En juin 1964, Gerard Schaefer obtient son diplôme de Saint Thomas Aquinas. Leur relation est au beau fixe et le jeune homme part en vacances avec la famille Steward. Sandra le qualifie d’« amant enthousiaste et d’une grande sensibilité ». A son retour, il décide de devenir prêtre et veut entrer au séminaire de Saint John’s, à West Coral Gables, où il est recalé. On estime, selon ses dires, « qu’il n’a pas la foi ». En tout cas, pas suffisamment. « J’ai pensé que c’était profondément injuste. » Dépité, il s’inscrit en septembre 1964 sans grand enthousiasme à Broward
Community College où ses performances scolaires, toujours excellentes jusqu’alors, tombent à un niveau très médiocre. Il suit peu les cours, préférant ses parties de chasse en solitaire dans les Everglades. La relation amoureuse entre « John » et « Sandy » vire à la thérapie, Schaefer lui confiant de plus en plus ses problèmes psychologiques : « Il y a deux choses intéressantes au sujet de la maison de la mère de Gerard Schaefer. Deux portes plus loin, dans cette même impasse, vous allez voir une demeure à deux étages alors que toutes les autres maisons ne comportent qu’un seul niveau. C’est là que sa voisine Leigh Hainline se déshabillait le soir dans sa chambre, une scène que Schaefer observait de manière obsessionnelle. A ses yeux, elle le provoquait par cette habitude qu’il interprétait comme un “message” qui lui était adressé personnellement. Un jour, il était en train de nettoyer le bateau qu’il utilisait pour ses excursions en mer dans le jardin lorsqu’il a pointé le doigt en direction du domicile de Leigh Hainline : “Un de ces quatre, je vais y mettre un terme de manière définitive.” Je me souviens encore très bien de l’expression de son visage, à ce moment-là, un mélange de concupiscence et de rage. Schaefer n’était pas heureux d’assister à un tel spectacle, ce n’était pas du simple voyeurisme, il était rempli de colère et écarlate. C’était la première fois que je voyais cet aspect de sa personnalité. Lui était un “bon garçon” et ces “créatures diaboliques” tentaient de le faire sortir du droit chemin. En 1989, je me décide à contacter Schaefer car j’ai
dans l’idée d’écrire un ouvrage sur nos relations adolescentes et la “naissance” d’un serial killer. Je téléphone à la police de Fort Lauderdale pour savoir si une femme a été assassinée dans la rue où il vivait. Je pensais bien évidemment à Leigh Hainline. Ils m’ont dit que non. J’ignorais par contre qu’elle avait changé de nom après son mariage. Et qu’elle avait disparu sans laisser de traces. En 1973, lors de la fouille de la maison de la mère de Schaefer, on a découvert un médaillon gravé avec le prénom “Leigh”. Seize ans plus tard, quand je lui ai demandé des explications, sa réponse a été ridicule. Leigh se droguait et il lui aurait donné de l’argent en échange de ce médaillon, afin qu’elle puisse s’acheter sa dose.
« En prison, Schaefer a écrit une nouvelle, “Gator Bait”, pour m’expliquer ce qui s’était passé avec Leigh Hainline, qui est l’une de ses premières victimes. Mais, en 1965, il m’avait fait une autre confession à ce sujet pendant que nous étions ensemble ici, à Fort Lauderdale. A cette époque, Schaefer conduisait un break
Ford vert et, presque tous les jours, il passait devant la première maison, à l’entrée de cette impasse, où, dans le jardin, une femme en bikini se faisait bronzer. Ce qui n’est pas inhabituel en Floride, bien sûr. Mais pour Schaefer, c’était une provocation qui lui était destinée, un message du Malin. Cette femme était une “pute” qu’il se devait de tuer. Dans son véhicule, il a mis son fusil, un drap et des blocs de béton. Comme il connaissait les heures de passage des éboueurs, il voulait attendre qu’elle sorte ses poubelles pour l’assommer et, une fois enveloppée dans le drap, revenir jusqu’au domicile de sa mère. A l’arrière de la maison, il y a ce canal qui débouche sur la mer, le bateau qu’il utilisait y étant amarré. »
Comme il l’explique à son amie d’alors, il en veut à sa voisine : « Son plan aurait été d’embarquer cette femme inconsciente pour partir vers les Everglades. Là, à l’écart de toute habitation, Schaefer l’aurait attachée aux blocs de béton, avant de lui tirer une balle dans la tête. Et il a terminé sa diatribe en affirmant qu’elle serait de “la nourriture pour les alligators avant le lever du jour. Pas de corps, pas de crime”.
