Les Assassins (43 page)

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Authors: R.J. Ellory

Tags: #Thriller

BOOK: Les Assassins
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Karen voulut sécher ses larmes mais ne fit qu’étaler son mascara. Elle avait l’air abattue, submergée.

« Je ne veux pas me sentir comme ça. Je suis vraiment effrayée… Il sait qui nous sommes, Ray. Il m’a envoyé cette lettre… »

Elle prit alors une grande bouffée d’air. Elle ferma les yeux, expira. Lorsqu’elle les rouvrit, elle regarda d’abord Costello.

« Je suis d’accord avec Ray, dit ce dernier. Il ne va pas s’en prendre à nous. Pourquoi le ferait-il ? Il ne s’agit pas de nous, mais de lui. Il veut continuer à faire ce qu’il a envie de faire et s’en tirer sans problème. Il veut donner son petit spectacle et voir la police, le journal et les chaînes de télévision commencer à s’intéresser à lui. S’il s’en prend à nous, qui restera-t-il pour jouer avec lui ? »

Karen se ressaisit. Elle chercha un mouchoir dans son sac à main et essaya d’arranger son mascara. « J’ai besoin d’un café, dit-elle. Je vais aller en chercher un à la cafétéria. » Elle se leva et rajusta sa jupe. « Vous en voulez un ? »

Irving accepta, Costello refusa. Dès qu’elle eut quitté la pièce, Irving s’assit sur le fauteuil de Karen et relut la lettre.

« Vous étiez sincère ?

— Non, répondit Costello.

— Moi non plus.

— Et ce n’est pas cette lettre qui va nous aider à retrouver son identité.

— Je ne vous le fais pas dire.

— Et Central Park ? demanda Costello.

— Rien d’intéressant.

— La seule chose qu’on sait, donc, c’est qu’il a commis, ou va commettre, un meurtre inspiré de Henry Lee Lucas.

— Vous pouvez établir la chronologie des assassinats qui lui sont attribués ?

— Bien sûr… Vous voulez que je le fasse tout de suite ?

— Si c’est possible, ce serait parfait », dit Irving.

Costello le laissa seul.

Irving s’approcha de la fenêtre et observa la rue pendant un long moment. Karen Langley revint avec du café et son faux espoir – celui qui lui faisait croire qu’elle n’était pas directement visée.

« Ça va ? lui demanda Irving.

— On fait aller.

— J’attends encore un ou deux renseignements de John. Ensuite, je vais apporter la lettre aux experts scientifiques.

— Vous pouvez vraiment exiger une surveillance de ma maison ?

— Bien sûr que je peux… Dites-moi à quelle heure vous aurez terminé et je passerai moi-même.

— Ça dépend. 18 ou 19 heures… Dans ces eaux-là.

— Appelez-moi à ce moment-là et je vous suivrai jusqu’à chez vous, d’accord ?

— Merci, Ray. »

Karen se rassit avec sa tasse de café entre les mains et ferma les yeux. « Je me sens mal. Ça m’a vraiment secouée. »

Irving se planta à côté d’elle et posa une main sur son épaule. « Je sais, dit-il à voix basse. Je sais. »

