The Setting Lake Sun (4 page)

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Authors: J. R. Leveillé

BOOK: The Setting Lake Sun
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— Excusez-moi, j'ai été surprise de vous voir là et de vous reconnaître, et je ne vous ai pas salué convenablement.

— Moi non plus. 

Et j'ai commencé à rire.

— Ah ! ma petite Métisse, a-t-il ajouté.

*

I don't believe I knew his last name at that time. Normally I would have addressed him as Mister, especially since he was older than I was.

But I was so surprised.

“I'm sorry, I was surprised to see you there and to recognize you, so I didn't say hello properly.”

“Neither did I.”

And I started to laugh.

He said, “That's my Métis girl.”

17

— Mais vous ne me demandez même pas si je le suis.

— Vous me l'avez confirmé l'autre soir au vernissage.

— Même alors vous l'avez affirmé.

— Mais vous l'êtes.

Il ne souriait pas, mais le sourire était partout sur son visage.

Normalement j'aurais été un peu gênée et j'aurais baissé les yeux. Car personne auparavant ne m'avait appelée Métisse sans provoquer chez moi un sentiment de honte.

*

“But you haven't even asked me whether I am or not.”

“You confirmed it the other night at the opening.”

“Even then you decided for yourself.”

He wasn't smiling, but there was a smile all over his face.

Normally I would have been self-conscious and lowered my eyes. Until then no one had ever called me a Métis without making me feel ashamed.

18

La foule du midi commençait à envahir le parc. Certains pour manger leur sandwich, d'autres pour se promener par cette belle journée de printemps.

— C'est dommage pour la fontaine, ai-je dit.

— Je ne trouve pas. Il y a une beauté dans l'incomplet.

Je ne sais pourquoi, je me sentais alors comme si j'avais le corps d'une jeune fille. Comme celui de cette enfant qui se promenait avec sa mère.

*

The lunchtime crowd was starting to invade the park, some to eat their sandwiches and others to take a walk in the spring sunshine.

“It's too bad about the fountain,” I said.

“I don't think so. What is incomplete has a certain beauty.”

I don't know why, but at that moment I felt as if I had the body of a young girl, a child walking along with her mother.

19

— Vous croyez ?

— Non, je le sais, a-t-il précisé tout simplement.

— Qu'est-ce qui vous fait dire cela ?

— Tout.

Puis je me suis souvenue de mon rêve et tout est rentré dans l'ordre. C'était une ordonnance dont j'ignorais les clés. Mais un grand apaisement est descendu sur moi.

*

“Do you really think so?”

“No, I know it,” he stated simply.

“What makes you say that?”

“Everything.”

Then I remembered my dream and it all fell into place. It formed a pattern to which I lacked the key, but a great feeling of peace came over me.

20

Nous avons dû nous quitter peu après. Il m'a laissé entendre qu'il était appelé ailleurs.

Il portait de vieux jeans tachés de peinture, des bottes de travail, un t-shirt blanc. Je n'avais pas remarqué la première fois à quel point ses cheveux grisonnaient.

— Tu n'es pas mélancolique aujourd'hui, a-t-il dit en me quittant.

*

He had to leave shortly afterwards. He told me he had obligations elsewhere.

He was wearing an old pair of jeans with splotches of paint on them, construction boots, and a white T-shirt. The first time we'd met I hadn't noticed how much grey there was in his hair.

“You aren't sad today,” he said as he left.

21

J'ai pris sa place sur le banc. Je suis restée assise là un long moment dans une espèce de stupeur bienveillante.

Je ne sais pas au juste quel effet me faisait cet homme. Lorsque ma sœur me rendait heureuse, j'avais un sentiment de jets rosés. Quand j'étais bien avec ma mère, je percevais une nuée bleuâtre. Avec Ueno, j'étais envahie par une espèce de blancheur transparente.

Je me suis rappelé la fois, peut-être la seule avant qu'il nous quitte, où j'ai accompagné mon père à la pêche : les reflets argentés des poissons dans l'eau claire.

*

I took his place on the bench. For a long while I remained sitting there in a sort of blissful trance.

I couldn't say exactly what effect this man had on me. When my sister made me happy, I felt rose-coloured spurts. When I was getting along well with my mother, I had a sense of blue mist. With this old man I was filled with a kind of transparent whiteness.

