The Running Man (26 page)

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Authors: Richard Bachman

Tags: #Fiction, #Horror, #Thrillers, #General, #sf

BOOK: The Running Man
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— 
Vade retro, Satana
, dit-il d’une voix épaisse.

— Comment ? fit Killian, surpris.

— Rien. Je vous écoute.

Killian resta un moment sans rien dire. Il regarda ses mains, puis releva la tête. Richards sentit une chambre inconnue de son esprit frémir douloureusement, tant le pressentiment était fort. Il lui semblait que les fantômes des pauvres et des sans-nom, des ivrognes dormant dans les terrains vagues, l’appelaient par son nom.

— McCone a fait son temps, dit Killian avec calme. Vous avez démontré son incapacité. C’est un fruit mort, comme un œuf à la coquille brisée. Nous voulons que vous preniez sa place.

Richards, qui croyait que plus rien ne pouvait le surprendre ou le choquer, ouvrit la bouche de stupéfaction. Killian mentait. C’était la seule explication. Et pourtant... Amélia avait repris possession de son sac. Ils n’avaient plus aucune raison de mentir, ou de lui faire miroiter de fausses promesses. Il était blessé, et seul. McCone et Donahue étaient tous deux armés. Une balle dans la tempe, et ce serait la fin, facile, sans gâchis, sans conséquences déplaisantes.

Conclusion : Killian disait la pure et simple vérité.

— Vous êtes cinglé, marmonna-t-il.

— Pas du tout. Vous êtes le meilleur concurrent que nous ayons jamais eu. Vous connaissez toutes les astuces, tous les lieux où l’on peut se cacher. Ouvrez un peu les yeux, et vous verrez que
La Grande Traque
ne sert pas seulement à divertir les masses et à se débarrasser d’individus dangereux. Le Réseau est perpétuellement à la recherche de nouveaux talents, Richards. C’est pour nous une nécessité.

Richards voulut parler, mais en fut incapable. L’angoisse continuait à l’étreindre, de plus en plus étouffante.

— Il n’y a jamais eu de chef des Chasseurs marié, dit-il enfin. Vous devriez savoir pourquoi. Le risque de chantage...

— Ben, dit Killian avec une infinie douceur, votre femme et votre fille sont mortes. Depuis plus de dix jours, déjà.

Compte à rebours... 013

Dan Killian parlait et parlait, sans doute depuis un long moment, mais Richards n’entendait qu’un son lointain, déformé par les échos de son esprit. Il se trouvait dans un puits très profond, dont les ténèbres servaient de toile de fond à une sorte de kaléidoscope mental : un vieux Kodak de Sheila esquissant un pas de danse dans le couloir du collège des Métiers ; les microjupes étaient depuis peu revenues à la mode. Un instantané de Sheila et de lui-même, assis à l’extrémité de la grande digue (entrée libre) ; dos à l’objectif, ils regardaient l’eau en se tenant la main. Une photo couleur sépia d’un jeune homme vêtu d’un complet mal coupé et d’une jeune femme portant la meilleure robe de sa mère, face à un homme en habit de cérémonie, qui avait une grosse verrue sur le nez. Pendant leur nuit de noces, la verrue de M. le maire les avait bien fait rire. Une photo en noir et blanc, très contrastée, montrant un homme jeune, torse nu, couvert de sueur et protégé par un tablier de plomb, maniant les leviers d’une énorme machine dans un immense sous-sol éclairé par des lampes à arc. Une photo aux couleurs pastel (pour masquer le cadre sordide) d’une femme visiblement enceinte ; debout à la fenêtre, elle guette l’arrivée de son mari ; une main tient écarté le misérable rideau ; la lumière caresse son visage comme une patte de chat. Dernière image : encore un vieux Kodak d’un homme très maigre levant au-dessus de sa tête un minuscule bébé ; son visage radieux est un curieux mélange de triomphe belliqueux et d’amour. Les images se succèdent de plus en plus vite, n’éveillant ni tristesse ni amour (l’heure de porter le deuil n’a pas encore sonné), mais l’insensibilisant comme une piqûre de Novocaïne.

De temps à autre, les mots de Killian lui parviennent. Il lui assure que le Réseau n’est pour rien dans leur mort, que c’était un horrible accident. Richards est enclin à le croire : cette histoire ressemble trop à un mensonge pour ne pas être vraie ; de plus, Killian sait que si Richards accepte son offre, il n’aura rien de plus pressé que de faire un tour à Co-Op City, où une heure dans les rues lui suffira pour apprendre la vérité.

Des rôdeurs. Trois. (Ou des clients ? se demande Richards avec horreur. Sheila lui avait paru évasive, au téléphone.) Probablement drogués. Peut-être avaient-ils fait un geste menaçant, Sheila avait voulu protéger sa fille... Toutes deux avaient été poignardées.

Cela l’arracha à son rêve.

— Assez de conneries ! hurla-t-il, faisant sursauter Amélia. Que s’est-il passé ? Je veux tout savoir !

— Je vous ai pratiquement tout dit. Votre femme a été frappée à plus de soixante reprises.

