La Révolution des Fourmis (44 page)

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Authors: Bernard Werber

Tags: #Fantastique

BOOK: La Révolution des Fourmis
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Toutes les structures
sociales étaient bannies. Ils avaient supprimé l’argent, le travail, la
noblesse, la bourgeoisie, l’administration, l’armée. Ils s’interdisaient de
cultiver la terre et se nourrissaient de fruits et de légumes sauvages. Ils étaient
végétariens et pratiquaient le culte direct de Dieu, sans Église et sans clergé
intermédiaires.

Ils irritaient évidemment
leurs voisins hussites qui ne prisaient guère tant de radicalisme. Certes, on
pouvait simplifier le culte de Dieu, mais pas à ce point. Les seigneurs
hussites et leurs armées encerclèrent les Adamites sur leur île et
massacrèrent, jusqu’au dernier, ces hippies avant l’heure.

 

Edmond Wells,

Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu
, tome III.

 

108. PAR L’EAU ET LE TÉLÉPHONE

 

Tandis que les CRS étaient occupés à poursuivre Julie et les
amazones, les sept autres groupes de manifestants, conduits chacun par un Nain,
effectuaient un grand détour par les rues avoisinantes et se regroupaient à
l’arrière du lycée, libre de toute présence policière.

Ji-woong sortit tout bonnement la clef que lui avait confiée
le proviseur pour faciliter les répétitions, et ouvrit la porte au nouveau
blindage anti-incendie. Le plus silencieusement possible, la foule s’engouffra
dans le lycée. Quand Maximilien s’avisa du stratagème en voyant apparaître des
visages joyeux à la grille sur le devant, il était trop tard.

— Ils passent par l’arrière ! cria-t-il dans son
porte-voix.

Ses hommes firent volte-face, plantant là Julie et les
siennes. Mais plus de sept cents personnes étaient déjà entrées en trombe et Ji-woong
s’était empressé de refermer les solides serrures de la porte blindée. Les CRS
ne pouvaient rien contre cette épaisse protection.

— Phase 2, terminée, lança David dans son
téléphone.

Le groupe de Julie se rassembla alors devant la grille
abandonnée par les policiers, David vint leur ouvrir et une centaine de
nouveaux « révolutionnaires » rejoignirent les autres à l’intérieur
du lycée.

— Ils passent par l’avant, revenez ! intima
Maximilien.

À force de courir en tous sens avec leur attirail, casque,
bouclier, lance-grenades, gilet pare-balles et chaussures à lourdes semelles,
les CRS étaient exténués. En plus, le lycée était suffisamment étendu pour
qu’ils n’atteignent pas l’entrée à temps.

Ils trouvèrent la grille refermée et, derrière, les
amazones, toujours aussi aguicheuses et taquines, qui se moquaient d’eux.

— Ils sont tous à l’intérieur, chef, et barricadés en
plus.

Ainsi, huit cents personnes occupaient le lycée. Julie en
était d’autant plus satisfaite qu’ils avaient réussi cette prouesse sans aucune
escarmouche, simplement en épuisant leurs adversaires par des mouvements
tactiques.

Maximilien n’avait pas l’habitude de voir des manifestants
pratiquer des stratégies de guérilla. Il avait toujours eu affaire à des foules
qui avançaient tout droit, sans réfléchir.

Que des manifestants n’ayant pas même à leur tête un parti
politique ou un syndicat classique puissent ainsi se mouvoir en légions
compactes l’impressionna et l’inquiéta.

Même le fait qu’il n’y ait de blessés dans aucun camp
n’était pas pour le rassurer. Il y en avait en général au moins trois, de part
et d’autre, dans ce genre d’échauffourées. Ne serait-ce que ceux qui trébuchent
en courant et se tordent la cheville. Or là, dans une manifestation opposant
huit cents personnes à trois cents CRS, ils n’avaient aucun accident à
déplorer.

Maximilien posta une moitié des CRS à l’avant et l’autre à
l’arrière, puis il appela le préfet Dupeyron pour le tenir au courant de la
situation. Celui-ci lui demanda de reprendre le lycée, sans faire de vagues. Il
devait bien vérifier qu’il n’y avait pas là le moindre journaliste. Maximilien
confirma que, pour l’instant, personne de la presse n’était là.

Rassuré, le préfet Dupeyron lui demanda de faire vite, de
préférence sans violence, étant donné qu’on était à quelques mois des élections
présidentielles et qu’il y avait forcément des enfants de bonne famille de la
ville parmi les manifestants.

Maximilien réunit son petit état-major et fit ce qu’il
regrettait de n’avoir pas commencé par faire : demander un plan du lycée.

— Envoyez des grenades lacrymogènes à travers les
grilles. Enfumez-les comme des renards, ils finiront bien par sortir.