I had a memory of the silvery reflections of fish in clear water from the time, perhaps the only time, that I'd gone fishing with my father before he left us.

22

Ce soir-là, j'ai dîné chez ma mère avec ma sœur. Une grande torpeur s'est emparée de moi et je me suis endormie à table.

— Dors-tu, Angèle ?

— Mm-hmm…

Sans que je sois fatiguée, tout mon être était assoupi. Pas seulement mon corps, mon esprit aussi.

Je suis allée m'étendre sur le sofa.

— Elle a dû trop fêter hier soir…

Je les entendais parler avec tant de légèreté et d'intimité dans la cuisine.

Je ne faisais pas l'effort de les écouter, mais j'aimais les entendre. Je m'étais fixée sur le charme et le rythme de leur conversation pour m'assurer que, bien que consciente, j'existais.

*

That evening I went to have supper at my mother and sister's place. I was overwhelmed by lethargy and was practically falling asleep at the table.

“Are you asleep, Angèle?”

“Mm-hmm...”

Even though I wasn't tired, my entire being had become drowsy. Not only my body but my mind as well.

I went and lay down on the sofa.

“She must have celebrated her acceptance to architecture school too hard last night...”

I could hear the two of them talking in the kitchen, a soft, intimate murmur.

I made no effort to listen to what they were saying, but I liked hearing their voices. I focussed on the grace and rhythm of their conversation to reassure myself that, although barely conscious, I existed.

23

Le lendemain, je devais donner un coup de main à mon ami Aron qui préparait une installation au centre Artspace.

Je m'étais fait une tasse de café que je terminais et j'étais sur le point de partir quand ma mère est apparue dans la cuisine. Elle avait la tête tout ébouriffée, d'un beau marron. Elle m'a demandé :

— Tu as bien dormi ?

Je ne sais pas pourquoi, j'ai répondu :

— Oui.

C'était la vérité en somme.

— Tu m'excuses, il faut que je me sauve. Je suis en retard.

*

I had promised to help my friend Aron Levi mount an installation at Artspace the next morning.

I was finishing the cup of coffee I'd made myself and was about to leave when my mother came into the kitchen with her beautiful chestnut-coloured hair all tousled.

“Did you sleep well?” she asked me.

I don't know why I answered, “Yes.”

But it was the truth.

“I'm sorry, I've got to run. I'm late.”

24

Je lui ai raconté cette espèce de nuit sans sommeil que je venais de passer. J'avais l'impression d'avoir entendu ma mère et ma sœur parler jusqu'aux petites heures du matin, et je me sentais très reposée.

— Je sais, dit Aron. On ne s'en rend pas compte. On croit mal dormir ou rêver toute la nuit. Le matin arrive et on est bien endormi. On a besoin d'un bon café. Et finalement on se sent très bien dans sa peau. Au fond, on entre dans une autre dimension. Le quotidien qui nous entoure se ressemble. Au début, on n'en est pas conscient, mais après coup on voit que quelque chose a changé. Comme si on devenait plus spirituel, un peu plus « esprit », un peu plus fantôme. Cela se passe dans notre corps, il semble y avoir eu une modification moléculaire. Tu veux une autre tasse de café ?

*

I told Aron about the sort of sleepless night I'd just had. I retained an impression of having heard my mother and sister talking into the wee hours, but I felt very well rested.

“I know what you mean,”said Aron. “It's hard to explain. You think you've slept badly or spent the whole night dreaming. When morning comes you're dead to the world. You need a good, strong coffee. Then finally, after all, you feel really good to be alive. Basically, you've entered another dimension. Although the day-to-day world around you looks the same and at first you're not aware of it, you suddenly realize that something has changed. As if you've become more ghostly, more spirit-like. The shift takes place in your body and there seems to have been a change at the molecular level. Would you like another cup of coffee?”

25

J'aimais bien Aron. Parfois je trouvais qu'il exagérait, il avait toutefois une façon innovatrice d'interpréter les choses.

À ce moment, je me suis souvenue d'une bribe de conversation que j'avais eue le soir du vernissage avec Ueno Takami en regardant un des tableaux.

