Les Assassins (47 page)

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Authors: R.J. Ellory

Tags: #Thriller

BOOK: Les Assassins
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Baumann s’interrompit et regarda les autres membres du groupe du Winterbourne.

« Ça paraît pertinent, dit Rebecca Holzman. En ce qui concerne la date, vous voyez ? » Elle sourit. « Richard Segretti pourrait nous aider là-dessus. Il savait tout sur le sujet. »

Irving fronça les sourcils.

« Il a appartenu à notre groupe il y a quelque temps, expliqua Baumann. Mais sauf erreur de ma part, il a quitté New York.

— Il s’agit de DeFeo, non ? intervint soudain Costello.

— Notre présence est inutile, dit Baumann en souriant à Irving. Vous avez Costello. »

Il commença à se lever de son siège.

« Quoi ? fit Irving, manifestement troublé. Comment ça, DeFeo ?

— Racontez-lui, dit Costello à Curtis.

— Les meurtres commis par DeFeo. Le 13 novembre 1974. La date anniversaire tombe donc dans un peu plus d’une semaine. »

Costello se tourna vers Irving. « Vous avez déjà entendu parler d’un film intitulé
Amityville : la maison du diable
 ?

— Bien sûr. Je l’ai même vu.

— Eh bien, précisa Curtis, ce film est l’adaptation d’un livre paru dans les années 1970. Une histoire de phénomènes paranormaux vus par une famille qui s’installait au 112, Ocean Drive, après les meurtres des DeFeo. Les parents, Ronald et Louise DeFeo, avaient été assassinés, ainsi que quatre de leurs enfants. Dawn, Allison, Marc et John. Ronald Jr. était l’aîné, et il a été… condamné pour ces crimes.

— Vous avez l’air d’avoir quelques doutes, remarqua Irving.

— Il y avait plusieurs incohérences dans cette affaire. La fille aînée, Dawn, avait 18 ans. Des résidus de décharge d’arme à feu furent retrouvés sur sa chemise de nuit, ce qui indiquait qu’elle avait très bien pu tenir et utiliser cette arme elle-même. Et d’autres choses encore… Mais Ronald DeFeo fut inculpé pour les six meurtres et condamné à six peines de prison allant de vingt-cinq ans à la perpétuité. Il est aujourd’hui à Green Haven… C’est bien ça, John ? »

Costello confirma d’un hochement de tête. « Oui, la prison de Green Haven, à Beekman.

— Toute la famille a été tuée à l’aide d’un fusil Marlin de calibre 35, intervint Baumann. La rapidité d’exécution, le fait que l’arme ne comportait pas de silencieux, la position des corps… Tous couchés sur le ventre, aucun ligoté ni drogué, et l’impression que la détonation de l’arme n’en avait réveillé aucun… Tous ces éléments formaient des incohérences dans le dossier.

— Et pourtant DeFeo a été reconnu coupable, dit Costello. Il a soumis de nombreuses demandes de libération conditionnelle, mais elles lui ont toutes été refusées.

— C’est donc cette affaire qui est évoquée dans cette lettre ? demanda Irving.

— C’est la seule chose qui paraisse un peu vraisemblable, dit Curtis. Il maudit les prostituées, mais ses victimes sont pour la plupart des adolescents, filles et garçons. Sur les dix, seules deux étaient des prostituées. »

Irving regarda de nouveau la lettre, incapable de ne pas éprouver un sentiment d’horreur face à ce qui se passait. Et il était de son devoir, de sa seule responsabilité, de diriger, de décider, de déléguer et d’agir.

Le Commémorateur avait promis six autres assassinats. À en croire les récents événements, il semblait n’avoir pas beaucoup de mal à tenir parole.

Un quart d’heure plus tard, la réunion s’achevait.

En partant, Irving et Langley, suivis par Costello, remercièrent chacun des cinq membres du groupe.

Le dernier à quitter les lieux fut Eugene Baumann. Il s’arrêta un instant et s’approcha d’Irving.

