Les Assassins (42 page)

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Authors: R.J. Ellory

Tags: #Thriller

BOOK: Les Assassins
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— Je sais, je sais, fit Irving en levant les mains, poings serrés. Je sais ce qu’il faut faire… Mais voilà, on était à deux pas de ce type et… »

Il serra les mâchoires, agita ses poings, toujours les yeux fermés, les muscles et les veines de son cou bien visibles.

Au bout d’un moment, il baissa les bras et resta planté là, sans rien dire, tête baissée. « Imprimez-moi tout ce qu’on a, dit-il calmement. Des gros plans de sa tête, de son blouson, de son numéro d’insigne… Tout ce que vous trouverez, d’accord ? Vous pourrez ensuite l’envoyer au n
o
 4 dès que possible ?

— Je fais ça tout de suite. Vous pouvez attendre…

— Il faut que je me casse, Jeff. Il faut que je prenne l’air, sinon je vais… Merde, je ne sais pas ce que je vais faire mais…

— Allez-y. Je vous apporte tout ça dans moins d’une heure. »

Irving le remercia, ouvrit la porte et la claqua derrière lui. Il traversa le laboratoire criminel et sortit dans la rue. Il fit deux fois le tour du pâté d’immeubles et remonta dans sa voiture.

Il était bientôt 18 heures, la circulation était vraiment difficile ; il lui fallut près d’une heure pour regagner le n
o
 4.

 

Turner déboula avec les résultats de l’autopsie et le rapport sur la scène de crime. Les TSC avaient récupéré des mégots de cigarettes, une empreinte de tennis Nike, pointure 45, une cannette de Coca avec trois empreintes partielles non identifiées, un cheveu blond retrouvé sur le pubis de Lynette Berry. Pas de trace de viol, pas de contusions sous-cutanées, pas de résidu d’adhésif sur les poignets ou les chevilles. Elle avait été endormie au moyen d’un barbiturique puissant, au plus tard vingt-quatre heures avant sa mort. La mort était due à une asphyxie : elle avait été étranglée à l’aide d’un morceau de tissu mais aucune fibre n’avait été retrouvée sur le corps ni sur la scène de crime. L’autopsie n’apprit rien d’autre à Irving. Central Park n’était pas le lieu du décès et, d’après une série de petites égratignures sur son épaule droite qui contenaient un résidu d’huile de moteur, Lynette Berry s’était très vraisemblablement débattue, malgré le sédatif, dans un endroit où un véhicule avait été garé. Un garage, une concession automobile ? Impossible à dire. Une fois de plus, comme pour Mia Grant et Carol-Anne Stowell, le lieu du crime était un mystère.

À 20 h 20, Ray Irving téléphona au bureau de Karen Langley et tomba sur son répondeur. Il ne laissa pas de message ; il ne savait même pas trop ce qu’il lui aurait dit si elle avait décroché. Il resta assis dans la salle des opérations, les yeux fixés sur les panneaux accrochés au mur. Une photo récente de Lynette Berry avait été ajoutée. C’était une jolie fille, doublée, d’après ce qu’il avait compris, d’une étudiante douée, sans dépendance à la drogue connue, puisque le rapport toxicologique n’indiquait que la présence du barbiturique. Sa mère était encore en vie, son père était mort, elle avait trois sœurs et un frère, et elle était la plus jeune. Pourquoi s’était-elle tournée vers la prostitution à 19 ans, alors qu’elle avait la vie devant elle ? Irving ne le saurait jamais. Des victimes de guerre – voilà comment il les voyait, désormais. De quelle guerre, avec quels belligérants ? Il n’en avait pas la moindre idée. Une guerre intérieure, quelque chose qui n’existait que dans le cerveau d’un homme. Ou une guerre contre quelque chose, ou contre quelqu’un, surgi du passé – une sœur détestée, une petite amie infidèle, une mère sadique. Il y avait toujours une raison, aussi irrationnelle fût-elle, et la connaître ne servait qu’à une chose : empêcher de nouvelles morts. Or Irving ne savait toujours pas plus de choses sur cette raison qu’en ce jour du début du mois de juin où il s’était approché du corps d’une adolescente enveloppé dans du plastique.

Il tapa son rapport quotidien à l’intention de Farraday – les détails concernant la photo, la société du coursier, les renseignements transmis par le
New York Times
. Avant de terminer, il passa tout de même un coup de téléphone à Jeff Turner.

« Rien, lui répondit ce dernier. Sinon que les empreintes sur la photo sont celles de votre type au
New York Times
. Quant au message qui l’accompagnait… La seule chose que je peux dire, c’est qu’il a été sorti sur une imprimante laser Hewlett-Packard, un modèle ancien, peut-être une 4M ou une 4M Plus. Le papier est on ne peut plus banal, on le trouve dans dix mille endroits possibles. J’ai bien peur de ne pas pouvoir vous éclairer davantage. »

Irving le remercia, raccrocha et ajouta cet ultime et décevant paragraphe à son rapport. Il envoya une demande de renseignement concernant un éventuel vol de moto de police à tous les commissariats de la ville, avec la mention « URGENT », et décida de partir.