— Beaucoup de gens, disait-il, croient que l'interprétation et même l'expression sont subjectives. C'est tout le contraire. C'est l'objectivité même qui se rend manifeste.

*

I was very fond of Aron. He exaggerated sometimes, but he had an original way of looking at things.

At that moment I recalled a small bit of conversation I'd exchanged with Ueno Takami while looking at one of the canvases the night of the Cree artist's opening.

“Many people,” he'd said, “believe that interpretation and even expression are subjective. But what's going on is just the opposite. It's objectivity itself that is being manifested.”

26

— Comme si l'univers entrait dans notre corps et menait une vie à elle à l'intérieur de nous ?

Aron a hoché la tête en versant le café.

Puis j'ai pensé qu'Ueno aurait dit : Non ! pas « comme si ».

D'où me venait cette certitude qui ressemblait à une voix au sommet de mon crâne ?

*

“As if the universe entered our bodies and led a life of its own inside us?” I said.

Aron nodded his head as he poured the coffee.

And the thought came to me that Ueno would have said, No! not “as if.”

Where did I get this certainty that seemed like a voice in the back of my head?

27

Les œuvres d'Aron ressemblaient à un vaste champ semé de poteaux totémiques. Il croyait que mon ascendant génétique était magique et il voulait que ma présence inspire son installation. Il avait souvent fait appel à moi au cours de la préparation. Il trouvait que j'avais une beauté inhumaine. « C'est plastique », disait-il.

Les totems étaient composés essentiellement de ces tiges de métal qu'on utilise dans le béton armé. Il y avait enfilé des flotteurs de bois. Il les avait tous ramassés sur les berges du grand lac Manitoba. « Là où ta famille fait la pêche », disait-il en me taquinant. L'usure, la forme, l'âge de fabrication constituaient pour lui des variantes tout aussi chargées de sens que les figures légendaires des grands cultes. Il avait aussi taillé des branches ou de jeunes troncs qui arboraient une présence spiralée à la Brancusi.

Brancusi est un sculpteur qui m'a donné d'extraordinaires idées d'habitation.

Le bois, le fer atteints par les éléments.

J'ai appris qu'au Japon il y a une expression,
wabi-sabi
, qui fait allusion au processus naturel des choses.

— Les choses qui ont la qualité
wabi
ou
sabi
, disait Ueno, sont faites de matériaux et d'éléments qui sont visiblement affectés par le temps et le traitement humain.

— Comme une patine.

Je songeais à ses vieilles bottes de travail.

— Oui. Les choses
wabi-sabi
sont le registre tangible du passage et de l'effet de l'air, du vent, du soleil. La rouille, la décoloration, la déformation, les fissures en sont les caractéristiques essentielles. Pourtant ces choses possèdent un caractère irréductible.

Il me semblait aussi que cette exposition à l'affiche du début de mai à la fin de juin clôturait bien le printemps. Aron était ravi.

De mon côté, j'avais le sentiment que les événe­ments se condensaient autour de moi.

*

Aron's artworks looked like totem poles scattered across a broad field. He believed that magic was my birthright and he wanted my presence to inspire the work of installing them. He had often called upon me as he readied his show, because he considered me to be paranormally beautiful. “Such marvellous formal qualities,” he'd say.

He used rebar to construct his totems. On the metal stems he threaded wooden floats which he had gathered along the shores of Lake Manitoba. “Where your family does its fishing,” he said to tease me. The shape, the origin, the weathering of these artifacts were to him as charged with meaning as the variations in the mythic figures of major religions. He had also carved branches or slender tree trunks to create a spiral effect, reminiscent of the sculptures of Brancusi.

Brancusi inspired in me some extraordinary notions about dwellings. Wood and iron worked over by the elements.

Ueno told me that in Japan they use the expression
wabi-sabi
to refer to the natural changes in material things.

“Materials have a
wabi
or
sabi
quality,” Ueno explained, “when they have been visibly affected by use or the passage of time.”

“Like a patina.”

At the time I was thinking of his old construction boots.

“Yes. Objects that have
wabi-sabi
are a physical record of the effects of air, wind and sun. These objects have a fundamental character. Yet rust, fading, cracks and alterations in their shape are essential characteristics.”

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