« J’ai été agressé en 1989, dit-il. J’ai passé quatre mois dans le coma et, pendant que j’étais entre la vie et la mort, ma femme a eu une liaison avec un homme beaucoup plus jeune. La semaine dernière, j’ai fait un check-up. Le médecin m’a dit que je n’avais jamais été aussi en forme. Ma femme, elle, est très malade du cœur et pourrait bien ne pas survivre à Noël. Ce que j’ai enduré m’a appris quelque chose de très précieux, à savoir que le seul véritable échec, c’est de renoncer à se battre. C’est un cliché, je vous l’accorde. Et alors ? » Il sourit chaleureusement et lui prit la main. « Appelez-moi si je peux faire quoi que ce soit pour vous. John sait où me joindre. Je suis peut-être un peu fou, mais si je peux faire quelque chose, je le ferai. »

Irving le remercia, le raccompagna à la porte et referma derrière lui, d’une main ferme.

« Il faut que je rentre au commissariat, dit-il. Je vous dépose au
Herald 
?

— Non, allez-y, répondit Karen. On va prendre un taxi. »

Irving tendit le bras, lui tint la main pendant quelques secondes et la serra fort.

En guise de remerciement, il adressa un signe de tête à Costello. Il quitta à son tour la chambre de l’hôtel et, d’un pas rapide, retrouva sa voiture.

54

  F
arraday secoua lentement la tête et s’affala sur son siège. « Nom de Dieu, soupira-t-il. Nom de Dieu de nom de Dieu…

— C’est la seule piste à suivre, dit Irving. Sérieusement, je ne vois pas d’autre façon de procéder…

— Vous vous rendez compte du nombre d’hommes qu’une telle opération exigerait ?

— Non. Et je crois que c’est impossible à prévoir tant qu’on ne saura pas combien de familles sont impliquées.

— Et où était-ce, donc ?

— Amityville ? C’était…
C’est
à Long Island.

— Et vous pensez que ça se produira à l’intérieur des limites de la ville de New York ?

— Tous les meurtres portés à notre connaissance ont été commis à l’intérieur des limites de la ville. Ce type se fout des lieux où ont eu lieu les crimes, il se contente de les rééditer, et à mon avis ce sera encore le cas cette fois-ci. Il va assassiner une famille de six personnes, exactement de la même manière, et dans un endroit pas très éloigné d’ici.

— OK, dit Farraday, soudain conscient qu’en l’absence d’une meilleure piste, il valait mieux agir que rester les bras ballants. Parlez-en aux archives municipales, aux responsables des registres électoraux… Je tiens le directeur au courant et je vais voir si le FBI ne peut pas nous aider à établir une sorte de base de données. On essaie d’avoir une liste complète d’ici vingt-quatre heures. Entendu ?

— Entendu. »

Il ne fallut pas vingt-quatre heures, mais plutôt quelque chose comme quatre-vingt-seize heures. Soit presque quatre jours. Et Ray Irving estimait toujours impossible de dresser une liste succincte et définitive de toutes les familles de six personnes, avec des enfants ou des adolescents, dans le cadre des limites de New York. Les gens se déplaçaient, les gens divorçaient. Parfois, quand on avait identifié deux adultes et quatre enfants, on découvrait que l’un d’eux avait déménagé dans un autre État. Une autre famille avait perdu trois de ses membres dans un accident de voiture le mois d’avant. Les employés des archives furent sollicités, de même que le personnel du registre électoral de l’État de New York. Ellmann s’assura le concours de quatre agents fédéraux, pour un rôle de supervision. Ils ne pouvaient pas utiliser leur propre base de données puisque les meurtres du Commémorateur ne relevaient pas d’un crime fédéral – c’est-à-dire espionnage, sabotage, enlèvement, braquage de banque, trafic de drogue, terrorisme, violations des droits civils et fraude fiscale. Toutefois, ces agents-là, braves types, travailleurs, mirent sur pied un système de vérification croisée qui permettait de recouper les bases de données entre elles, d’éliminer les noms et adresses qui faisaient doublon, de réduire le champ des recherches une première fois, puis deux, et de mettre un peu d’ordre dans le déroulement de l’opération. Sans eux, Irving se serait perdu.