47

  I
rving quitta le siège du
City Herald
avec la lettre et la chronologie des assassinats commis par Henry Lee Lucas. Ceux-ci s’étalaient sur toute l’année et semblaient n’obéir à aucune logique. Mais Henry Lee et son acolyte, Ottis Toole, n’avaient pas chômé. 22 octobre 1977 : ils tuèrent par balles Lily Pearl Darty. À Waco, Texas, le 1
er
 novembre de la même année, ils ligotèrent Glen D. Parks et le tuèrent avec un .38. Le 31 octobre 1978, à Kennewick, Nevada, le duo viola et assassina une certaine Lisa Martini chez elle. Le 5 novembre 1978, ils roulaient sur la I-35, au Texas, lorsqu’ils repérèrent un jeune couple, Kevin Kay et Rita Salazar : ils violèrent la fille avant de la tuer de six balles, puis tuèrent Kay et abandonnèrent les deux cadavres sur le bord de la route. Un an plus tard, le 3 octobre 1979, Lucas et Toole détroussèrent, violèrent et assassinèrent Sandra Mae Stubbs. Dix jours après, ils abattaient un couple âgé qui tenait un magasin d’alcools à Austin, Texas. Le 31 octobre, une autre femme, non identifiée, était retrouvée morte au bord de la route I-35. Le 21 novembre, alors qu’ils braquaient un motel à Jacksonville, comté de Cherokee, Lucas viola et tua une femme de 31 ans nommée Elizabeth Knotts. Dix-huit jours plus tard, une adolescente était violée et poignardée chez elle. Son corps fut découvert dans un bois non loin de là.

Et ainsi de suite, à Noël, en janvier, en février et en mars 1980.

Leur folie meurtrière se poursuivit sans répit jusqu’à l’arrestation de Henry Lee Lucas en octobre 1982. Finalement, celui-ci avoua avoir commis cent cinquante-six homicides, et parmi ses armes de prédilection, il affirma s’être servi de pistolets, de fusils, de pieds de table, de cordons téléphoniques, de couteaux, de démonte-pneus, de haches, de câbles d’aspirateur, et même d’une voiture. Par la suite, on considérera que beaucoup des crimes attribués à Lucas étaient en réalité le fait de policiers trop zélés qui voulaient lui imputer un maximum d’affaires non élucidées. Néanmoins, l’enchaînement des meurtres permit à Irving d’avoir un petit aperçu du cauchemar auquel il était confronté. La réédition du crime Lucas-Toole pouvait s’être déjà produite ou n’être qu’à l’état de projet. Impossible de dire quel assassinat serait réédité, ni quand.

C’est ce scénario qu’il décrivit à Jeff Turner le soir même, lorsqu’il arriva au laboratoire de police criminelle un peu avant 18 heures.

Turner s’empara de la lettre et de la chronologie établie par Costello. Pendant quelques minutes, il resta assis sans prononcer le moindre mot.

« Vous pourriez commettre le péché originel, dit-il à Irving.

— À savoir ?

— Vous refilez un tuyau aux médias et vous faites en sorte que l’affaire passe aux infos. Vous créez suffisamment de bordel pour qu’on vous donne des renforts. »

Irving eut un sourire en coin. « Je vais faire comme si vous n’aviez jamais dit ça.

— Faites comme vous voudrez, Ray. La fille retrouvée à Central Park a occupé en tout et pour tout vingt-cinq minutes d’antenne. J’ai vu la nouvelle sur trois chaînes différentes. Les gens ne veulent pas savoir. C’était une pute, nom de Dieu. Or les gens ne voient pas les putes comme des êtres normaux. La réaction la plus sympathique que vous allez entendre, c’est qu’elle l’avait sans doute bien cherché.

— Vous croyez que je ne suis pas au courant ? »

Turner s’enfonça sur son siège. Il avait l’air aussi épuisé qu’Irving. « Qu’est-ce que vous allez faire, maintenant ?

— Je vais attendre vos résultats concernant la lettre, dit Irving en montrant la feuille posée sur le bureau.

— Et quand je vais revenir pour vous expliquer qu’il n’y a rien dessus, ni empreintes, ni marques distinctives…

— J’espère le contraire. Mais si c’est le cas, ce qui me paraît effectivement couru d’avance, je saute du premier pont. »

Son biper sonna. Encore Karen Langley.

Irving se leva. « Il faut que je passe un coup de fil. Je reviens dans deux minutes. »

 

« Karen.

— Appelez John. Il a quelque chose pour vous.

— Il vous a dit de quoi il s’agissait ?