« N’oubliez pas qu’à cette époque, Schaefer n’avait que 19 ans. Un soir, il s’était garé devant la maison de cette voisine pour mettre son plan à exécution. Mais, en fait, son père est arrivé à ce moment-là pour se garer près de son fils, en lui demandant ce qu’il faisait là. Du coup, il a renoncé à l’assassiner. »
Sondra London est un témoin privilégié des relations tourmentées qui agitent la famille Schaefer puisqu’elle fréquente tous les jours la demeure du 2716 SW 34th Avenue : « La famille de Schaefer était ce que l’on appelle une “bonne famille”, des catholiques pratiquants, inscrits aux clubs de yachting et au golf local. John allait à la messe sept jours sur sept. C’était un excellent joueur de golf. Une part de lui était féminine, cela m’a toujours paru évident. J’avais été très attirée par lui, il a été le premier homme avec qui j’ai fait l’amour, et le sexe était tout ce qu’il y a de plus normal entre nous. Au fur et à mesure de notre relation, j’ai vu une autre facette de sa personnalité commencer à émerger. Je me souviens d’un moment très fort où il s’est agenouillé devant moi en me déclarant : “Que puis-je faire pour te plaire ? Dis-le-moi.” Et je me rappelle m’être sentie révulsée par son attitude. J’avais envie de lui répondre : “La première chose que tu puisses faire, c’est de te relever et de te conduire comme un homme.” A partir de cet instant, il a beaucoup perdu de sa virilité pour
moi, je ne le trouvais plus du tout aussi “masculin”. Ce fut un tournant dans notre relation, car je me suis moins intéressée à lui d’un point de vue sexuel. John adorait être dehors dans la nature, il aimait beaucoup que je l’accompagne dans ses parties de chasse ou de pêche, dans des soirées dansantes et au cinéma. Mais, au fil des mois, je l’ai senti se désintégrer. J’étais passée du rôle de petite amie à celui de thérapeute. Il voulait à tout prix que je l’aide. Moi, j’avais 18 ans et surtout envie de m’amuser. Nous avions l’habitude de nous allonger sur la plage le soir venu. Un jour, nous étions assis la serviette autour des épaules, et il s’est complètement effondré devant moi. Nous étions en 1965, il avait 19 ans, et il m’a avoué qu’il avait ce “besoin irrésistible de tuer des femmes”. Avec le temps, il faut remettre les choses en perspective. Nous étions jeunes, nous avions l’habitude de “déconner” et de dire n’importe quoi. Je manquais d’expérience, j’étais naïve, encore une mineure, presque une enfant. Dans mon esprit, je n’ai pas cru une seule seconde que je me trouvais face à un tueur. J’ai juste pensé que cela m’ennuyait profondément. Je n’étais pas là pour l’écouter parler et se lamenter sur ses problèmes. Je n’avais pas du tout peur, c’est juste que “tout ça” m’emmerdait. Plus je le voyais et plus je m’apercevais que sa part féminine prenait le dessus. »
Au début de l’année 1965, Gerard Schaefer tente d’assassiner son père à coups de club de golf dans le garage de la maison familiale. « J’étais présente lors de cette scène, se souvient Sondra London. Il s’est
