Les Assassins (51 page)

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Authors: R.J. Ellory

Tags: #Thriller

BOOK: Les Assassins
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« J’ai engagé un détective privé », dit Grant.

Irving ouvrit de grands yeux. « Quoi ?

— Qu’est-ce que vous voulez que je fasse d’autre, bordel ? Ma fille est morte. Ma vie est un enfer, inspecteur. Un enfer absolu. En cinq mois, rien de nouveau. Mia est morte en juin et on est en novembre. Vous pouvez imaginer un peu… »

Grant baissa de nouveau les yeux. « Non, vous ne pouvez pas imaginer. Vous n’avez pas la moindre idée de ce que c’est que de perdre un enfant. »

Irving ne répondit pas.

« Alors j’ai engagé quelqu’un, et il a fait des recherches. Et non, elles n’ont mené à rien. Donc au moins je sais que vous n’êtes pas passé à côté de choses évidentes…

— Monsieur Grant, je vous assure que nous faisons tout ce que…

— Tout ce que vous pouvez. Bien sûr, inspecteur. J’ai entendu ça mille fois. Je ne veux plus jamais l’entendre. »

Il se leva et boutonna son manteau. Il n’était pas rasé, il avait les cheveux en bataille. Il portait des chaussettes dépareillées – une marron, l’autre noire – et le genre de chaussures qu’on met pour sortir les poubelles, pas pour aller au commissariat.

« Je vais vous demander de ne pas quitter la ville », dit Irving.

Grant fourra ses mains dans ses poches. Il haussa les épaules. « Où voulez-vous que j’aille, inspecteur ? Je n’ai
nulle part
où aller. Je veux que cette histoire se termine, plus que quiconque. Je veux savoir qui a tué ma fille et pourquoi.

— Je dois vous dire, monsieur Grant. Il arrive parfois que…

— Qu’on ne retrouve jamais le coupable ? C’est ça que vous voulez me dire ?

— Malheureusement, c’est la vérité.

— Je sais. Je suis avocat. Je passe ma vie à défendre des gens comme Desmond Roarke. Je vois les deux côtés de la médaille et parfois je me demande lequel est le pire. Ne le prenez pas mal, mais il m’arrive de tomber sur des dossiers où le travail d’investigation relève de l’amateurisme pur et simple… »

Il s’arrêta au milieu de sa phrase. « Je vais vous laisser, inspecteur Irving, avant que je commence à dire des choses que vous et moi allons regretter. »

Grant tendit la main. Irving la serra.

« Il faut que je rentre pour expliquer à ma femme qu’il n’y a rien de nouveau.

— Je suis navré, monsieur Grant. Profondément navré. »

Grant hocha la tête en silence.

« Au fait, monsieur Grant ? Quel est le nom du détective que vous avez engagé ?

— Roberts. Karl Roberts.

— Il est basé ici, à New York ?

— Oui. Je suis sûr que vous le trouverez dans l’annuaire. »

Irving raccompagna Grant jusqu’à la sortie, puis retrouva Gifford dans la salle des opérations.

« Amenez-moi Gregory Hill, lui dit-il. Où qu’il se trouve, quoi qu’il fasse, j’ai besoin de le voir tout de suite. »

60

  « O
n nous manipule… On nous manipule comme des pauvres marionnettes à la con », dit Irving.

Il s’affala sur le fauteuil qui faisait face à Gifford. Une patrouille avait été dépêchée au croisement de la 35
e
 Rue Est et de la 3
e
 Avenue afin de passer prendre Gregory Hill. Sur place, les TSC étaient partout, avec l’espoir d’y trouver quelque chose qui relierait Hill à Grant, ou vice versa.