— Non. Appelez-le. Je dois aller en réunion. »

Irving la remercia, téléphona à Costello et fit les cent pas dans le couloir en attendant qu’il décroche.

« John ? Ray à l’appareil.

— Il a oublié un mot.

— Pardon ?

— La lettre qu’il a envoyée à Karen… Il a oublié un mot.

— Quel mot ?

— Joanie.

— C’est le prénom de quelqu’un ?

— La Fille aux Chaussettes Orange, répondit Costello. C’est ce crime-là qu’il va rééditer.

— La Fille aux quoi ?

— Le 31 octobre 1979, au bord de la I-35, un motard a retrouvé un cadavre sous un dalot. Une jeune fille. Elle était entièrement nue, à l’exception d’une paire de chaussettes orange et d’une bague en argent. Pas d’habits, pas de sac, rien. Uniquement les chaussettes orange. Elle avait des dents en parfait état, aucun os cassé, pas de dossier médical ou dentaire permettant de l’identifier, et, sauf erreur de ma part, on ne sait toujours pas de qui il s’agit. Les seuls autres éléments étaient le contenu de son estomac et une petite culotte retrouvée non loin de là, à l’intérieur de laquelle se trouvait une serviette hygiénique de fortune.

— Et on est sûrs que c’est un assassinat commis par Lucas ?

— Lucas a été arrêté dans le comté de Montague et l’un des meurtres qu’il a avoués était celui d’une auto-stoppeuse qu’il avait prise près d’Oklahoma City. Il disait qu’elle s’appelait Joanie ou Judy. Il l’a emmenée sur la I-35 jusqu’à un relais routier où elle commandé un hamburger, des frites et un Coca. C’est ce qu’on a retrouvé dans l’estomac de la fille. Puis il a raconté qu’ils avaient eu un rapport sexuel consenti. Quand ils ont eu fini, il l’a étouffée et l’a balancée sous un dalot. Il précisait aussi qu’elle avait une sorte de serviette hygiénique qu’il appelait un Kotex.

— Et le mot “Joanie” manque dans la lettre ?

— Oui. Entre “intérieur de l’appartement” et “belles dents blanches”, il aurait dû y avoir “Joanie”.

— Nom de Dieu, lâcha Irving. Donc si vous avez raison…

— Eh bien, on a une date.

— Halloween. Dans onze jours.

— Et la jeune fille sera balancée sous un dalot au bord d’une autoroute.

— OK… OK. »

Irving était déjà en train de penser au nombre de routes et d’autoroutes qui passaient par New York et au nombre de conduites et de collecteurs d’eaux pluviales qu’on pouvait considérer comme des dalots.

« John… Je vais travailler là-dessus, d’accord ? Je vous rappelle.

— Dites-moi ce que vous trouvez », fit Costello avant de raccrocher.

Irving laissa un message au réceptionniste du laboratoire de police criminelle. Il traversa de nouveau la ville pour se rendre au service central de l’assainissement, sollicita l’aide d’un des ingénieurs et obtint de lui qu’il lui montre le réseau qui quadrillait New York.

« Jusqu’où vous voulez aller ? demanda l’ingénieur, un homme trapu, au visage rougeaud, nommé Victor Grantham.

— Vous pouvez y superposer le plan de la ville ?

— Bien sûr. »

Grantham tapota sur son clavier, fit défiler l’écran, cliqua, et un plan d’ensemble de New York apparut.

« Prenons Henry Hudson Parkway, West Street, South Street jusqu’à la section surélevée. FDR Drive, Harlem River Drive, Bruckner Expressway, les ponts – Triborough, Queensboro, Williamsburg… » Irving réfléchit un instant. « Attendez. Quelles sont les routes inter-États qui traversent la ville ? »

Grantham descendit plus bas sur l’écran, ouvrit un dossier et demanda : « Uniquement la ville ou vous voulez aussi tout le comté ?

— Uniquement la ville.