Pourtant, le samedi 4 novembre, au petit matin, et bien qu’il eût réussi à obtenir une liste de cinq cent quarante-deux familles de six membres vivant dans les limites de la ville, toutes les personnes engagées dans l’opération savaient qu’il était impossible d’effectuer un maillage parfait. La liste était aussi complète que possible. Elle couvrait tout le territoire de la ville de New York. Irving et Farraday, soutenus par le directeur de la police et le cabinet du maire, avaient pour mission de prévenir ces gens-là du danger qui les guettait. Ou pas. Ils ne pouvaient pas être sûrs à cent pour cent. Mais, comme ne cessait de se le répéter Irving, n’importe quelle action, aussi mal exécutée fût-elle, valait mieux qu’une attente passive. Ellmann ne lâchait rien quant à sa décision concernant les journaux. Rien ne serait publié.

« Il y a onze ans de ça, dit-il à Farraday, on a eu une affaire du même genre. C’était avant que je sois directeur, mais mon prédécesseur vous en parlera volontiers. Un homme avait perdu sa femme et son enfant suite à une erreur médicale de la maternité. Elle était morte en couches, et le bébé avec elle, et le type était déchaîné contre le corps médical. Un peu le même genre d’histoire que notre tueur, avec une menace qui disait que si sa lettre n’était pas publiée dans la presse, il se vengerait sur les médecins. Alors un journal a publié sa lettre et les médecins ont commencé à se promener avec des pistolets. Dans les deux semaines qui ont suivi, il y a eu onze tirs de balle par des médecins. Ils se prenaient tout à coup pour une milice privée, vous voyez ? Et au moins six personnes innocentes ont été grièvement blessées. Je n’ai aucune intention de voir ce genre de choses se reproduire aujourd’hui. »

Farraday transmit le message à Irving. Ce dernier – assis à son bureau dans la salle des opérations, exténué comme jamais – comprit et salua le point de vue d’Ellmann, dont il partageait les craintes. Mais il avait toujours devant lui la perspective de coordonner l’opération consistant à avertir cinq cent quarante-deux familles qu’une menace planerait sur elles d’ici neuf jours.

« On fait tout ce qu’on peut, dit Farraday. On a obtenu l’autorisation de se répartir ces familles entre tous les commissariats impliqués. On va utiliser les véhicules de patrouille pour protéger ces gens dans leurs faits et gestes quotidiens. On va se débrouiller pour aller voir chaque foyer, parler à tous les chefs de famille et les alerter, afin qu’ils sachent que si quelque chose arrive dans la nuit du 13, ce sera une de nos priorités absolues.

— Il y a du pain sur la planche, commenta Irving.

— C’est titanesque. Je n’ai jamais vu une aussi grosse opération autour d’une seule affaire. Mais on fait le maximum. Je sais que vous avez bossé dur sur ce coup-là, et…

— Et il se peut encore qu’on soit passés à côté d’une famille, ou de six, ou de douze… Franchement, capitaine, j’ignore s’il existe un moyen de repérer toutes les familles qui correspondent à ces critères. Et si ce type avait dans son collimateur une famille de quatre, en sachant que dans la nuit du 13, papi et mamie vont débarquer à la maison et rester quelques jours…

— Ray… Ça suffit. Je vous arrête tout de suite. Vous avez fait de votre mieux. Cette opération se passera exactement comme prévu. Ces gens seront contactés. Ils vont peut-être choisir de quitter la ville pendant quelque temps…

— Et si on se gourait de A à Z ? Et si ça n’avait strictement rien à voir avec les meurtres de 1974 ?