Il décrocha son manteau derrière la porte et s’en alla.

Il était 21 h 18, le ciel était clair. Il se rendit chez Carnegie’s, pour la chaleur de l’endroit, pour les bruits familiers et la présence réconfortante des gens qui ignoraient tout du Commémorateur.

 

45

  L
e vendredi 20 au matin, un message tomba au sujet d’une moto volée dans un garage agréé par la police de New York, à Bedford-Stuyvesant, non loin du Tompkins Square Park. La moto avait été enregistrée le samedi 14 et n’avait été inspectée que le mardi 17, dans l’après-midi. D’après le registre du garage, la première inspection du véhicule avait eu lieu ce jour-là à 15 h 55. Hormis la procédure classique de vérification de l’huile, du liquide de freins et de la pression des pneus, la moto avait reçu un bon de sortie et rien d’autre n’avait été fait jusqu’à la demande formulée par le commissariat n
o
 12.

Ce fut l’agent du standard qui téléphona à Irving pour lui transmettre le message et lui indiquer l’adresse du garage. Irving s’y rendit un peu avant midi et discuta avec le patron.

« Je ne sais pas quoi vous dire. » Il s’appelait Jack Brookes et il semblait prêt à l’aider par tous les moyens possibles. « Ça fait des années que je tiens cet endroit et je n’ai jamais eu aucun problème. Je n’en reviens pas… Je vais avoir du mal à renouveler le contrat. » Il secoua la tête, résigné. « La moto a été enregistrée, inspectée et une révision était programmée que nous devions faire demain. Si la demande d’inventaire n’était pas intervenue, on ne se serait pas aperçus qu’elle avait disparu avant vingt-quatre heures. »

Irving demanda à Brookes de lui montrer l’endroit où étaient garées les motos. En l’occurrence, c’était un petit entrepôt sécurisé, avec trente ou trente-cinq deux-roues, et dépourvu de caméras de surveillance.

« Les caméras ne sont pas obligatoires dans le cadre du contrat, expliqua Brookes. En général, les motos restent ici un jour ou deux, du moins celles qui ont juste besoin d’une révision. En revanche, on a reçu quelques motos abîmées qui étaient du coup prioritaires. Il y en a une ou deux qui auraient dû être envoyées à la casse, mais j’ai cru comprendre qu’en ce moment les budgets étaient serrés, pas vrai ? »

Irving le remercia et le laissa vaquer à ses affaires. Il passa une heure à faire le tour du garage. Il interrogea les employés, les mécaniciens, le personnel administratif. D’habitude, les motards de la police passaient simplement chercher leurs véhicules. Le photographe d’Irving avait très bien pu entrer dans le garage, avec son uniforme pour seule garantie, et repartir tranquillement sur une des motos. L’établissement entretenait de bons rapports avec la police, les employés n’avaient jamais eu de problèmes et partaient du principe qu’il n’y en aurait pas.

Irving s’en alla un peu avant 14 heures avec le cœur lourd et un mal de tête lancinant.

 

De retour au n
o
 4, il téléphona au domicile de Costello.

« Vous aviez raison, dit-il. C’était un policier à moto. Il en a volé une chez un garagiste dans les jours qui ont suivi mardi dernier. Personne n’a rien vu. Pas de caméra de surveillance, rien.

— Il sait ce qu’il fait. C’est un perfectionniste.

— Mais pourquoi… »

Plus qu’une question, Irving formulait une idée.

« Parce qu’il est dingue, répondit calmement Costello. Je ne pense pas qu’il faille chercher beaucoup plus loin. »

Après un silence, Irving demanda : « Comment allez-vous ?

— Ça va. Voir ma photo dans le journal m’a secoué. Vraiment. Mais aujourd’hui… Aujourd’hui ça va, pour tout vous dire. Je vais aller au journal après le déjeuner, voir Karen, et voir ce qu’il faut faire.

— Et ce week-end ?

— Aucune idée. Je ne fais pas de plans. En général, je reste chez moi, je regarde des films. Mais vous avez mon numéro, maintenant… En cas de besoin.

— C’est gentil, John. Je vous appelle si ça bouge.

— Et au fait… Bonne chance.

— C’est surfait, la chance, dit Irving. Très surfait. »

Il raccrocha. Il se pencha en avant et posa son front sur le bord du bureau.

Il était si fatigué, si insupportablement épuisé que, sans la sonnerie du téléphone, il aurait bien pu s’endormir dans la seconde.

46

  L
a lettre était arrivée par le courrier normal. L’enveloppe était adressée à Karen Langley en ces termes : « URGENT VITE SVP. » Karen la décacheta, lut la lettre, la jeta sur son bureau et téléphona à Ray Irving.