Les yeux larmoyants et les quintes de toux ne tardèrent pas
à affaiblir les assiégés.

— Il faut faire quelque chose, vite, souffla Zoé.

Léopold estima qu’il suffisait de rendre les grilles moins
perméables. Pourquoi ne pas utiliser les couvertures des lits, dans les
dortoirs, en guise de rideaux protecteurs ?

Aussitôt dit, aussitôt fait. Mouchoir mouillé sur le nez
pour ne pas inhaler les gaz et armées de couvercles de poubelle pour se
protéger le visage des jets de grenades, les filles du club de aïkido fixèrent
les couvertures sur les grilles à l’aide de fil de fer découvert dans l’appentis
du gardien.

Du coup, les policiers ne purent plus voir ce qui se passait
à l’intérieur de la cour du lycée. Maximilien reprit son porte-voix :

— Vous n’avez pas le droit d’occuper cet établissement.
C’est un lieu public. Je vous ordonne de l’évacuer au plus vite.

— On y est, on y reste, répondit Julie.

— Vous êtes dans l’illégalité la plus complète.

— Venez donc nous déloger.

Il y eut un conciliabule sur la place, puis les cars firent
marche arrière tandis que les CRS refluaient jusqu’aux rues avoisinantes.

— On dirait qu’ils renoncent, observa Francine.

Narcisse signala que les policiers abandonnaient également
la porte arrière.

— Nous avons peut-être gagné, prononça Julie sans trop
y croire.

— Attendons un peu avant de crier victoire. Il s’agit
peut-être d’une manœuvre de diversion, remarqua Léopold.

Ils attendirent, scrutant la place déserte, parfaitement
éclairée par les réverbères.

Avec son regard perçant de Navajo, Léopold détecta enfin un
mouvement et tous ne tardèrent pas à voir une nuée de policiers marchant avec
détermination en direction de la grille.

— Ils chargent. Ils veulent prendre l’entrée
d’assaut ! cria une amazone.

Une idée. Vite, il fallait une idée. Les policiers étaient
tout près des grilles, quand Zoé trouva la solution. Elle en fit part aux Sept
Nains et à quelques amazones.

Lorsque, avec de grosses masses, les CRS se préparèrent à
faire sauter les serrures métalliques de la grille d’entrée des lances à
incendie que le proviseur avait fait installer pour lutter contre un éventuel
sinistre jaillirent.

— Feu ! dit Julie.

Les lances entrèrent en action. La pression était si forte
que les amazones devaient s’y mettre à trois ou quatre pour maintenir et bien
diriger un seul de ces canons à eau.

Sur la place, des policiers et leurs chiens gisaient,
fauchés.

— Halte !

Mais les forces de l’ordre se regroupaient au loin pour une
nouvelle charge qui s’annonçait encore plus virulente.

— Attendez le signal, dit Julie.

Les policiers fonçaient au pas de course, suivant les angles
morts où les lances ne pourraient pas les atteindre. Matraque levée, ils
atteignirent les grilles.

— Maintenant, dit Julie, les dents serrées.

Les lances à eau refirent merveille. Une acclamation de
victoire s’éleva parmi les amazones.

Maximilien reçut un appel du préfet Dupeyron demandant où il
en était. Le commissaire l’informa que les trublions étaient toujours
retranchés dans le lycée et résistaient aux forces de l’ordre.

— Eh bien, encerclez-les sans plus les attaquer. Tant
que cette mini-émeute reste confinée au lycée, il n’y a pas vraiment de
problème. Ce qu’il faut éviter à tout prix, c’est qu’elle se répande.

Les charges de police cessèrent.

Julie rappela le mot d’ordre : « Pas de violence.
Ne rien casser. Rester irréprochable ». Rien que pour contrer son professeur
d’histoire, elle voulait vérifier s’il était vraiment possible de réussir une
révolution sans violence.

109. ENCYCLOPÉDIE

 

UTOPIE DE RABELAIS
 : En 1532, François Rabelais proposa sa
vision personnelle de la cité utopique idéale en décrivant, dans Gargantua,
l’abbaye de Thélème.

Pas de gouvernement car,
pense Rabelais : « Comment pourrait-on gouverner autrui quand on ne
sait pas se gouverner soi-même » ? Sans gouvernement, les Thélémites
agissent donc « selon leur bon vouloir » avec, pour devise :
« Fais ce que voudras ». Pour que l’utopie réussisse, les hôtes de
l’abbaye de Thélème sont triés sur le volet. N’y sont admis que des hommes et
des femmes bien nés, libres d’esprit, instruits, vertueux, beaux et « bien
naturés ». On y entre à dix ans pour les femmes, à douze pour les hommes.