— Ray, je veux que vous fassiez quelque chose pour moi. »

Irving leva les yeux.

« Je veux que vous rentriez chez vous et que vous dormiez un peu. Je ne vous parle pas d’un petit somme de deux ou trois heures, la tête sur le bureau. J’ai besoin de vous voir en meilleure forme. Rentrez à la maison et couchez-vous. Dans un lit, vous comprenez ? Allongez-vous sur un putain de lit et enchaînez sept, huit heures de sommeil. Vous feriez ça pour moi ?

— Mais…

— Allez, insista Farraday. Je vous ordonne de partir, et vous partirez. »

Il se leva.

« Rendez-vous demain matin. »

Farraday traversa la pièce jusqu’à la porte. « J’envoie quelqu’un d’ici un quart d’heure pour vérifier que vous avez bien quitté le bâtiment. »

Irving sourit. « J’y vais, dit-il. Je suis déjà en route. »

 

Sur le chemin du retour, Irving s’arrêta au Carnegie’s. Il avait l’impression de ne pas s’être retrouvé sur sa banquette, à boire son café en discutant de la pluie et du beau temps avec la serveuse, depuis des siècles. Il mangea un bout d’omelette. Pourtant il n’avait pas faim, l’appétit lui faisait défaut depuis plusieurs jours ; il savait que Farraday avait raison : il devait dormir. Et il devait parler avec Costello, et Karen Langley. Eux comprenaient peut-être mieux sa situation et les journées qui l’attendaient. Il ne demandait pas de la compassion – surtout pas. Mais il avait simplement besoin d’être près de ceux qui savaient ce qui se passait. Ils étaient devenus ses amis. C’était la vérité. Chacun à sa manière, ils faisaient de leur mieux pour changer les choses, et c’était une qualité rare, extraordinaire chez les humains. La plupart des gens n’y prêtaient pas attention, ou s’en foutaient, ou faisaient tout pour se convaincre que les aspects les plus obscurs du monde ne les atteindraient jamais…

Irving s’interrompit dans ses pensées et sourit.

Côté-Obscur.

Le surnom que Costello lui avait donné.

Il entendit alors la voix de Deborah Wiltshire, une phrase qu’elle répétait si souvent qu’il n’aurait jamais pu l’oublier.
Tu dois laisser les gens entrouvrir ta porte, Ray… Tu dois leur donner un peu de toi-même avant de recevoir quelque chose en retour…

À cet instant précis, il se demanda s’il serait encore le même homme lorsque cette histoire serait terminée.

Il en doutait fort et, d’une certaine manière, il espérait bien ne pas être le même homme.

55

  L
es sept jours qui suivirent, malgré le froid mordant qui semblait soudain enserrer New York, malgré les imminentes célébrations de Thanksgiving et l’approche de Noël, Ray Irving travailla entre dix-huit et vingt heures par jour. Il ne s’arrêtait jamais, ne ralentissait jamais. Il s’entretint avec Karen, avec John Costello, organisa des réunions avec Farraday, le directeur Ellmann, les agents du FBI, des policiers chargés de l’aider dans la division des tâches, usa jusqu’à la corde les inspecteurs Hudson et Gifford – à coups de vérifications, de revérifications et de visites auprès des familles. Puis l’inévitable se produisit.

M. David Trent, la quarantaine bien tapée, chômeur, marié, père de quatre enfants, le genre de type qui estimait que tout lui était dû, prit sur lui de vendre la mèche. Bien que l’inspecteur Vernon Gifford lui eût expliqué la situation et eût insisté sur le besoin de conserver un certain sang-froid devant la nature de ce qu’ils affrontaient ; bien qu’il lui eût rappelé que le secret était vital, que tout devait être fait pour empêcher une psychose face à un éventuel tueur en série… Malgré tous les efforts entrepris pour que M. Trent comprenne la situation, ce dernier téléphona aux journalistes du
New York Times
, se rendit au siège du quotidien et leur annonça que quelque chose se tramait.

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