Sortie toute la matinée, elle venait juste de rentrer au bureau pour ouvrir son courrier, et elle était tombée là-dessus.

Irving mit le gyrophare et fonça jusqu’à la 31
e
 Rue Ouest. Il lui dit de ne pas bouger, de ne rien faire, de n’appeler personne, de ne pas toucher la lettre. Pendant tout le trajet, son cœur n’arrêta pas de battre la chamade. Il avait la bouche sèche et amère, et ses mains transpiraient.

John Costello était déjà sur place ; il avait vu la lettre.

« Papier Bond ordinaire, dit-il à Irving. Je ne l’ai pas touchée. Je connais la musique. »

Rédigé avec une écriture enfantine sur une seule page, le message était aussi clair que dérangeant :

 

une tuée à new

york

cheveux brun clair

Yeux bleus

New York

Buffalo

Aurait été étranglée

Avec une corde blanche

boucles d’oreilles

en or

avait une robe

intérieur de l’appartement

belles dents blanches

avec un espace entre les dents

du haut

Yeux bleus petite boucle

d’oreille

Cheveux plus bas que les épaules

par-dessus

Pont

la tête et les doigts manquants

 

Irving relut le texte, debout devant le bureau de Karen Langley – celle-ci à sa droite, Costello à sa gauche.

« Henry Lee Lucas, dit ce dernier. C’est une de ses lettres d’aveux, en octobre 1982.

— Et la victime ?

— Mon Dieu, il y en a eu des dizaines. Il avait un partenaire, un certain Ottis Toole. Ensemble, ils ont semé la terreur le long de la route I-35, au Texas.

— Quel mode opératoire ?

— Aucun en particulier. Ils ont abattu certaines personnes, en ont tabassé d’autres, et d’autres encore ont été étranglées, brûlées ou crucifiées. En général, les meurtres étaient sexuels. Ils violaient et sodomisaient. Ils voyageaient avec deux gamines, dont une petite de 13 ans qu’ils utilisaient pour appâter les camionneurs sur la route avant de les faire sortir de leur véhicule et de les tuer. »

Irving prit une longue inspiration. « Et les dates ?

— Un grand nombre d’assassinats ont été commis en octobre et en novembre, si c’est ce que vous voulez savoir. »

Irving hocha la tête. « C’est ce que je veux savoir.

— Qu’est-ce que vous allez faire de ça ? demanda Karen en montrant la lettre.

— Vous avez un sachet en plastique, une enveloppe ou quelque chose, pour que je puisse l’emporter ? Elle va aller tout droit au labo. Je vais la déposer moi-même, voir s’il y a des empreintes dessus. Si c’est comme avec les lettres précédentes, il n’y aura pas d’empreintes. »

Irving leva les yeux vers Karen Langley. Son visage était blême, presque vidé de ses couleurs, et elle avait les yeux grands ouverts. « Il sait qui nous sommes, dit-elle, presque en susurrant. Il a photographié John, et maintenant il m’envoie ça…

— Ce n’est pas une menace contre vous…

— Comment le savez-vous, Ray ? Comment savez-vous que ce n’est pas une menace contre moi ? »

Irving voulut répondre, puis se rendit compte qu’il n’avait rien à dire.

« Vous n’en savez rien, n’est-ce pas ? On ne sait rien de ce type. On ne sait pas ce qu’il veut. On ne sait pas… » Elle s’interrompit au milieu de sa phrase. Ses yeux étaient embués. Elle recula et s’assit sur un fauteuil près de la fenêtre.

Irving s’approcha, s’agenouilla devant elle et prit ses deux mains dans les siennes.

« Je vais poster quelqu’un chez vous, lui dit-il sur un ton rassurant. J’enverrai un véhicule de patrouille devant votre maison. Quelqu’un passera vous voir. Au cas où ce type imagine… »

Karen secoua la tête. « Bordel, mais qu’est-ce qu’on a fait pour mériter ça, Ray ? Qu’est-ce qu’on a à voir avec ça ?

— Nous sommes ses adversaires, intervint Costello. C’est un jeu, et nous sommes les adversaires. Ni plus ni moins. Il faut qu’il ait quelqu’un contre qui jouer, et on est en plein dans le cadre.

— Mais là, c’est différent, dit Karen. C’est très différent. Écoutez, je suis habituée à en voir de toutes les couleurs, comme nous tous. Sauf que cette fois, c’est autre chose, non ? Franchement… Quand ça arrive aux autres, on observe, on écrit un papier dessus, parfois on voit des images, mais ça… »

Elle commença à faire de l’hyperventilation.

Irving jeta un coup d’œil vers Costello. Il se sentait gêné. Il aurait aimé prendre cette femme dans ses bras, la serrer fort, lui dire que tout finirait par s’arranger, que tout se passerait bien, mais il ne le pensait pas, et la présence de Costello le mettait dans l’embarras.

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