La Révolution des Fourmis (26 page)

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Authors: Bernard Werber

Tags: #Fantastique

BOOK: La Révolution des Fourmis
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Maximilien se laissa redescendre sur sa corde.

Il était toujours persuadé qu’un ermite s’était emmuré dans
ce bâtiment de béton. Il savait qu’au Tibet certains moines particulièrement
zélés se faisaient ainsi enfermer dans des cabanes de briques closes sans porte
ni fenêtres et y restaient des années durant. Mais ces moines laissaient
cependant une petite trappe ouverte pour que les fidèles leur déposent des
aliments.

Le policier imagina la vie de ces emmurés vivants dans leurs
deux mètres cubes, assis parmi leurs excréments, sans air et sans
chauffage !!

Bzzz

bzzz
.

Maximilien sursauta.

Ce n’était donc pas un hasard si, à sa première
interpellation, il avait été piqué par un insecte. Celui-ci avait partie liée
avec la pyramide, le policier en était maintenant convaincu. Il ne se
laisserait pas vaincre à nouveau par le minuscule ange gardien de l’édifice.

L’origine du bourdonnement était un gros insecte volant.
Probablement une abeille ou une guêpe.

— Va-t’en, fit-il en agitant la main.

Il dut se contorsionner pour le suivre du regard. C’était
comme si cet insecte comprenait que, pour l’attaquer, il fallait d’abord
échapper aux yeux de cet humain.

L’insecte se mit à faire des huit. Soudain, il monta, puis
fonça en piqué sur lui. Il tenta de planter son dard dans le sommet du crâne
mais les cheveux blonds de Maximilien étaient drus et il ne parvint pas à
franchir ce qui était pour lui une forêt de herses dorées.

Maximilien se donna de grandes tapes sur la tête. L’insecte
redécolla mais ne renonça pas à ses piqués de kamikaze.

Il la défia de la voix.

— Que me veux-tu ? Vous, les insectes, vous êtes
les derniers prédateurs de l’homme, non ? On n’arrive pas à vous éliminer.
Vous nous ennuyez, nous et nos ancêtres, depuis trois millions d’années, et
vous continuerez à ennuyer nos enfants pendant combien de temps encore ?

L’insecte ne sembla pas prêter attention au discours du
policier. Lui n’osait pas lui tourner le dos. L’insecte se maintenait en
position géostationnaire, prêt à plonger dès qu’il aurait trouvé une faille
dans la défense antiaérienne ennemie.

Maximilien saisit une chaussure et, la tenant comme une
raquette de tennis, se prépara à smasher dans l’insecte dès que celui-ci
attaquerait.

— Qui es-tu, grosse guêpe ? La gardienne de la
pyramide ? L’ermite sait apprivoiser les guêpes, c’est ça ?

Comme pour lui répondre, l’insecte fonça. En approchant de
son cou, il vira, contourna l’humain, redescendit en piqué vers le mollet
dénudé du policier mais avant d’avoir pu le toucher de son dard, il reçut en
plein front une énorme semelle de chaussure.

Maximilien s’était baissé comme pour faire un lob et, d’un
mouvement sec du poignet, il était arrivé à intercepter son minuscule
adversaire volant.

Avec un bruit mat, l’insecte percuta la semelle et rebondit,
complètement aplati.

— Un à zéro. Jeu, set et match, fit le policier, pas
mécontent de son coup.

Avant de s’éloigner, il posa encore sa bouche contre la
paroi.

— Vous, là-dedans, n’imaginez pas que je vais
abandonner si facilement. Je reviendrai jusqu’à ce que je sache qui se cache à
l’intérieur de cette pyramide. On verra bien combien de temps vous tiendrez,
isolé du monde dans votre béton, monsieur l’ermite amateur de télévision !

 

62. ENCYCLOPÉDIE

 

MÉDITATION
 : Après une journée de travail et de soucis, il
est bon de se retrouver seul au calme.

Voici une méthode simple
de méditation pratique.

D’abord, se coucher sur le
dos, pieds légèrement écartés, bras le long du corps sans le toucher, paumes
orientées vers le haut. Bien se détendre.

Commencer l’exercice en se
concentrant sur le sang usé qui reflue des extrémités des pieds, depuis chaque
orteil, pour remonter s’enrichir dans les poumons.

À l’expiration, visualiser
l’éponge pulmonaire gorgée de sang qui disperse le sang propre, purifié,
enrichi d’oxygène, vers les jambes, jusqu’à l’extrémité des orteils.

Se livrer à une nouvelle
inspiration en se concentrant cette fois sur le sang usé des organes abdominaux
afin de l’amener jusqu’aux poumons. À l’expiration, visualiser ce sang filtré
et plein de vitalité qui revient abreuver notre foie, notre rate, notre système
digestif, notre sexe, nos muscles.

