The Setting Lake Sun (9 page)

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Authors: J. R. Leveillé

BOOK: The Setting Lake Sun
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I finally decided on an outfit.

But the next morning I totally changed my mind. I put on my sneakers, a pair of tights and a little black dress. Very fashionable, after all, but casual.

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Malgré mon excitation, j'ai dormi assez tard. Une fois réveillée, ç'a été une espèce de frénésie. Je dis ça maintenant. Jamais je ne m'étais sentie de cette façon. Je l'ignorais alors. Ou bien, non, je le savais. Tout cela s'enregistrait dans un coin de ma conscience.

J'ai fait jouer des pièces de musique que j'aimais, des pièces de Scarlatti pour piano. Ma mère était excellente pianiste, comme je l'ai dit, bien qu'elle n'ait jamais fait carrière, et le goût de la musique m'est resté. Mon com­portement était débordant comme le rythme des notes. Je tentais de faire plusieurs choses à la fois. Me brosser les dents. Faire des toasts. Choisir les vêtements. Préparer le café. Téléphoner. Trouver ma montre.

C'est dans ce tourbillon que j'ai fini par m'habiller comme je l'ai fait.

Allais-je prendre le vélo, l'autobus… pour me rendre chez Rinella ? J'ai finalement eu suffisamment de présence d'esprit pour décider de marcher et de me calmer un peu.

La journée était magnifique. Elle laissait une impres­sion de velours au passage. Le printemps était exceptionnel cette année-là.

*

Despite my excitement I slept in quite late. Once I finally awoke, I went into a kind of frenzy. At the time I was unconscious of it. Or rather, no, I knew it. It was all being recorded in a corner of my mind.

I put on some music I loved, pieces for the piano by Scarlatti. My mother was an excellent pianist, as I've mentioned, although she had never made a career of it, and a taste for music remained with me. I bounced about like the rhythm of the notes. I tried to do too many things at once. Brush my teeth, toast the bread, choose which clothes to wear, make the coffee, telephone, find my watch.

It was in the midst of this whirlwind that I finally got dressed as I did.

Would I take my bicycle or the bus over to Rinella's? I eventually managed to summon enough presence of mind to decide to walk and calm myself down a little.

It was a magnificent day. It was like walking through velvet. Spring was exceptionally beautiful that year.

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Avec tout cela, je suis arrivée chez l'imprimeur bien avant midi. J'étais un peu gênée, mais rien ne m'aurait empêchée d'y mettre les pieds aussi tôt. Je crois bien qu'une fois à l'intérieur, je ne devais pas paraître écervelée. Je voulais avoir l'air bien réservée.

Je suis entrée par la porte arrière, en habituée, près du poste de Sara. Il n'y avait personne là. Tous les autres employés vaquaient à leur tâche. Ça bourdonnait. Ça sentait l'encre.

Puis Frank m'a aperçue.

— Angela ! Viens prendre un petit cappucino. Nous sommes à l'avant dans le bureau.

Il me semblait flotter en traversant l'atelier. À ce moment, il n'y avait plus que cette nappe de machines, engins bizarres et fantomatiques, uniquement discernables à leur bruit et à cette extraordinaire odeur d'encre qu'ils dégageaient.

J'ai eu ce doute : Jamais on ne pourra détecter le parfum que j'ai choisi.

*

Despite my late start, I still arrived at Rinella's early, well before noon. I felt a little shy, but wild horses couldn't have prevented me from going in. I hoped that once I was inside I wouldn't look too scattered. I wanted to appear completely composed.

I went in by the rear entrance, like a regular, close to Sara's station. She wasn't there. All the other employees were going about their work. It was buzzing with activity. The place smelled of ink.

Then Frank spotted me.

“Angela! Come and have a cappuccino with me. We're up front in the office.”

I felt like I was floating as I crossed the shop. In that instant, I saw only the huge field of machines, strange and fantastic devices distinguishable only by virtue of their noise and by the extraordinary smell of ink they threw off.

I had one regret: It would be impossible to smell the perfume I'd chosen.

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En rentrant dans le bureau de Frank, j'ai vu Ueno et Sara penchés sur des épreuves d'images et de textes. Ils ont levé les yeux quand ils nous ont sentis entrer et ont tourné simultanément la tête vers nous.

— Ah, Angèle ! a fait Sara, tout simplement.

— Quelle belle surprise, a dit Ueno. Frank m'a averti qu'il y aurait de la visite aujourd'hui, je ne pouvais m'imaginer… Ta chevelure en queue de cheval, ça te va très bien. Et j'aime tes baskets.

