JUSTICE EST FAITE
Le 22 juin 1973, la Cour se réunit une première fois sous la présidence du juge C. Pfeiffer Trowbridge. Après que les parties adverses – l’avocat de Schaefer, Elton Schwarz, et le procureur Robert Stone – ont exposé leurs arguments, le juge annonce qu’il refuse de prolonger le séjour de l’accusé à l’hôpital de Chattahoochee pour une période de trente jours supplémentaires. Il ajoute qu’il a commis une erreur de jugement en le faisant interner car, à ses yeux, un exa
men médical et psychiatrique à la prison du comté de Martin aurait été amplement suffisant. L’avis de trois psychiatres sur la santé mentale de Schaefer ne nécessite plus aucun examen supplémentaire, conclut le juge Trowbridge.
Pendant cette journée d’audience, Gerard Schaefer est resté calme au départ, comme s’il était absent des débats, le menton posé sur ses mains. De temps en temps, il échange des sourires avec son épouse Teresa et sa mère Doris, assise à ses côtés. Vêtu d’un jean et d’un polo à rayures bleues et jaunes, son attitude change du tout au tout lorsqu’il entend la décision du juge. Il bondit, le regard fou et les poings serrés, en insultant son avocat Elton Schwarz. Puis, Schaefer se tourne vers le procureur Robert Stone et le traite de salopard et d’ordure. Rappelé à l’ordre, le prévenu déclare : « J’ai bien dit ça, et je le réaffirme, et je peux même y ajouter d’autres noms d’oiseaux. »
L’audience s’achève dans la confusion la plus totale et il devient évident que Schaefer peut être jugé pour l’assassinat de Georgia Jessup et Susan Place. Il a perdu la première bataille juridique. Le procureur Robert Stone commence à réunir une liste de 97 personnes qui vont témoigner contre l’accusé. Ses deux témoins principaux seront Pamela Sue Wells et Nancy Trotter.
Le 6 juillet 1973, Elton Schwarz décide de changer de tactique, il renonce à plaider l’irresponsabilité pénale et la non-culpabilité de son client.
Le 31 juillet 1973, un second round peut démarrer.
Le procureur Robert Stone attaque Schaefer, bille en
tête : « Etiez-vous sur le lieu du crime de Georgia Jessup et Susan Place ?
— Il est possible que je m’y sois retrouvé, mais je n’en ai aucun souvenir.
— Etes-vous absolument certain de ne pas avoir tué ces deux jeunes femmes ?
— Je n’ai tué personne. Non, je n’ai jamais tué personne. »
Robert Stone tend à Schaefer une déclaration où Elton Schwarz affirme que l’irresponsabilité pourrait être plaidée au moment du procès.
« Cela indique que vous souffrez d’une schizophrénie paranoïde et que vous les avez peut-être assassinées sans le savoir ? »
Schaefer reste silencieux. Stone continue.
« Souffrez-vous d’un désordre mental ?
— Oui.
— Et est-ce que ce trouble mental implique que, parfois, vous ignorez ce que vous faites ?
— Oui, je suis quelquefois confus.
— Ce qui veut dire que vous avez du mal à distinguer la réalité de vos fantasmes ?
— Oui, je suis obligé de répondre par l’affirmative.
— Vous affirmez que vous n’avez donc jamais vu ces deux jeunes femmes ?
— Je ne les ai jamais vues. »
La Cour se réunit encore à deux reprises. L’une des journées est consacrée aux évaluations mentales de l’accusé, avec le témoignage des différents psychiatres qui l’ont croisé. Le docteur C. W. Long apporte quelques éléments supplémentaires sur les paraphilies de Gerard Schaefer par rapport aux expertises psychiatriques de ses confrères, R. C. Eaton et Mordecai Haber. L’accusé lui a rapporté ses sentiments lorsqu’il a pris Wells et Trotter en stop. « C’étaient des filles perdues, des putes qui devaient être punies. Ses pulsions à leur égard étaient ultra-violentes, surtout la punition qu’il devait absolument leur infliger. Il m’a indiqué qu’il voulait les pendre, avant de les assassiner. Elles devaient souffrir le plus longtemps possible avant de mourir. Ensuite, il viendrait les violer une fois décédées, jusqu’à ce qu’elles soient en état de décomposition avancée. »
Le 27 août 1973, le juge C. Pfeiffer Trowbridge décide que Schaefer restera incarcéré jusqu’à son procès et que sa santé mentale lui permet de participer aux audiences. La date est fixée au lundi 17 septembre 1973.
Il est 9 h 40 lorsque Gerard John Schaefer se présente dans la salle B du deuxième étage, rasé de près, en chemise blanche et cravate. Il semble très calme. Il faut deux jours pour sélectionner les six membres du jury parmi trois cents candidats potentiels. Teresa Dean,
l’épouse de Schaefer, et Doris, sa mère, sont assises côte à côte au premier rang. A la fin de la première journée, l’accusé cherche encore à se présenter comme une victime auprès des journalistes. Il montre son bras gauche couvert de marques rouges causées par de l’herbe à puce (ou sumac vénéneux) lorsqu’il a été emmené sur les lieux de ses crimes présumés quelques jours auparavant.