À la troisième
inspiration, aspirer le sang des vaisseaux des mains et des doigts, le rincer
et le renvoyer sain d’où il est venu.

À la quatrième enfin, en
respirant encore plus profondément, aspirer le sang du cerveau, vidanger toutes
les idées stagnantes, les envoyer se faire purifier dans les poumons puis
ramener le sang propre, gorgé d’énergie, d’oxygène et de vitalité dans le
crâne.

Bien visualiser chaque
phase. Bien associer la respiration à l’amélioration de l’organisme.

 

Edmond Wells,

Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu
, tome III.

 

63. DUEL

 

Le dard empoisonné du scorpion s’abat non loin de la vieille
fourmi rousse qui le sent frôler ses antennes.

C’est le troisième coup de pince et le quatrième coup de
dard qu’elle esquive. À chaque fois, elle est déstabilisée et évite de justesse
l’arme fatale du monstre cuivré.

103
e
voit maintenant de très près cette
scorpionne suréquipée en armes de guerre. À l’avant, deux pinces pointues, les
chélicères, sont là pour bloquer la victime avant de lui porter le coup de
crochet venimeux.

Sur les flancs, huit pattes pour se mouvoir à toute vitesse
dans toutes les directions et même latéralement. À l’arrière, une longue queue
qu’articulent six segments flexibles et qui s’achève par une pointe acérée,
comme une épine de ronce, une énorme épine jaune, gluante de jus mortel.

Où sont les organes des sens de l’animal ? La fourmi ne
distingue pratiquement pas d’yeux, seulement des ocelles frontaux, pas
d’oreilles, pas d’antennes. Faisant mine de toujours esquiver le monstre, elle
le contourne et comprend : les véritables organes sensoriels du scorpion,
ce sont ses pinces recouvertes de cinq petits poils sensitifs.

Grâce à eux, la scorpionne perçoit les plus infimes
mouvements de l’air autour d’elle.

103
e
se souvient d’une corrida, sur la télévision
des Doigts. Comment s’en tiraient-ils déjà ? Avec une cape rouge.

103
e
saisit un pétale de fleur pourpre apporté
par le vent pour s’en faire une muleta qu’elle brandit avec ses mandibules.
Pour ne pas donner prise au vent et ne pas être renversée par cette voile
improvisée, elle prend garde à toujours se placer dans le sens des courants
d’air. La vieille guerrière fatiguée multiplie les véroniques, en esquivant, au
dernier moment, la corne unique de son adversaire.

Les coups de dard se font plus précis. À chaque tentative,
103
e
voit la lance poisseuse remonter, la viser puis partir en avant
à la manière d’un harpon. Un dard est plus difficile à éviter qu’une paire de
cornes et elle se dit que si un Doigt toréador avait à affronter un scorpion
géant, il connaîtrait sans doute beaucoup plus de difficultés que dans ses
arènes habituelles.

Quand 103
e
tente de s’approcher de son ennemie,
les pinces ouvertes foncent sur elle. Quand elle essaie de tirer un jet d’acide
avec son abdomen, les pinces se ferment en bouclier. Elles sont à la fois arme
d’attaque et de défense. Les huit pattes si rapides remettent toujours la
scorpionne au meilleur endroit pour parer et frapper.

À la télévision, le toréador n’arrêtait pas de gesticuler
pour dérouter son taureau. De même, la fourmi bondit en tous sens essayant
d’épuiser son adversaire tout en esquivant ses coups de pince et de harpon.

103
e
se concentre et cherche à se souvenir de
tout ce qu’elle a vu en la matière. Quels étaient les commentaires à propos de
la stratégie du toréador ? De l’homme et de la bête, il y en a toujours un
qui est au milieu et l’autre qui lui tourne autour. Celui qui tourne autour se
fatigue plus vite mais il a la possibilité de prendre l’autre à contrepied. Les
toréadors très doués parviennent à faire trébucher leur adversaire sans même
les toucher.

Pour l’instant, son pétale-muleta sert surtout de bouclier à
103
e
. Chaque fois que le harpon s’abat, elle l’intercepte de son
pétale cramoisi. Mais il est peu résistant et la pointe du dard le transperce
aisément.

Ne pas mourir. Au nom de sa connaissance des Doigts. Ne pas
mourir.

Dans son acharnement à survivre, le vieille fourmi oublie
son âge et retrouve l’agilité de sa jeunesse.

Elle tourne toujours dans le même sens. La scorpionne
s’agace de la résistance de cet être si chétif et ses pinces claquent de plus
en plus bruyamment. Elle accélère les mouvements de ses pattes quand, soudain,
la fourmi s’arrête et se met à tourner en sens inverse. Le mouvement
déséquilibre la scorpionne qui trébuche, bascule et se retrouve sur le dos,
dévoilant ainsi ses parties plus fragiles que la fourmi ne manque pas d’arroser
d’un jet précis d’acide formique. La scorpionne ne semble pas trop en souffrir.
Déjà, elle est rétablie sur ses pattes et charge.