— Cathy... murmura-t-il d’une voix éteinte.

Killian tressaillit.

— Ben ? Je suppose qu’il vous faut du temps pour réfléchir.

— Oui. Oui, c’est ça.

— Je suis infiniment navré, mon vieux. Je vous jure sur la tête de ma mère que nous n’y sommes pour rien. Nous les aurions installées dans un endroit protégé, avec un droit de visite si vous le désiriez. Un homme ne travaille pas de son plein gré pour les gens qui ont massacré sa famille. Nous en sommes pleinement conscients.

— Il me faut du temps.

— N’oubliez pas : en qualité de chef des Chasseurs, vous pourrez retrouver ces salopards et leur donner ce qu’ils méritent. Et à un tas d’autres comme eux.

— Je veux réfléchir. Au revoir.

— Je...

Richards appuya sur le bouton ARRET. Longtemps, il se tint immobile comme une statue, les bras ballants, les yeux fermés, ne percevant rien d’autre que le ronronnement hypnotique de l’avion qui poursuivait sa route dans les ténèbres.

« Et voilà, se dit-il. Tout est révélé. »

Compte à rebours... 012

Une heure passa.

Le moment est venu, dit l’otarie, de parler. De chaussures– et de navires – et de cire à cacheter. De choux – et de rois...

Des ailes des cochons ― si vraiment ils en ont...

D’autres images se succédaient maintenant dans son esprit : Stacey. Bradley. Elton Parrakis avec son visage poupin. Le cauchemar de la fuite. Les journaux allumés dans le sous-sol du Y.M.C.A. avec sa dernière allumette. Le rugissement des voitures à essence. La mitraillette crachant des flammes. La voix aigre de Laughlin. Les images des deux gosses, agents de la Gestapo en herbe.

Après tout, pourquoi pas ?

Il n’avait plus aucune attache, et certainement pas de scrupules moraux. Un homme seul n’a pas ces problèmes. Avec la souriante brutalité qui lui était coutumière, le perspicace Killian lui avait montré à quel point il était isolé. Bradley et sa croisade contre la pollution n’étaient plus qu’un souvenir lointain. Les filtres protecteurs, oui... Une juste cause, qui méritait de mobiliser le pays entier. Maintenant, tout cela lui semblait dénué d’importance.

Les pauvres seront toujours avec toi

C’était vrai. Richards lui-même avait engendré un spécimen pour la machine à tuer. Un jour, les pauvres finiraient par s’adapter. Une mutation prendrait place. Dans dix mille ou cinquante mille ans, leurs poumons apprendraient à filtrer l’air empoisonné. Ils se révolteraient alors, arracheraient les filtres artificiels des riches et les regarderaient se noyer dans une atmosphère dont l’oxygène n’était plus qu’un composant mineur. Mais ces visions d’avenir ne concernaient pas Ben Richards.

Pendant quelque temps, il serait accablé de douleur. Ils s’y attendaient, et se montreraient compréhensifs. Il aurait sans doute des moments de colère, de révolte. Peut-être tenterait-il de nouveau de faire savoir au public que la pollution de l’air était voulue par le Réseau. Ils sauraient comment y faire face. Ils veilleraient sur lui ― en attendant le jour où il serait en état de veiller sur eux. Instinctivement, il s’en sentait capable ; il était certainement doué pour ce travail, très doué. Mais auparavant, ils feraient tout pour l’aider, pour le guérir. Les médecins et les médicaments changeraient son esprit.

Il connaîtrait la paix.

La conscience, extirpée comme une mauvaise herbe.

Il aspirait à cette guérison, à cette paix, comme un homme perdu dans le désert aspire à boire de l’eau fraîche.

Immobile dans son fauteuil, Amélia Williams continuait à pleurer, interminablement. Richards se demanda où elle prenait toutes ces larmes, et aussi, vaguement, ce qu’elle allait devenir. Elle pouvait difficilement retourner chez elle dans cet état : elle n’était plus du tout la dame qui s’était arrêtée à un stop, l’esprit plein de robes et de bijoux, de réunions, de clubs et de recettes de cuisine. L’envers du décor avait pris le dessus, teintes marron du désespoir. Au feu rouge mental où les routes divergent, elle avait pris la mauvaise direction. Des drogues, une patiente psychothérapie révéleraient les raisons de ce choix.

Il eut soudain envie d’aller la consoler, de lui dire que ce n’était pas grave, que quelques bouts de sparadrap psychique suffiraient à la faire redevenir comme avant, meilleure qu’avant.

Sheila. Cathy.

Leurs noms se répétant comme un battement de cloches, se répétant jusqu’à perdre toute signification. Dites votre nom deux cents fois de suite, vous vous apercevrez que vous n’êtes personne. Il n’y avait pas de place pour la douleur ; Richards ne ressentait qu’un embarras confus : ils l’avaient fait cavaler jusqu’à ce que sa langue pende par terre. Il devait avoir l’air du dernier des cons. Comme ce gamin, à l’école primaire dont le pantalon était tombé au moment où il se levait pour prêter serment.