— On a la I-87, qui devient ensuite la Major Deegan Expressway, la I-95 qui traverse le pont de Washington jusqu’au New Jersey, Bruckner Expressway qui est la I-278, et enfin la I-495, qui retrouve la 678 en sortant de la ville. Ah, et au-dessous de Lower Manhattan, vous avez le tunnel du pont de Brooklyn, qui correspond en gros à la I-478.

— D’accord. Donc si on s’en tient aux autoroutes inter-États, combien y a-t-il de sorties d’évacuation et de conduites ?

— Vous plaisantez ? »

Irving se contenta de le regarder.

« D’accord, vous ne plaisantez pas », dit Grantham en se remettant au travail.

Il lui fallut moins de deux minutes pour annoncer à Irving ce qu’il ne voulait pas entendre.

« Un peu plus de huit cent cinquante. Et encore, je ne vous parle que de celles qui figurent dans cette base de données. Si vous suivez les autoroutes jusqu’aux limites de la ville, et dans toutes les directions, il doit y en avoir des milliers. »

Irving ferma les yeux. Il poussa un long soupir et inclina le menton vers son torse.

« Ce n’est pas ça que vous vouliez entendre, si ? »

Irving secoua la tête sans la relever.

« Je peux vous demander pourquoi vous cherchez ce renseignement ?

— Parce qu’on pense que quelqu’un va vouloir jeter un cadavre dans un de ces dalots au moment d’Halloween.

— Un cadavre ? »

Irving releva la tête. « Oui, un cadavre.

— Et vous ne savez pas où ?

— Non, je ne sais pas où. Si je le savais, je n’aurais plus qu’à me poster devant en attendant de le cueillir.

— Et vous disposez de combien d’hommes pour couvrir toute cette zone ? »

Irving voulut d’abord rire, puis se retint. Il n’y avait pas de quoi rire. « Pas assez », répondit-il calmement.

« D’après moi, un cadavre risque de boucher complètement un dalot. Et s’il le bouche complètement, ça apparaîtra à l’écran. C’est comme ça que le système fonctionne : on voit où ça bloque et on envoie une équipe sur place. »

Irving se redressa, les yeux grands ouverts. « Vous avez combien d’équipes ? demanda-t-il.

— Combien ici ou combien pour toute la ville ?

— Pour toute la ville.

— Eh bien, on pourrait mobiliser peut-être trois cents équipes, à raison de deux hommes par équipe.

— Et quelle est la distance entre ces dalots ?

— Ça varie selon les portions de la route. Selon l’inclinaison, aussi. Selon que l’eau coule vite ou lentement, et le volume de la circulation…

— En gros, coupa Irving. En gros, quelle distance ?

— Oh, je n’en sais rien… Disons en moyenne deux ou trois cents mètres, quelque chose comme ça.

— Donc si vous mobilisiez vos trois cents équipes, elles pourraient couvrir trois dalots chacune sur l’ensemble des huit cent cinquante. Et si elles étaient postées au dalot qui est au centre des trois, il y aurait deux hommes à moins de deux ou trois cents mètres de n’importe quel point du système. »

Grantham confirma d’un hochement de tête. « Ce serait une opération de dingues, mais en effet, si on disposait toutes nos équipes, on serait à bonne distance de toutes les conduites d’évacuation de la ville. »

Irving ne répondit pas. Il y avait une lueur dans son regard. Son cœur battait deux fois plus vite qu’à l’accoutumée.

« Et depuis ce poste, ajouta Grantham, quelqu’un installé à ce bureau pourrait dire en dix ou quinze secondes si quelque chose bouche l’une des conduites.

— Et comme il y aurait déjà un agent sur place, on bloquerait l’autoroute et on interrogerait tous les automobilistes à moins de huit cents mètres du lieu où le cadavre aurait été balancé.

— C’est jouable. Ça me paraît être une bonne idée. Une bonne idée qui nécessite tout de même la présence d’un cadavre…

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