Dans la journée, chacun
fait donc ce qu’il veut, travaille si cela lui chante et, sinon, se repose,
boit, s’amuse, fait l’amour. Les horloges ont été supprimées, ce qui évite
toute notion du temps qui passe. On se réveille à son gré, mange quand on a
faim. L’agitation, la violence, les querelles sont bannies. Des domestiques et
des artisans installés à l’extérieur de l’abbaye sont chargés des travaux
pénibles.

Rabelais décrit son
utopie. L’abbaye devra être construite en bord de Loire, dans la forêt de
Port-Huault. Elle comprendra neuf mille trois cent trente-deux chambres. Pas de
murs d’enceinte car « les murailles entretiennent les
conspirations ». Six tours rondes de soixante pas de diamètre. Chaque
bâtiment sera haut de dix étages. Un tout-à-l’égout débouchera dans le fleuve.
De nombreuses bibliothèques, un parc enrichi d’un labyrinthe et une fontaine au
centre.

Rabelais n’était pas dupe.
Il savait que son abbaye idéale serait forcément détruite par la démagogie, les
doctrines absurdes et la discorde, ou tout simplement par des broutilles, mais
il était convaincu que cela valait quand même la peine d’essayer.

 

Edmond Wells,

Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu
, tome III.

 

110. UNE BELLE NUIT

 

103
e
n’arrive pas à dormir.

Encore une insomnie de sexuée
, pense-t-elle.
Les
asexuées ont au moins l’avantage de dormir facilemen
t.

Elle lève les antennes, se redresse et distingue une lueur
rouge. C’est ça qui l’a réveillée. Ce n’est pas un lever de soleil, le reflet
provient de l’intérieur du nid du serpent qui leur sert d’abri.

Elle s’avance vers la lueur.

Quelques fourmis entourent la braise qui leur a apporté la
victoire. Leur génération n’a pas connu le feu et elles sont évidemment
fascinées par cette présence chaude.

Une fourmi affirme qu’il vaudrait mieux l’éteindre.
Princesse 103
e
dit que, de toute manière, elles sont confrontées à
une alternative qu’il leur est impossible d’éviter : « la technologie
et ses risques » ou « l’ignorance et sa tranquillité ».

7
e
approche. Elle, ce n’est pas le feu qui
l’intéresse, ce sont les ombres dansantes des fourmis que les flammes
projettent sur les parois du nid. Elle essaie de lier conversation avec elles
puis, constatant que c’est impossible, elle interroge 103
e
qui lui
répond que le phénomène fait partie de la magie du feu.

Le feu nous fabrique des jumeaux sombres qui restent
collés aux murs
.

7
e
demande ce que mangent ces jumeaux sombres et
Princesse 103
e
répond qu’ils ne mangent rien. Ils se contentent de
reproduire exactement les gestes de leur jumeau et ne parlent pas.

Demain, elles pourront discuter de tout ça mais, pour
l’instant, mieux vaut s’assoupir afin de reprendre des forces pour le voyage.

Prince 24
e
n’a pas sommeil. C’est la première
nuit où le froid ne le contraint pas à hiberner et il veut en profiter.

Il fixe la braise rougeoyante qui n’en finit pas de
palpiter.

Parle-moi encore des Doigts
.

 

111. LA RÉVOLUTION EN MARCHE

 

Les Doigts cherchaient des fagots pour allumer un feu.

Les manifestants en trouvèrent dans la vieille remise du
jardinier et voulurent allumer un grand bûcher au centre de la pelouse afin de
danser autour.

On entassa les fagots en faisceaux puis plusieurs jeunes
gens apportèrent le foyer.

Les papiers sitôt carbonisés, le vent éteignait les rares
flammèches. Sur huit cents personnes ayant défié, bravé et repoussé des cars
entiers de CRS, nul ne savait allumer un simple feu !

Julie chercha dans l’
Encyclopédie
s’il ne s’y
trouvait pas un passage expliquant comment allumer un feu. Comme l’ouvrage ne
comportait pas de table des matières ni d’index, elle ne savait pas trop où le
découvrir parmi tous ces textes en vrac. L’
Encyclopédie du Savoir Relatif et
Absolu
n’était pas un dictionnaire. Elle ne répondait pas obligatoirement
aux questions qu’on lui posait.

Léopold vint finalement à la rescousse en expliquant qu’il
fallait construire un petit muret pour abriter la source des flammes puis
placer trois cailloux sous les bûches afin de disposer d’une arrivée inférieure
d’air.

Le feu, cependant, refusa obstinément de prendre. Julie joua
alors le tout pour le tout et chercha dans la salle de chimie les ingrédients
nécessaires à la confection d’un cocktail Molotov. Revenue dans la cour, elle
le lança sur les fagots et cette fois, enfin, la flamme consentit à prendre de
l’extension. « Décidément, rien n’est facile en ce bas monde »,
soupira Julie. Depuis le temps qu’elle voulait mettre le feu au lycée, voilà
qui était fait.

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