Ueno portait un t-shirt marron, une vieille veste en lin kaki décolorée, des jeans et ses bottes de travail.

Il m'a serré la main de telle façon que j'en ai perdu le souffle.

*

As I entered Frank's office I saw Ueno and Sara huddled over the proofs of illustrations and text. They raised their eyes when they felt us come in and simultaneously turned their heads to us.

“Ah, Angèle!” said Sara, quite simply.

“What a wonderful surprise,” said Ueno. “Frank told me there would be a visitor today, but I never imagined... You look good with your hair in a ponytail. And I like your shoes.”

Ueno had on a reddish-brown T-shirt, a jacket of faded khaki linen, jeans and his work boots.

He shook my hand in a way that left me breathless.

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Je l'ai salué, timidement, mais avec un plaisir visible, il me semble. J'ai embrassé Sara, et Frank m'a préparé un cappucino.

— Comment te portes-tu ? a ajouté Ueno. Et il a en­chaîné, en se retournant vers la table de travail : « Nous terminons un petit quelque chose et on prend une pause. »

— Ne vous dérangez pas pour moi, ai-je dit. 

« Pas du tout », c'est ce que j'imaginais entendre – une politesse –, mais il a bien dit :

— Au contraire.

Je ne sais pourquoi, j'ai dit une banalité en prenant une gorgée de café :

— Ce sont vos poèmes ?

— Oui. Vous allez les traduire.

*

I said hello, timidly, but with a pleasure that must have been plain for all to see. I kissed Sara and Frank prepared a cappuccino for me.

“How are you?” Ueno asked. Turning back to the work table, he continued, “We'll just finish up this one little thing and then we'll take a break.”

“Don't stop on my account,” I said.

“Not at all,” is what I expected to hear—a mere politeness—but instead he said, “On the contrary.”

I don't know why, but I blurted out a platitude, something like, “Are those your poems?”

“Yes. And you're going to translate them.”

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Frank m'a regardée avec un air d'émerveillement et un petit signe italien qui, j'imagine, voulait dire : Hé ! hé !

Moi, je suis restée abasourdie, ne sachant quoi répliquer. J'entendais les voix d'Ueno et de Sara comme une rumeur lointaine. Je voyais un échafaudage de feuilles couleur de papier bible, les caractères dansaient comme tant de lucioles noires.

C'est beaucoup dire que je pensais m'évanouir. Il reste que, soudain, je me suis retrouvée dans la pénombre, devant moi une petite lanterne allumée.

*

Frank looked at me in wonder and made a small Italian gesture that I suppose means, Hey, hey!

As for me, I was dumbfounded, with no idea what to say. I heard the voices of Ueno and Sara run on like a distant hum. I could see a welter of sheets the colour of India paper, and letters swarming like black fireflies.

I would be exaggerating if I said I thought I would faint. But I suddenly found myself engulfed in a kind of darkness, with a small lantern shining out before me.

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Puis cela a passé. Nous avons en effet pris une pause. Ueno est sorti dans la rue et a acheté des hot-dogs à un marchand ambulant. Puis nous avons mangé dans le bureau. Frank est allé chercher une de ses cruches de vin.

— Du vin de riz ? a demandé Ueno en plaisantant.

— À peu près, a répondu Frank.

Moi, je regardais les deux ou trois poèmes dont on avait tiré les épreuves. Le caractère était simple et stylisé à la fois, on le voyait. L'effet par contre avait quelque chose de primitif, de fait à la main. Frank a expliqué que c'étaient toutes d'anciennes lettres de plomb comme il ne s'en fabriquait plus. L'œil et le corps variaient donc légèrement de l'une à l'autre. Ueno lui a dit : « Il y a de la beauté dans l'imparfait. »

Et à moi penchée sur le texte : « Tu vas les traduire. » Il a dit cela avec la même certitude que la première fois que je l'ai rencontré et qu'il a dit : « Toi, tu es Métisse. » Sans exclamation, sans question. Avec la confiance de celui qui sait. Une espèce de science infuse.

— Oh non ! je ne peux pas. Je n'ai jamais fait ça. Je n'ai pas les aptitudes.

— Oui, vous le pouvez.

— Qu'est-ce qui vous fait dire cela ?

— C'est en raison de votre double nature.

— Vous parlez français. Vous devriez le faire vous-même.