précipité sur lui. J’ai pu le retenir au tout dernier moment, alors qu’il l’avait déjà frappé à plusieurs reprises à la tête. Sinon, je suis sûre qu’il l’aurait achevé. Il en avait toujours après lui et, entre eux, c’étaient de violentes disputes. Son père qualifiait son épouse de “pute”, et cela John ne le supportait pas. Il détestait que l’on dise du mal de sa mère qui était une sainte à ses yeux. Le père de Gerard avait été fait prisonnier par les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale, chose qui l’avait beaucoup traumatisé, au point de le faire sombrer dans l’alcoolisme. Parfois, il se réveillait la nuit et commençait à étrangler sa femme. John avait une relation très spéciale avec sa mère. Lors de soirées, je les ai vus danser joue contre joue. On aurait dit un couple d’amoureux. D’après ce que John aurait révélé à certains psychiatres en 1973, il a été autorisé à dormir dans le lit de sa mère jusqu’à l’âge de 16 ans, soit tout juste deux ans avant que je ne fasse sa connaissance. Je pense qu’il a développé ses tendances nécrophiles en couchant dans le lit de sa mère qui était souvent ivre
morte. Elle était alors complètement inconsciente et John se satisfaisait sexuellement sur elle à ces moments-là, sans qu’elle s’en aperçoive. Il devait être partagé entre l’excitation sexuelle et un sentiment de honte. Dans son esprit, la culpabilité et l’excitation étaient étroitement liées. »
Sandra Steward supporte de moins en moins de devenir la confidente de son amant qui est constamment agité de crise de larmes et qui ne sait plus comment gérer ses envies de tuer des femmes. « Au moment de notre séparation, j’avais pas mal d’amis masculins qui, tous, le détestaient. Ils ont “comploté” pour me présenter à un lycéen dont le charme m’a complètement envoûtée. Ils avaient senti dans la personnalité de Schaefer quelque chose de malsain que, moi-même, trop naïve, je n’avais pas perçu. Au fil des mois, notre relation s’était détériorée. Sept années plus tard, John prononcera ces mêmes paroles à l’adresse de Nancy Trotter et de Pamela Sue Wells qui parviendront à échapper à ses griffes. Des années plus tard, je lui ai demandé pourquoi il avait renoncé à son plan. Il est resté silencieux un long moment puis il a pris un stylo et du papier pour écrire cette courte nouvelle, “Gator Bait”. Un jour, il a pénétré par effraction chez la voisine pendant qu’elle était allée à un rendez-vous. John l’a attendue pendant plusieurs heures et lorsqu’elle est rentrée, elle a embrassé son compagnon qui est reparti. Pour Schaefer, elle s’était comportée comme une “pute” et méritait une punition. Une fois
à l’intérieur, il l’a frappée avant de lui uriner dessus et d’écrire
whore
(“pute”) au rouge à lèvres sur son corps. Je dois dire qu’à partir de cet instant, je n’arrivais plus à l’apprécier, voire même à l’aimer. Il me dégoûtait, même si la séparation ne fut effective que quelques semaines plus tard.
« A cette époque, Schaefer souhaitait devenir un golfeur professionnel et il était aussi un excellent tireur de ball-trap. Mais il n’a pas réussi et il a décidé de suivre des études de droit afin d’obtenir un diplôme de criminologie. En parallèle, John a suivi des cours d’écriture à l’université de Floride avec un auteur, Harry Crews, connu pour signer des romans de “Southern Gothic”
1
. Schaefer avait pour livre de chevet
Psychopathia Sexualis
de Krafft-Ebing. Il s’intéressait beaucoup à toutes les formes de déviances, se passionnait pour les exécutions et, en particulier, la pendaison. Dès l’âge de 10 ans, John dévorait tous les livres sur le nazisme et leurs exécutions de masse en Russie ou ailleurs, surtout lorsqu’il s’agissait de femmes pendues. Il était passionné par le cas de William Heirens, surnommé “The Lipstick Killer”. »