« Il n’y aucun rapport entre Greg Hill et Anthony Grant. J’en suis sûr et certain. Notre amoureux des anniversaires a téléphoné à Desmond Roarke en se faisant passer pour Grant et lui a demandé de s’introduire chez Hill ce soir. Il a choisi une famille de six…

— Vous pensez qu’il n’y a rien de plus ? demanda Gifford. Qu’il a juste voulu nous faire savoir qu’il pouvait s’en prendre à une famille de six ? »

Irving ne dit rien. Il n’aurait jamais pu être aussi optimiste. L’homme à qui ils avaient affaire avait assassiné onze personnes – depuis la petite Grant jusqu’à l’inconnue aux chaussettes orange.

Il regarda sa montre. Bientôt 2 heures du matin. Le 13 novembre durerait encore vingt-deux heures. Il s’approcha du tableau au mur, étudia les visages des victimes, l’un après l’autre, et s’interrogea pour la millième fois sur la folie d’un individu qui s’estimait investi d’une mission aussi destructrice, aussi monstrueuse. Tel serait son legs, comme Shawcross, Bundy, Henry Lee Lucas et les autres – les trop nombreux autres.

« On a retrouvé l’identité de la dernière victime ? demanda Gifford.

— Non, on ne sait toujours pas qui c’est… Ça fait maintenant deux semaines. »

Le téléphone de la ligne interne sonna. Gifford prit l’appel. Il écouta, remercia son interlocuteur et raccrocha.

« Il est là, dit-il. Gregory Hill. »

 

Hill était encore sous le choc. Il faisait partie des centaines de personnes concernées par l’opération d’Irving. Contacté quelques jours plus tôt au sujet d’un danger potentiel que couraient sa famille et lui-même, il s’était montré particulièrement à l’affût de tout élément suspect autour de sa propriété. C’est cette vigilance qui avait causé la perte de Desmond Roarke : dès l’instant où Hill avait entendu un bruit près du garage, il avait appelé la police.

« Merci d’être venu jusqu’ici, lui dit Irving. J’imagine que ça a dû être une expérience traumatisante pour vous et votre famille.

— Une histoire de dingue. C’est le type que vous recherchiez ? Celui dont m’ont parlé vos collègues la semaine dernière ?

— On ne sait pas encore. Mais grâce à vous, au moins, on l’a arrêté. Nous vous remercions énormément pour votre coopération…

— Pas de quoi. Coupable ou non, en tout cas il essayait d’entrer chez moi par effraction. Si vous n’étiez pas passés me voir la semaine dernière pour m’en parler, pas sûr que je serais resté debout. Vous savez, c’est nous qui tenons à vous remercier. On est un peu secoués, mais contents d’avoir évité le pire.

— Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, monsieur Hill, j’aimerais vérifier quelques points avec vous. Ça peut attendre demain, mais je me dis qu’il serait préférable de nous débarrasser de ces petites formalités au plus vite pour que vous puissiez reprendre votre vie normale. »

Hill acquiesça.

« Anthony Grant », dit Irving.

Hill plissa le front. « Oui, eh bien ? »

L’expression d’Irving changea du tout au tout. « Vous connaissez un certain Anthony Grant ?

— L’avocat ? Cet Anthony Grant-là ? »

Irving regarda Gifford. Il ressemblait à un lapin pris dans les phares d’une voiture.

« Oui, l’avocat. Vous êtes en train de me dire que vous le connaissez, monsieur Hill ?

— Qu’est-ce que c’est que cette connerie ? Est-ce que cet enfoiré a un rapport avec ça ? Avec le type qui a essayé d’entrer chez moi ?

— Eh bien… Eh bien, on ne pensait pas, monsieur Hill, mais maintenant que vous nous dites que vous le connaissez… »

Hill se leva, puis se rassit. « Putain, qu’est-ce que ça veut dire ? Dites-moi ce qui se passe. Qu’est-ce qu’il vient foutre là-dedans, bordel de merde ?

— Calmez-vous, monsieur Hill, dit Irving, qui avait lui-même beaucoup de mal à rester calme. Expliquez-moi comment vous connaissez Anthony Grant. »

Hill croisa ses deux bras sur la table, se pencha et posa la tête dessus. « Quel fumier, marmonna-t-il dans sa barbe. Enfoiré de fumier…

— Monsieur Hill ? »

Il releva soudain la tête. Ses yeux étaient mouillés de larmes. « Il y a cinq ans, dit-il avec une colère sourde dans la voix. Il y a cinq ans, il a… Ma femme… Et merde ! Ce fils de pute !