Le ronronnement des turbos n’en finissait pas. Il s’assoupit à moitié. Les images défilaient paresseusement dans son esprit ; elles étaient totalement dénuées de contenu émotionnel.

A la fin de l’album, une dernière photo. Une superbe épreuve en couleurs dix-huit/vingt-quatre prises par un photographe de la police qui mâchonnait peut-être du chewing-gum. Pièce à conviction C, mesdames et messieurs du jury.

Un petit cadavre déchiqueté dans un berceau gorgé de sang. Un pan de mur tout éclaboussé. Un gros caillot au milieu du front de l’ours en peluche acheté d’occasion, celui qui n’avait plus qu’un œil.

Il se redressa d’un coup, pleinement éveillé, en hurlant de tous ses poumons, la bouche grande ouverte, la langue vibrant comme une voile dans le vent. Tout, tout ce qu’il voyait dans la cabine de première prit soudain une réalité stridente, terrifiante. Aussi terrifiante que les images montrant le cadavre de Laughlin à Topeka. Tout était très réel et en Technicolor.

Amélia se mit à hurler à l’unisson ; ses yeux terrifiés étaient semblables à des poignées de porte en porcelaine craquelée. Se faisant toute petite dans son siège, elle essayait de se fourrer le poing entier dans la bouche.

Donahue accourut aussitôt, pistolet-mitrailleur au poing.

— Que se passe-t-il ? Il y a un problème ? McCone ?

— Non, dit Richards, sentant son cœur se ralentir juste assez pour que sa voix ne paraisse pas trop désespérée. Un mauvais rêve. Ma petite fille.

— Oh.

Le regard de Donahue s’adoucit en une maladroite parodie de compassion. Ce n’était manifestement pas son registre. Il resterait sans doute un gorille jusqu’à sa mort. A moins qu’il n’apprenne avant. Il fit volteface pour regagner le cockpit.

— Donahue ?

Il se retourna avec réticence.

— Je vous ai fichu une belle frousse, hein ?

— Non.

Sur ce seul mot, il se retourna, roulant des épaules. Dans son uniforme bleu trop serré, il avait des fesses de fille.

— Je pourrais faire pire, remarqua Richards. En menaçant de vous retirer votre filtre nasal.

Exit
Donahue.

Richards se sentait terriblement las. Il referma les yeux. Aussitôt, la photo sanglante revint. Il les rouvrit, attendit un moment, puis les referma. Pas de photo. Lorsqu’il fut certain qu’elle ne reviendrait pas (pas pour le moment, du moins), il les ouvrit de nouveau et appuya sur le bouton du Libertel.

Killian était fidèle au poste.

Compte à rebours... 011

— Ah ! Richards.

Killian se pencha en avant, ne faisant aucun effort pour dissimuler la tension qui l’habitait.

— J’ai décidé d’accepter, dit Richards.

Killian se détendit. Dans son visage impassible, seuls ses yeux souriaient.

— J’en suis très heureux, dit-il.

Compte à rebours... 010

— Ça alors ! s’exclama Richards à mi-voix.

Il se tenait à l’entrée du cockpit.

Holloway se retourna.

— Salut.

Debout, un micro à la main, il parlait à un mystérieux interlocuteur appelé « V.D.R. Detroit ». Accoudé à une console, Duninger buvait du café.

Le siège du pilote était inoccupé ; celui du copilote, de même. Pourtant, les commandes se levaient, s’abaissaient, tournaient, des lumières clignotaient, des chiffres défilaient sur des cadrans, dans un constant dialogue... avec qui ?

— Qui conduit le bus ? demanda Richards, fasciné.

— Otto, répondit Duninger.

— Otto ?

— Otto le pilote automatique. Vous y êtes ? Un jeu de mots stupide. (Un sourire éclaira soudain le visage de Duninger.) Bienvenue à bord, mon gars. Vous ne le croirez peut-être pas, mais vous aviez plus d’un supporter dans notre équipe.

Richards hocha vaguement la tête. Comme le silence devenait pesant, Holloway intervint :

— Il est bizarre, Otto, n’est-ce pas ? Moi aussi, j’ai du mal à m’y habituer. Même au bout de vingt ans. Mais pas de danger, il ne fait jamais la moindre erreur. Incroyablement sophistiqué. Comparé aux premiers modèles, c’est... comme un bureau Louis XV à côté d’une caisse en sapin.

— Vraiment ? dit Richards en essayant de percer les ténèbres.

— Oh oui ! Vous indiquez la destination, et Otto prend le relais, assisté pendant tout le trajet par le voco-radar. Le pilote ne sert plus à rien, sauf pour les décollages et les atterrissages. Et en cas de pépin.

— Que pouvez-vous faire de plus que lui, en cas de pépin ? demanda Richards.

— Prier, répondit Holloway. Peut-être avait-il voulu plaisanter, mais son ton était d’une étrange sincérité. Cela jeta un froid dans la cabine.

— Ces manches servent à orienter l’avion ? demanda Richards.

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