Le procureur annonce clairement son intention de prouver que les restes humains découverts à Hutchinson Island appartiennent à Georgia Jessup et Susan Place et que Schaefer est leur assassin : « Le 27 septembre 1972 est le dernier jour où Susan Place a été vue vivante par sa mère. Et c’est ce même jour que l’accusé, alias “Jerry Shephard”, s’est rendu au domicile des Place pour discuter avec la mère de la victime. Elle a exprimé ses craintes sur le départ de Susan, mais ils ont indiqué vouloir se rendre sur la plage pour jouer de la guitare. Inquiète, elle les a accompagnées dehors. Elle a noté le numéro de la plaque d’immatriculation
qui appartient à Gerard John Schaefer. Elle viendra le reconnaître.
« Les corps des jeunes femmes ont été envoyés au médecin légiste du comté de Dade. A cause de l’état avancé de décomposition, il est dans l’incapacité de donner une date exacte pour leur décès. Une mort naturelle est totalement exclue. C’est la mutilation qui a causé la mort de ces deux jeunes filles. Il s’agit d’un meurtre. Parmi les indices que vous pourrez examiner, il y a ce petit sac qui appartenait à Georgia Jessup. J’ai des témoins qui pourront l’identifier. Le sac a été récupéré par Hank Dean, le beau-frère de Schaefer, qui l’a transmis à un inspecteur du comté de Broward. Teresa Schaefer a obtenu ce sac en cadeau de son mari. Cet homme avait un plan et il l’a mis en œuvre. Entre le 27 septembre et le 8 décembre, il a assassiné ces deux jeunes femmes à Hutchinson Island, dans le comté de Sainte-Lucie. »
Le moment le plus dramatique du procès est le témoignage du lieutenant Duvall qui dirige l’unité des investigations criminelles pour le Saint Lucie County Sheriff
Department. Il dépeint la scène de crime, les restes des deux corps découverts à environ trois cents mètres à l’intérieur de sous-bois très denses, éloignée de vingt mètres d’un chemin de terre qui mène de la route A1 vers la plage. Il fait apporter deux épaisses branches d’arbres et un morceau de tronc découpé. Le lieutenant Duvall pointe du doigt les traces de frottements de cordes qui sont encore visibles. Robert Stone s’empare d’une des branches qu’il tient au-dessus de sa tête pour s’approcher du banc des jurés. Ceux-ci sont visiblement ébranlés par cette vision.
Le lieutenant Duvall reconstitue le meurtre tel qu’il s’est produit. Les deux jeunes femmes étaient suspendues par des cordes à ces branches et elles se sont débattues violemment pour essayer de se libérer et de parer aux coups mortels du tueur.
Il poursuit sa description par la découverte de lingerie
enfouie dans une tombe creusée à même le sol. Des chaussures, une robe, des morceaux de vertèbres, une jambe, deux torses, un pelvis et un jean rapiécé avec des pièces d’une étoile de David, d’une demi-lune, d’un coucou de Californie et d’un hibou. Un peu plus loin, un bras sectionné est trouvé. A huit mètres de la tombe, deux mâchoires sont mises au jour, ainsi que treize dents. « Egalement, un cuir chevelu de couleur rougeâtre près des dents, continue le policier. Nous avons poursuivi nos recherches, mais il nous a fallu tailler les sous-bois à coups de machette, tellement la végétation était dense. C’était comme une jungle. A trois mètres au nord de la tombe, il y avait cet arbre caoutchouc ou un banian. Sur le tronc, nous avons constaté que les initiales “GJ” avaient été récemment gravées. Au pied du tronc, on avait fait des entailles où il y avait des résidus de tissu provenant de la lingerie trouvée dans la tombe. Sur les branches de cet arbre, des marques de frottements de cordes, comme sur les deux autres que vous avez vues tout à l’heure.
« Le jour suivant, le 16 avril, c’est un autre cuir chevelu blond que nous avons découvert. A cette date, les corps avaient déjà été identifiés. Nous avons aussi trouvé deux taies d’oreiller, l’une blanche, l’autre avec des rayures bleues et noires. Il semblait évident que la tombe avait été creusée une première fois et que la personne était revenue sur place pour continuer à bêcher. »
Le témoignage du beau-frère de Schaefer, Henry Dean, apporte un élément décisif. Il raconte qu’il lui a
rendu visite dans la prison du comté de Martin, le jour où celui-ci a été mis en examen pour les assassinats de Place et Jessup. Gerard était en train de lire des articles de journaux évoquant cette affaire. Dean lui précise que des dents et des ossements des victimes ont été mises au jour. Ce à quoi Schaefer lui répond : « Impossible, on n’a pas pu trouver de crânes ou de têtes. Tu veux que je fasse quoi, que je t’avoue ces crimes ? »