— Il a fait quoi, monsieur Hill ?

— Il a eu une liaison avec ma femme, OK ? Ce connard d’Anthony Grant a eu une liaison avec ma femme. Voilà ce qu’il a fait. Il a failli foutre toute ma vie en l’air ! »

Irving adressa un signe de tête à Gifford. Ce dernier répondit de la même manière et se dirigea vers la porte.

Irving attendit d’être seul avec Gregory Hill pour se pencher vers lui, poser une main sur son bras et lui dire : « Racontez-moi, monsieur Hill. Racontez-moi exactement ce qui s’est passé. »

61

  I
l fallut près d’une heure avant qu’Irving, Gifford et Anthony Grant se retrouvent ensemble au commissariat n
o
 4. Grant était agité : on venait le chercher chez lui pour la deuxième fois. Même si on lui avait seulement expliqué qu’il devait répondre à quelques questions supplémentaires et que, non, ça ne pouvait pas attendre le lendemain matin, il s’était montré plutôt accommodant. Les coups de bluff et autres bravades qu’on entendait souvent sortir de la bouche des avocats avaient brillé par leur absence.

À 3 h 10 du matin, Ray Irving s’assit face à lui et lui posa une question simple qui modifia la couleur de son visage et fit perler une goutte de sueur sur son front.

« Dites-moi, monsieur Grant… Dites-moi qui est Laura Hill. »

Visiblement nerveux, Grant ouvrit la bouche et la referma aussitôt. Il regarda Irving, se retourna vers Vernon Gifford et demanda s’il avait besoin d’un avocat.

Irving fit signe que non. « On ne vous accuse de rien, Monsieur Grant. Pour le moment, on n’a aucune raison de vous accuser. Cependant, si vous ne me dites pas la vérité tout de suite, vous êtes bon pour entrave à l’exercice de la justice. Au minimum. »

Grant leva la main. « Dites-moi juste une chose. Est-ce que Greg Hill a un quelconque rapport avec ce qui est arrivé à ma fille ?

— Pourquoi une telle idée, monsieur Grant ?

— À cause de ce qui s’est passé avec Laura. Parce que j’ai eu une liaison avec la femme de Hill.

— Pourquoi n’en avez-vous pas parlé plus tôt, monsieur Grant ?

— C’est donc celle-là, la maison qui a été cambriolée ? Ce pour quoi j’aurais payé Desmond Roarke ?

— Vous êtes ici pour répondre à nos questions, monsieur Grant, pas pour en poser. Que s’est-il passé entre Laura Hill et vous ?

— Nous avons eu une liaison.

— Quand ça ?

— Il y a cinq ans. Un peu plus de cinq ans.

— Et combien de temps cette liaison a-t-elle duré ?

— Sept ou huit mois… Ça s’est terminé de façon houleuse.

— C’est-à-dire ?

— Son mari s’en est rendu compte et lui a foutu sur la gueule.

— Votre femme n’était pas au courant ?

— Non, elle n’était pas au courant. »

Grant ferma les yeux. Pendant quelques secondes, il eut l’air complètement bouleversé. « Evelyn n’a jamais su, j’en suis sûr. Mais je pense que Mia a pu le savoir.

— Qu’est-ce qui vous fait dire ça ?

— Mon intuition. C’était une petite fille intelligente, très intelligente, même. Un jour, je suis allé la chercher à l’école alors que je venais de passer un moment avec Laura Hill, et Mia m’a dit que je sentais le parfum. Je lui ai expliqué que ce devait être une cliente. Elle a rigolé et m’a répondu que j’étais décidément très proche de mes clientes. C’est simplement la façon dont elle me l’a dit… Voilà tout.

