologie. Il avait développé la force des symboles, la
différence entre les signes d’eau, de terre et de feu. Scynthia, après une
méfiance initiale, s’était laissée aller tout naturellement à donner son avis.
Puis ils avaient discuté boucles d’oreilles. Il avait évoqué une toute nouvelle
substance antiallergique qui permettait de supporter les bijoux aux alliages
les plus divers. La conversation avait ensuite roulé sur son parfum, son
maquillage, les régimes, les soldes. « Dans un premier temps, il faut
mettre l’autre à l’aise en se plaçant sur son terrain. »

Après avoir évoqué les sujets qu’elle connaissait, il avait
abordé ceux qu’elle ne connaissait pas : films rares, gastronomie
exotique, livres à tirage limité. Dans ce second temps, sa stratégie amoureuse
avait été simple, il jouait sur un paradoxe qu’il avait remarqué : les
femmes belles aiment qu’on leur parle de leur intelligence, les femmes
intelligentes aiment qu’on leur parle de leur beauté.

Dans un troisième mouvement, il avait saisi l’une de ses
mains et observé les lignes sur sa paume. Il n’y connaissait strictement rien
mais il lui avait dit ce que tout être humain a envie d’entendre : elle
avait un destin particulier, elle allait connaitre un grand amour, elle serait
heureuse, elle aurait deux enfants : deux garçons.

Enfin, dans un dernier temps, pour assurer sa prise, il
avait fait semblant de s’intéresser à la meilleure amie de Scynthia, ce qui
avait eu aussitôt pour effet d’éveiller sa jalousie. Trois mois plus tard, ils
étaient mariés.

Maximilien considéra la pyramide. Ce triangle-ci serait plus
difficile à conquérir. Il s’en approcha. Il le toucha. Il le caressa.

Il lui sembla détecter un bruit à l’intérieur de la
construction. Rangeant son calepin, il appliqua son oreille sur le
flanc-miroir. Il perçut des voix. Aucun doute, il y avait des gens à
l’intérieur de cet étrange bâtiment. Il écoutait attentivement quand il
entendit un coup de feu.

Surpris, il eut un mouvement de recul. Chez le policier, le
sens privilégié est la vue et il n’aimait pas avoir à se livrer à des
déductions à partir de sa seule ouïe. Il était pourtant certain que la
détonation provenait de l’intérieur de la pyramide. Il appliqua de nouveau son
oreille contre la paroi et, cette fois, perçut des cris suivis des grincements
des roues d’une voiture. Un tintamarre. De la musique classique. Des
applaudissements. Des hennissements de chevaux. Le crépitement d’une
mitrailleuse.

 

47. LE CALOPTÉRYX DE LA DERNIERE CHANCE

 

Les treize fourmis n’en peuvent plus. Elles n’émettent plus
la moindre phrase phéromonale. Il leur faut économiser jusqu’à l’humidité de
ces vapeurs qui leur permettent de communiquer.

103
e
discerne soudain un mouvement dans le ciel uniforme.
Un caloptéryx. Ces grandes libellules, dont la présence vient du fond des
temps, sont pour les fourmis comme les mouettes pour le marin égaré :
elles indiquent la proximité d’une zone végétale. Les soldates reprennent
courage. Elles se frottent les yeux pour affiner leur vision et mieux suivre
les évolutions du caloptéryx.

La libellule descend, les frôlant presque de ses quatre
ailes nervurées. Les fourmis s’immobilisent pour observer le majestueux
insecte. Dans chacune des nervures circule du sang qui bat. La libellule est
vraiment la reine du vol. Non seulement elle est capable de se stabiliser en
vol géostationnaire, mais avec ses quatre ailes indépendantes, elle est le seul
insecte à savoir voler en arrière.

L’immense ombre s’approche, se stabilise, redémarre, tourne
autour d’elles. Elle semble vouloir les guider vers le salut. Son vol
tranquille indique que son corps ne souffre nullement d’un manque d’humidité.

Les fourmis la suivent. Elles sentent enfin l’air se
rafraîchir un peu. Une frise de poils sombres apparaît au sommet d’une colline
au front chauve. De l’herbe. De l’herbe ! Et là où il y a de l’herbe, il y
a de la sève et donc de la fraîcheur et de l’humidité. Elles sont sauvées.

Les treize fourmis galopent jusqu’à ce havre. Elles se goinfrent
de pousses et de quelques insectes trop petits pour revendiquer leur droit à la
survie. Au-dessus des herbes, quelques fleurs s’offrent à leurs antennes
avides : des mélisses, des narcisses, des primevères, des jacinthes, des
cyclamens. Il y a des myrtilles sur des arbustes et aussi des sureaux, du buis,
des églantiers, des noisetiers, des aubépines, des cornouillers. C’est le
paradis.

Elles n’ont jamais vu de région aussi luxuriante. Partout
des fruits, des fleurs, des herbes, du petit gibier fouineur et courant moins
vite qu’un jet d’acide formique. L’air magnifique est empli de pollens, le sol
est jonché de graines en germe. Tout respire l’opulence.

Les fourmis se gavent, comblent à ras bord leur jabot
digérant et leur jabot social. Tout leur paraît succulent. D’avoir très faim et
très soif dote les aliments d’un goût extraordinaire. La moindre graine de
pissenlit s’imprègne de milliers de saveurs, allant du sucré au salé en passant
par l’amer. Jusqu’à la rosée qu’elles aspirent sur le pistil des fleurs et qui
est pleine de nuances gustatives auxquelles les fourmis n’avaient jusque-là
guère accordé d’importance.

5
e
, 6
e
et 7
e
se repassent
des étamines pour le seul plaisir de les lécher ou de les mâchouiller comme du
chewing-gum. Un simple bout de racine leur est mets délicat. Elles se baignent
dans le pollen d’une pâquerette, s’en enivrent et s’en lancent des boules
jaunes à la manière de boules de neige.

Elles émettent des phéromones pétillantes de joie qui les
picotent quand elles les reçoivent.

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