— Tu sais…

Il passait du
tu
au
vous
lorsqu'il m'adressait la parole. Je ne sais pas s'il s'en rendait compte ou si, comme il disait :

— … ma maîtrise de la langue n'est pas si grande.

— Moi non plus. Je n'ai pas de compétences particulières et…

— Non, non. Je sens que tu vas le faire. Tu t'intéresses aux arts, à la littérature, à l'architecture ; et la traduction, c'est une espèce d'édifice.

— J'aime beaucoup celui-ci.

— Ah ! le poème des oies et des grenouilles. Pourquoi ?

— Parce qu'il me ressemble.

*

Then it passed. They did actually take a break. Ueno went out on the street to buy hot dogs from a vendor's wagon. We ate them in the office. Frank brought us one of his jugs of wine.

“Rice wine?” Ueno asked him jokingly.

“Almost,” replied Frank.

I was looking at the two or three poems of which proofs had been printed. The lettering was at once simple and stylized, that was clear. But it produced a somewhat primitive look, of something handmade. Frank explained that they had used old-fashioned lead type of a kind that was no longer manufactured. As a result, there were slight variations from letter to letter in the opening and the body. Ueno told him, “There is beauty in imperfection.”

Then he leaned over to me and gently repeated, “You're going to translate them.” He said it with the same certainty as the first time I met him when he said, “You're Métis, aren't you?” Not an exclamation, nor really a question. With the confidence of one who knows. A sort of innate knowledge.

“Oh, no. I've never done that kind of thing. I have no talent for it. I couldn't.”

“Yes, you can.”

“What makes you say that?”

“It's because of your dual nature.”

“You can speak French. You should do it yourself.”

“You know—” When he addressed me, he would go freely from “vous” to “tu” and back again, formal to informal, sometimes in the same sentence. I don't know if he was doing it consciously or whether, as he said, “—my mastery of the language is not that good.”

“Neither is mine. I don't have any particular skills and...”

“No, no. I have a feeling you can do it. You are interested in the arts, in literature, in architecture, and translation is a form of construction.”

I turned to the proofs. “I like this one very much.”

“Ah, the poem about the geese and the frogs. Why?”

“Because it's like me.”

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— C'est un peu mélancolique, ai-je ajouté après une pause.

— Un peu, en un sens.

— Pas complètement.

— Non, pas tout à fait.

— C'est joyeux en même temps.

— C'est naturel. Vous voyez, vous avez déjà une grande sensibilité pour votre travail.

— Je ne sais pas…

— Mais oui ! D'ailleurs, il n'y a pas de mal à échouer. Cette traduction, elle sera pour toi. Et ça me fera un grand plaisir, a-t-il chuchoté avec le plus gentil sourire du monde. Puis il a ajouté : « Les oies, c'est moi. Les grenouilles, c'est toi. »

*

“It's a bit sad,” I added, after a pause.

“A bit, in a way.”

“Not completely.”

“No, not altogether.”

“At the same time it's joyful.”

“That's natural. You see, you already have a great sensitivity for the work.”

“I don't know...”

“Of course! On the other hand, there's nothing wrong with failure. The translation will be for you alone. And it will give me great pleasure,” he whispered with the gentlest smile in the world. Then he added, “The geese, that's me. The frogs, that's you.”

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Ils ont beaucoup parlé d'encre, de mélanges diffé­rents. On a fait plusieurs tirages de certaines gravures, cherchant l'intensité de noir voulue. Le noir, disait Ueno, est au calligraphe japonais ce que la neige est à l'Inuk. Le blanc est un univers, le noir aussi.

J'avais lu quelque part que le peintre Henri Matisse avait affirmé que le noir était une couleur.

— La preuve, a conclu Ueno.

*

That afternoon they spent a lot of time discussing inks and their different mixtures. They made multiple proofs of particular woodcuts, trying to find just the right intensity of black. Black, said Ueno, is to the Japanese calligrapher what snow is to the Inuk. White is a universe, and so is black.

I told them I'd read somewhere that the artist Henri Matisse had declared black a colour.

“That proves it,” concluded Ueno.

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En regardant les gravures dont on tirait des épreuves, j'ai été d'accord avec Sara pour trouver qu'elles ressemblaient à des griffonnages. Au premier abord, car, en même temps, je les trouvais fabuleuses. Elles avaient une espèce de présence contagieuse. Un peu comme Ueno lui-même. Il expliquait à Frank qu'en général, on utilisait la gravure sur bois pour faire du représentatif, et lui cherchait à faire…

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