Suivi des deux pinces chélicères, le harpon s’abat à
quelques millimètres du crâne de 103
e
.

Vite, une autre idée.

La vieille guerrière se souvient que les scorpions ne sont
pas immunisés contre leur propre venin. Dans les légendes myrmécéennes, on raconte
que, lorsqu’ils ont peur, notamment lorsqu’ils sont encerclés par le feu, les
scorpions se suicident en se piquant de leur dard. 103
e
ne sait pas
fabriquer du feu si vite.

Les effluves de pessimisme des spectatrices guêpes ne lui
remontent pas le moral.

Une autre idée, vite.

La vieille fourmi étudie la situation. Où réside sa
force ? Où réside sa faiblesse ?

Sa petite taille. Là sont sa force et sa faiblesse.

Comment transformer sa faiblesse en force ?

Dans le cerveau de la vieille fourmi, mille suggestions se
croisent et sont soupesées de toute urgence. La mémoire propose tout son stock
de parades de combat. L’imagination les rassemble pour en faire naître de
nouvelles, mieux adaptées à un affrontement avec un scorpion. Tandis que ses
yeux épient l’adversaire, ses antennes s’efforcent de découvrir une solution
dans le décor de ramures. C’est l’avantage de disposer d’un double système de
perception de son environnement. Visuel et olfactif.

Soudain, elle voit un trou dans l’écorce. Cela lui rappelle
un dessin animé de Tex Avery. La fourmi galope et s’engouffre dans le tunnel de
bois. La scorpionne la poursuit. Elle commence à entrer dans le tunnel mais
bientôt son ventre la bloque. Il n’y a plus que son appendice caudal hors du
trou.

103
e
continue, elle, de cheminer dans son petit
tunnel de bois et en ressort par une autre issue sous les acclamations de ses
alliées.

Le dard empoisonné jaillit de l’écorce comme un bourgeon
sinistre. Sa propriétaire se débat de son mieux pour se dégager, se demandant
s’il vaut mieux s’enfoncer encore ou bien essayer de se tirer en marche arrière
de cette mauvaise passe.

Déjà, peu confiants dans la réussite de leur maman, les
petits scorpions préfèrent s’éloigner.

103
e
s’approche tranquillement. Elle n’a plus
qu’à scier proprement la si dangereuse pointe avec ses mandibules crénelées.
Puis, en prenant bien garde à ne pas effleurer le venin, elle lève haut l’arme
empoisonnée et pique son adversaire engoncée dans son trou.

Les légendes fourmis ont raison. Les scorpions ne sont pas
immunisés contre leur propre venin. L’arachnide se débat, est pris de
convulsions et meurt enfin.

Toujours attaquer les ennemis avec leurs propres armes
,
lui avait-on appris dans sa pouponnière. Voilà qui est fait. 103
e
a
aussi une pensée pour le dessin animé de Tex Avery, si riche en enseignements
tactiques. Peut-être un jour confiera-t-elle aux siennes tous les secrets de
combat de ce grand stratège Doigt.

 

64. UNE CHANSON

 

Julie fit signe d’arrêter. Tout le monde jouait faux et
elle-même chantait mal.

— On n’ira pas loin comme ça. Je crois que nous devons
affronter un problème de fond. Interpréter la musique des autres, c’est nul.

Les Sept Nains ne comprenaient pas où leur chanteuse voulait
en venir.

— Que proposes-tu ?

— Nous sommes nous-mêmes des créateurs. Il nous faut
inventer nos propres paroles, notre propre musique, nos propres morceaux.

Zoé haussa les épaules.

— Pour qui tu te prends ? Nous ne sommes qu’un
petit groupe de rock de lycée à peine encouragé du bout des lèvres par le
proviseur pour qu’il puisse inscrire « activités musicales » dans ses
rapports sur la vie culturelle extra-scolaire de son établissement. On n’est
pas les Beatles !

Julie secoua ses longs cheveux noirs.

— Dès l’instant où l’on crée, on est des créateurs
parmi d’autres créateurs. Il ne faut pas avoir de complexes. Notre musique peut
valoir n’importe quelle autre musique. Il faut juste essayer d’être originaux.
Nous pouvons composer quelque chose de « différent » de ce qui existe
déjà.

Les Sept Nains, surpris, ne savaient comment réagir. Ils
n’étaient pas convaincus et certains commençaient à regretter d’avoir laissé
cette étrangère s’immiscer dans leur groupe.

— Julie a raison, trancha Francine. Elle m’a montré un
ouvrage, l’
Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu
, il contient des
conseils qui nous permettront de concevoir des choses nouvelles. Moi, j’y ai
déjà découvert les plans d’un ordinateur capable de surclasser et d’envoyer aux
oubliettes tous ceux qui existent dans le commerce.

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