— D’où le fait que vous n’en ayez pas parlé plus tôt.

— Parlé de quoi plus tôt ? De ma liaison avec une femme ? Vous ne m’avez pas interrogé sur ce point et vous n’avez pas cité le nom de Greg Hill. Vous ne m’avez pas dit que c’était chez lui que vous aviez attrapé Desmond Roarke…

— Je ne vous l’ai toujours pas dit, monsieur Grant. »

Grant eut un sourire entendu. « Ne me racontez pas de salades, inspecteur Irving. Le simple fait que vous m’ayez interrogé sur Laura Hill indique que c’est chez eux que Roarke a voulu entrer par effraction… Sinon, qu’est-ce que son nom viendrait foutre là-dedans ? »

Irving hocha calmement la tête. « OK, dit-il. On va jouer cartes sur table, pour une fois. Desmond Roarke s’est fait arrêter alors qu’il essayait de s’introduire chez Gregory et Laura Hill. Vous allez me faire croire que vous ne savez rien de cette histoire ?

— Eh bien, oui, inspecteur. Je ne sais
rien
de cette histoire. Vous pensez que c’est moi qui ai demandé à Roarke de s’introduire dans leur maison ?

— C’est une possibilité, oui.

— Mais pourquoi donc ?

— Parce que vous pensiez que Hill avait peut-être un rapport avec la mort de votre fille… Et qu’il y avait des preuves chez lui.

— Attendez, ça va un peu loin. Vous pensez que Greg Hill a tué Mia ? Par vengeance, vous voulez dire ? Pour me faire payer le fait que j’ai couché avec sa femme ? Dans ce cas, pourquoi a-t-il attendu cinq ans ?

— Peut-être qu’il ne voulait pas l’assassiner ? Qu’il voulait l’agresser sexuellement et qu’il l’a tuée par erreur ? »

Irving vit Grant serrer et desserrer ses poings tout en prenant de longues inspirations, faisant de son mieux pour se calmer, se contrôler, contenir sa fureur et sa haine.

« Si Greg Hill… » Il s’interrompit, rouvrit les yeux et regarda Irving.

« Vous disiez qu’il frappait sa femme.

— Oui, il l’a tabassée plusieurs fois, inspecteur. Il l’a tellement cognée qu’elle pouvait à peine parler pendant quinze jours.

— Et elle a porté plainte ? »

Grant rigola. « Porté plainte ? Mais auprès de qui ?

— De nous. La police.

— Non, elle n’a pas porté plainte. Qu’est-ce que ça aurait changé ? Vous croyez que le problème aurait été réglé ? Son mari était fou de rage. Il a toujours été jaloux, mais quand il a découvert qu’elle le trompait, il a menacé de la tuer, et de me tuer…

— Sérieusement ?

— Bien sûr. Vous ne pensez quand même pas que j’invente tout ça ?

— Mais s’il la frappait, et menaçait de la tuer, et de vous tuer aussi… Est-ce qu’il ne vous paraît pas concevable qu’il ait été capable de tuer votre fille, même sans l’intention de le faire ? »

Grant ne répondit pas. Il regarda vers la porte. Lorsqu’il se retourna vers Irving, il avait les larmes aux yeux. « Concevable ? Je ne sais plus ce qui est concevable ou non, inspecteur. J’ai perdu mon seul enfant. Ma femme est dévastée, notre couple est en train de se déliter. Et maintenant, comme si ça ne suffisait pas, une liaison vieille de cinq ans va remonter à la surface…

— Vous craignez que votre femme l’apprenne ? »

Grant essuya ses yeux d’un revers de manche. « Vous ne croyez pas qu’elle a déjà suffisamment de problèmes comme ça ? »

 

À 4 heures du matin, c’était au tour d’Irving de se déliter. Il était assis à son bureau de la salle des opérations. Hill et Anthony Grant étaient rentrés chez eux, invités l’un comme l’autre à ne pas quitter la ville et à se tenir prêts pour de nouvelles questions.

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